Savoir utiliser la structure, c’est d’abord connaître quelques techniques qui permettront d’ajouter de la cohérence à votre fiction. En utilisant une structure, vous éviterez la confusion ainsi qu’une déception (surtout sur le plan émotionnel).
Le mot technique ne doit pas effrayer. Il signifie simplement un moyen d’organiser votre créativité afin de donner à votre histoire toutes les chances qu’elle mérite.
Le concept d’une structure narrative remonte aux Anciens Grecs, Aristote ayant établi qu’une narration avait un début, un milieu et une fin. La structure est une technique dramatique – un cadre narratif fondamental, en fait – éprouvée (dont Shakespeare a fait grand cas) et qui est à l’origine (entre autres) du succès de nombre d’œuvres de fiction.
La structure en 5 actes
En 1863, Gustav Freytag identifia la structure en 5 actes qui se décompose en :
- une exposition
- une Rising action
- un climax
- une Falling action
- et le dénouement.
L’exposition
L’exposition corresponds à la situation initiale. Elle nous présente non seulement les principaux personnages mais aussi le contexte de l’histoire. Elle fournit en fait les informations nécessaires pour non seulement accrocher le lecteur mais l’inviter aussi à partager le monde de l’histoire.
Un point majeur important de l’exposition est le moment de l’incident déclencheur. C’est un événement qui force le protagoniste à réagir (dès qu’il se décide à prendre en charge le problème que soulève l’histoire). Ce problème requiert une solution. Il pose une question dramatique centrale – le héros sera-t-il capable de réaliser son objectif ? – qui doit trouver une réponse au moment du dénouement.
Le problème et la question dramatique induite génèrent une tension dramatique (particulièrement appréciée du lecteur).
A lire :
L’EXPOSITION
LE MONDE
Rising action
La Rising action corresponds à une série d’obstacles qui seront jetés sur le chemin du héros dans sa tentative de résolution du problème (que d’aucuns appellent quête). Ces obstacles sont autant de conflits potentiels et si un concept doit justifier et distinguer une œuvre dramatique de tout autre production littéraire, c’est bien la présence de conflits. Une histoire ne peut se concevoir sans conflits.
La Rising action devrait débuter suite à l’incident déclencheur mais il s’avère que bien souvent le personnage principal de l’histoire montre quelques réticences à s’engager immédiatement, à se saisir du problème. En effet, au début de l’histoire, le protagoniste vit un statut quo (un quotidien) puis soudain, sa vie de tous les jours est bouleversée par un événement. Il est normal qu’il ne réalise pas immédiatement qu’il doit s’engager dans l’action s’il espère retrouver un équilibre perdu.
Le climax
Le climax est le moment de l’ultime confrontation du protagoniste avec son antagoniste. Ce moment de l’histoire est celui qui offre le plus de tension dramatique. En effet, les obstacles que rencontrent le protagoniste au cours de son aventure ont la particularité de monter en croissance, le protagoniste les surmontant d’abord par des actions et des réactions relativement faciles jusqu’à rencontrer l’épreuve de force qui fera de lui un être différent.
Cette transfiguration du personnage au cours de l’histoire est un mouvement connu sous le nom d’arc dramatique.
A lire :
LE CLIMAX
La Falling action
La Falling action est ce qui se passe après le climax. C’est le calme après la tempête. Si vous aviez créé des intrigues secondaires ou des B Story, c’est au cours de la Falling action que celles-ci seront résolues. Avec la Falling action, votre histoire se dirige vers sa conclusion.
A lire :
INTRIGUE SECONDAIRE & B STORY
« STORY » – ROBERT McKEE – STRUCTURE & SITUATION
Le dénouement
Le dénouement marque la fin de votre histoire. Toutes les questions dramatiques qui ont pu être soulevées au cours de l’intrigue (et globalement au cours de l’histoire) sont résolues. Vous avez ainsi apporté une réponse personnelle (votre message) au thème (universel) autour duquel votre fiction s’est articulée.
C’est aussi au cours du dénouement qu’émotionnellement, vous relâchez la pression chez votre lecteur.
A lire :
THEME & MESSAGE
Considérons comme exemple Macbeth de William Shakespeare :
L’exposition
Les personnages sont introduits au cours de cette exposition qui corresponds au premier acte. L’incident déclencheur est la rencontre avec les trois sorcières (Shakespeare a dû s’inspirer des Parques). Elles prédisent à Macbeth qu’il deviendra roi et à Banquo qu’il aura une descendance de sang royal.
Rising action
Ces moments de l’histoire se concentrent sur la réalisation des prophéties avec l’intervention de Lady Macbeth essayant de convaincre Macbeth d’assassiner Duncan.
Le climax
C’est une situation critique qui décrit le meurtre de Duncan.
Falling action
Ici sont impliqués tous les événements qui se produisent après le meurtre de Duncan. Macbeth essaie d’asseoir son pouvoir et sa position de roi en cachant son crime et en assassinant les autres prétendants au trône. Et Lady Macbeth devient folle.
Le dénouement
Lady Macbeth meurt et Macbeth est exécuté. Malcolm devient roi.
La structure en 3 actes
La structure en 5 actes est une structure narrative classique. De nos jours, on s’accorde plus volontiers sur une structure en 3 actes mais celle-ci reste très similaire.
En fait, il s’agit même de considérer la structure en 3 actes comme une simplification de la structure en 5 actes.
Considérons l’exemple de Star Wars :
- Acte Un (durée de 40 minutes et 37 secondes) :
Luke décide de suivre Ben, de rejoindre la rébellion et de sauver la princesse. - Acte Deux (durée de 48 minutes et 55 secondes) :
Luke trouve la princesse, perd Ben et s’échappe de l’Etoile de la Mort. - Acte Trois (durée de 28 minutes et 43 secondes) :
Luke fait exploser l’Etoile de la Mort et sauve les rebelles.
L’acte Un (la situation initiale)
C’est le setup de la littérature anglo-saxonne. Il introduit les personnages, donne les informations nécessaires à la compréhention du contexte par le lecteur ainsi que pour les événements à venir.
A lire :
LA PRESENTATION DE VOTRE PERSONNAGE
L’acte Deux (la confrontation)
C’est au cours de cet acte Deux que le protagoniste est confronté aux conflits. Chacun de ces conflits, qui montent en intensité au fur et à mesure que le protagoniste les surmonte, le rapproche de la résolution de l’intrigue.
A lire :
LES ELEMENTS DE L’ACTE DEUX
L’acte Trois (la résolution)
L’acte Trois montre la résolution de la situation initiée par l’incident déclencheur. C’est aussi au cours de ce dernier acte que les derniers détails non encore résolus sont réglés. L’acte Trois est une combinaison du climax et du dénouement (pyramide de Freytag).
La mise en place du cadre structurel de votre histoire
La théorie est utile mais en pratique comment mettre en place une structure pour votre histoire ?
Comme point de départ, il est possible de se poser trois questions (et d’y répondre) :
- Quel est l’incident déclencheur ?
Cet événement ne doit pas être pris à la légère. Il doit avoir un véritable impact sur la vie de votre personnage qui devrait en être tout chamboulé. A partir de l’incident déclencheur, le statut quo du protagoniste est rompu. Ses valeurs, ses croyances, son mode de vie : tout est mis à mal. A partir de cet incident, votre protagoniste n’a plus qu’une idée en tête : retrouver un équilibre perdu.
L’incident déclencheur doit être un événement perturbateur suffisamment fort et puissant pour rendre crédible les actions et réactions futures de votre personnage principal. A la fin de l’acte Un (généralement), votre protagoniste n’aura pas d’autres choix que de prendre en charge le problème soulevé par l’histoire et d’agir pour le résoudre. - Quel est le conflit majeur que votre protagoniste devra affronter ?
Il y a plusieurs types de conflits. Le plus important est certainement le conflit interne, c’est-à-dire la faille majeure dans la personnalité de votre protagoniste. C’est d’ailleurs sur cette faiblesse (comme une préscience) que le méchant de l’histoire appuiera pour nuire à votre héros. D’ailleurs, votre protagoniste ne pourra pas résoudre le conflit externe, au vu et su de tout le monde (y compris le lecteur) s’il ne résoud pas d’abord son conflit interne. Gardez bien à l’esprit que le conflit est ce qui alimente votre intrigue.
- Comment est résolu le problème central de l’histoire ?
L’incident déclencheur a soulevé un problème et par la même occasion une question dramatique : votre protagoniste réussira-t-il à atteindre son objectif ?
Vous devez donc définir les modalités de cette résolution. Le « comment » votre protagoniste parviendra-t-il à résoudre son problème.
Votre protagoniste doit suivre un arc dramatique c’est-à-dire qu’il va évoluer au cours de son aventure. Ce changement doit faire de lui un être meilleur qu’il ne l’était au début de votre histoire. Cette transformation du héros fait partie du processus de résolution du problème.
Les réponses à ces trois questions devraient vous permettre d’avoir une idée sur la structure que vous mettrez en place pour votre histoire.
A lire :
L’IMPORTANCE DE LA FAILLE CHEZ VOTRE PERSONNAGE
Les scènes
Les actes sont composés de scènes. Dans sa forme la plus simple, une scène décrit un événement.
Nous vous conseillons de lire nos articles sur les Story Values et Story Events, des concepts mis en avant par Robert McKee qui devraient vous apporter un éclairage particulier sur la notion de scènes.
A lire :
ROBERT McKEE : LES STORY EVENTS
ROBERT McKEE : STORY VALUES
ROBERT McKEE : STORY EVENTS, STORY VALUES ET STRUCTURE
Sommairement, la scène commence avec le protagoniste dans un certain état psychologique. Il peut être simplement heureux ou triste ou bien dans une situation bien plus complexe. Cette scène décrit un évènement qui va pousser le personnage à agir ou à réagir. Cet évènement est de nature conflictuelle (soit ouvertement, soit il met en œuvre des sentiments et des pensées). Le personnage doit surmonter ce conflit. Au cours du processus de résolution de ce problème ponctuel, l’état psychologique du personnage est modifié.
Notez que lorsque nous écrivons que le conflit est interne (lorsque des sentiments contradictoires minent le personnage de l’intérieur), n’oubliez pas que vous écrivez un scénario et que celui-ci est un outil de travail dont l’objet est de montrer les choses. Vous devez décrire l’intériorité de votre personnage par le biais de ces attitudes et de son comportement dans la scène.
Prenons l’exemple d’un personnage qui vient d’enterrer sa vie de garçon. Il va bientôt se marier, il est heureux et tous ses rêves semblent se concrétiser. Tard dans la nuit, un peu ivre, il rentre chez lui seul au volant de sa voiture.
Soudain, un homme venu de nulle part se précipite sur sa voiture. Notre protagoniste ne réagit pas à temps et percute l’homme. Dans un crissement de pneus, la voiture s’arrête en plein milieu de la rue. Notre protagoniste sort de sa voiture et aperçoit à quelques mètres le corps inanimé de l’homme qu’il a renversé.
Notre personnage regarde autour de lui, il n’y a personne dans la rue, personne n’a été témoin de l’accident.
Que va faire le protagoniste ? Une question dramatique spécifique est soulevée au cours de cette scène.
Va t-il appeler du secours ? Il sait qu’il a bu et sera probablement mis en accusation. Un conflit interne se joue à ce moment. Va t-il risquer de tout perdre ou tenter de sauver la vie de cet homme ?
Il a en main son téléphone portable. Il hésite (traduction visuelle du conflit interne qu’il éprouve).
Finalement, il opte pour le délit de fuite avec toutes les conséquences morales que cela implique (parce qu’en fin de compte, ce n’est pas un méchant mais votre héros qui va maintenant devoir trouver une rédemption, ce qui constitue son objectif).
Ainsi, entre le début et la fin de cette scène, l’état psychologique de votre personnage s’est complètement inversé. Comme l’écrit Robert McKee, il est passé d’une valeur positive à une valeur négative et votre scène est ainsi tout à fait justifiée et légitime.
Ayez bien conscience, si vous décidez d’écrire un scénario, que vous allez passer votre temps à décrire, à illustrer plus exactement, des pensées et des sentiments. Votre lecteur doit comprendre les émotions non pas en lisant des mots et des phrases qui décrivent ce que pense un personnage mais en observant des comportements et des attitudes (c’est-à-dire des images) que vos mots et vos phrases feront naître dans l’esprit de ce lecteur.
C’est ainsi que les évènements sont en fin de compte de peu d’intérêt par rapport à la façon dont les personnages réagissent à ces évènements. Les réactions de vos personnages à ce qui leur arrive est ce qu’il y a de plus fascinants chez ces êtres fictionnels auxquels nous donnons ce semblant de vie.
Aristote parlait de mimésis, d’imitation car c’est bien de cela qu’il s’agit : reproduire des sentiments humains (bien réels) chez nos personnages de fiction (irréels car création de l’homme).
Nous n’insisterons pas dans cet article sur les liens de causalité entre les évènements mais nous tenons à préciser que les séquences et les actes eux-mêmes doivent répondre aux mêmes règles qui président à la création des scènes. Entre le début et la fin d’un acte ou d’une séquence, le protagoniste ne sera plus dans le même état d’esprit. Il pourrait, par exemple, commencer une séquence avec un esprit de gagnant, persuadé de sa réussite et finir cette séquence (après avoir surmonté les obstacles et épreuves qu’elle lui réserve) dans un total esprit de loser.
Considérez aussi que les changements qui s’opèrent chez votre protagoniste ne doivent pas être drastiques mais progressifs. Tout comme les conflits font preuve d’une tension dramatique de plus en plus en forte, les changements chez votre personnage adoptent eux aussi d’abord une amplitude faible jusqu’à devenir au cours du dénouement une transformation majeure et permanente de sa personnalité.
Gary Smailes.