Antoine Duléry, Gilles Cohen, Sabine Pakora, Manon Matringe
Inspiration libre du livre de Noëlle Châtelet transposée dans une famille fictive.
Lors du colloque organisé par l' à l'Assemblée Nationale, le 25 janvier 2002, Mireille Jospin, mère de Noëlle Châtelet et l'une des co-fondatrice de l'Associationpour le Droit de Mourir dans la Dignité pour déclarait à la tribune :
"Il faut lutter pour que ce passage inéluctable soit le moins violent possible. Mais la France me fait un peu honte car, elle qui autrefois était à l'avant-garde pour toutes les idées nouvelles, se trouve maintenant à la traîne, derrière la Belgique, la Hollande (...). Il faut absolument sortir de cette situation, faire de la propagande et réussir à être de nouveau comme autrefois, porteurs d'idées nouvelles. A défaut, ne pas être en retard".En l'annonçant à ses enfants et petits-enfants, elle veut les préparer aussi doucement que possible, à sa future absence.
Mais pour eux, c'est le choc, et les conflits s'enflamment. Diane , sa fille, en respectant son choix, partagera dans l'humour et la complicité ces derniers moments.
Entretien avec Noëlle Châtelet relevé dans le dossier de presse.
On m'avait déjà proposé des adaptations de
La Dernière Leçon à la sortie du livre mais je n'étais pas prête, sans doute, et mes frères et soeur ne l'étaient pas davantage. Mais quand Pascale est arrivée onze ans plus tard, j'ai tout de suite dit oui. Parce que le temps avait passé mais aussi en l'entendant parler. Ou plutôt en voyant le livre qu'elle a posé sur la table dans le restaurant devant moi : La Dernière Leçon , en format poche, tout usé... On avait l'impression qu'elle avait vécu avec lui ! J'ai senti qu'elle était dans une nécessité de faire quelque chose de ce livre qui l'avait beaucoup touchée, que c'était un vrai désir.
Oui, mais pas tant que ça ! est bien sûr un livre sur la mort et son apprentissage mais c'est aussi un hymne à la vie dans lequel il y a beaucoup de rires. Décider d'une belle mort, dans un dernier acte de vie, tel était le souhait de notre mère. Mais qui est encore compliqué à appliquer en France...
Oui, il y a un vrai travail de fond à faire sur la question et c'est surtout pour cette raison que j'ai accepté la proposition de Pascale. Je me suis dit que le film allait porter le débat au-delà du livre, qui avait déjà eu un grand écho. On allait encore gagner en audience et en conviction sur ce sujet qui m'importe tant. Car pendant ce temps qui a passé depuis la sortie de , je me suis engagée dans un combat moral et citoyen pour le droit à une aide active à mourir. Ma mère, une des co-fondatrice de l' ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) était à au comité de parrainage de l'association et elle partie, j'ai accompagné le livre partout en France pendant deux ans de ma vie, menant cette réflexion sur la nécessité du bien mourir... Progressivement, j'ai repris le flambeau de ma mère sur le droit à une mort choisie. 90 % des Français d'ailleurs sont prêts pour que la loi aille plus loin mais les législateurs résistent encore.
Oui, et c'est ce que je désirais. Je ne voulais pas d'un film trop élitiste, trop esthétisant. Je voulais que chacun, en le voyant, y soit accueilli simplement. D'emblée, Pascale et moi avions à cœur que le film permette l'émotion sans pour autant tomber dans le pathos.
Et c'est ce qu'elle a réussi : il y a du rire dans le film - comme il y a eu du rire dans la véritable histoire.
Oui, il est vrai que j'ai eu du mal à accepter ces "intrus" dans mon histoire, notamment ce frère si hostile à la décision de sa mère - ce qui n'était pas du tout le cas dans la vie réelle.
La famille que met en scène Pascale est donc très loin de la mienne mais l'esprit du livre est là, dans la justesse de ce couple mère-fille, la manière dont la mère prend sa fille par la main pour lui donner la dernière leçon qui lui manquait, celle de la défusion. Madeleine et Diane apprennent ensemble, elles dialoguent jusqu'au bout dans le rire et l'empathie...
J'ai très vite développé des rapports de confiance et d'amitié avec Pascale. Et j'ai commencé à m'intéresser beaucoup à ce qui allait se passer. Pascale est venue chez moi pendant des semaines, puis avec son co-scénariste
Laurent de Bartillat. Je les ai nourris d'anecdotes et de récits qui n'étaient pas forcément dans le livre, mais qu'il me semblait importants de partager, parfois même dans un rapport de confidence. Et puis ils sont partis écrire de leur côté.
Il y a eu une grande réunion à la production pour discuter du scénario et le valider. Comme je le raconte dans le livre, j'avais fait une liste de tout ce que j'aimais et tout ce que je n'aimais pas. Je me disais qu'il fallait que je défende quand même certaines choses et effectivement, je me suis laissée un peu emporter ! J'ai notamment critiqué certaines façons de s'exprimer que je trouvais trop triviales... J'ai donc dit ma vérité - qui a été entendue - mais j'ai aussi été convaincue par les arguments des scénaristes. Et en premier lieu par le fait que Pascale était l'auteur du film, je devais lui laisser sa liberté d'auteur. Cette réunion a été fondamentale : j'ai pris conscience de mes propres résistances à lâcher cette histoire, mon histoire qui m'appartenait et ne m'appartenait plus...
Oui, ce sentiment de dépossession et d'étrangeté que j'éprouvais m'a paru intéressant à analyser et cette impression s'est confirmée grâce à ma mère, si je puis dire... Oui, il m'a paru comme une fulgurance, le 5 décembre 2012, jour anniversaire de la mort de ma mère, que j'avais un rôle à jouer dans l'adaptation qui était en train d'être faite du livre. Alors j'ai pris des notes sur ce qui s'était déjà passé et j'ai commencé à tenir une sorte de journal intime de l'aventure qui progressait. Avec tous les aléas de la création d'un film, que Pascale me faisait très généreusement partager.
Peut-être pas le deuil mais l'abandon et le leg, oui. Dans le fond, ce livre est l'histoire d'une passation et d'une donation dont j'avais déjà fait l'expérience dans l'écriture de
La Dernière Leçon : à partir du moment où l'on écrit, même sa propre histoire, elle appartient aux autres.
Mais le film de Pascale poussait cette dépossession encore plus loin. Pendant plusieurs mois, un scénario s'écrivait - différent de mon histoire mais quand même, c'était mon histoire !- , sans savoir quelles actrices allaient nous représenter ma mère et moi... J'étais dans un flou et inconfort moral et psychique, une sorte de déséquilibre. J'ai connu alors de grands moments de désarroi.
Les quelques jours qui ont précédé le tournage, Pascale est allée à la campagne, d'où elle m'a appelée pour me dire qu'elle relisait mon livre. Cela m'a touchée et rassurée qu'elle revienne à la source de cette histoire, dans sa vérité. Je pense qu'elle en avait besoin pour le film, de même qu'elle a eu besoin de parler énormément avec son équipe technique, ses comédiens afin de les préparer à cette histoire pas évidente.
Sandrine, ça a été tout de suite une évidence. Pour Marthe Villalonga, le chemin a été plus long à faire mais après coup, je trouve ce choix très convaincant. Marthe a cette dimension de mamma dans le coeur des Français. Et comme ma mère, elle a un côté frondeur et rebelle. J'ai rencontré Marthe et Sandrine lors d'un déjeuner avec Pascale. Quand je les ai vues toutes les deux en face de moi, si complices, elles étaient déjà ma mère et moi. C'est vertigineux. On s'est tout de suite bien entendues et on a beaucoup parlé, notamment de la dimension morale et citoyenne que je donnais à ce film, au livre dont il était l'adaptation et à la Suite que j'étais en train d'écrire...
Oui, le film permet de s'approprier le débat et de se demander jusqu'où on peut aller, un
"jusqu'où" qui appartient à chacun d'entre nous. Ma mère aussi est partie trop tôt, d'une certaine manière. Elle aurait peut-être pu vivre encore. Je lui posais sans arrêt la question pendant les trois mois du compte à rebours : "Tu es sûre que c'est pour maintenant ? - Oui, moi seule le sais." Cet acte qu'elle devait faire seule puisque la loi ne l'autorise pas, elle avait peur de ne plus avoir la force physique de l'accomplir.
Oui, il y a du corps dans tout cela. Cette dimension est très belle dans le film, notamment dans la scène de la salle de bain, au moment où Diane déshabille sa mère pour l'aider à prendre son bain et voit alors ce corps qui souffre, complétement meurtri par l'extrême vieillesse.... Elle comprend alors que sa mère est vraiment au bout de ce qu'elle peut vivre, physiquement et moralement. Elle éprouve enfin de l'empathie. Elle s'oublie elle et voit sa mère comme si elle était en elle. Elles se retrouvent presque dans le même corps quand elles se baignent ensemble. Leurs corps se mêlent et la fille apprend qu'elle aussi va vieillir, qu'elle est mortelle. Ces enlacements, cette posture d'encastrement mère-fille sont extrêmement importants pour comprendre comment cette leçon a pu s'apprendre malgré la difficulté que ça représentait.
Pascale et toute son équipe ont a été incroyablement généreux d'accepter ma présence. En général, les auteurs on ne les aime pas trop sur un tournage ! Mais ils ont senti que je ne venais pas en critique. Ils m'ont laissé ma place, je ne me suis pas sentie exclue. Quand on n'est pas du métier, on ne sait pas toujours ce qui se passe sur un tournage. Grâce à ce livre, j'ouvre une fenêtre pour que les lecteurs et les spectateurs de
La Dernière Leçon m'accompagnent dans cette aventure.
Pascale m'avait demandé de ne venir qu'au bout de quinze jours ou trois semaines pour les laisser s'installer dans leurs rôles. J'étais comme une petite souris au début, derrière le combo, près de la scripte. Je prenais des notes et de temps en temps, Marthe et Sandrine venaient vers moi... Elles m'ont toutes les deux dit que ma présence les avait galvanisées - si je les avais dérangées, il était entendu, avec moi-même, que je ne reviendrais pas. Sandrine m'a dit un jour :
"Il faut que je sois à la hauteur de ce que tu as vécu."
J'ai effectivement demandé à voir le film seule, en tête à tête avec lui. J'avais écrit le livre dans la solitude, je devais en voir ce prolongement cinématographique aussi les yeux dans les yeux. Et soudain pendant la projection, dans une espèce de rêve éveillé, j'ai senti la salle se remplir de spectateurs anonymes qui sont venus s'asseoir et je me suis dit, comme je l'écrit dans le livre :
"Que cette histoire-là m'appartienne n'a plus grande importance. C'est à tous qu'elle appartient, aux spectateurs que je sens autour de moi, avec leurs histoires qui se mêlent à la mienne, la reprenne en choeur comme un refrain familier." J'ai eu un petit pincement au coeur, certes, mais aussi un sentiment de grand apaisement. Je me suis dit que j'avais fait ce que je devais faire, que j'étais arrivée au bout de ce deuxième grand moment de La Dernière Leçon : après le livre, le film reprenait le flambeau.
Plusieurs jours après avoir vu ce film en avant-première, il ne quitte pas mes pensées.
Pascale Pouzadoux, à la fois réalisatrice et coscénariste, adapte librement le célèbre roman éponyme de Noëlle Chatelet. En s'écartant de l'œuvre, le scénario permet de dévoiler toutes les attitudes possibles, et bien compréhensibles, des membres d'une même famille face à une fin de vie désirée. De l'acceptation au refus total, parfois violent, jusqu'à l'incompréhension absolue, l'intelligence du scénario dévoile toutes ces réactions sans jamais prendre parti.
Il en va de même avec le blocage de la médecine traditionnelle liée au serment d'Hippocrate. Et ce, même quand la vie ne laisse plus assez de libertés pour exister vraiment.
Avec une grande délicatesse la réalisatrice évoque les dégâts moraux causés par l'âge. Elle aborde avec la plus grande pudeur tous ceux liés au physique, entraînant dépendance et humiliation. La volonté de finir dans la dignité pour cette femme déterminée, face à son entourage, offre de très beaux moments d'intimité et de réflexion. Tous, parfaitement filmés.
Plus que tout, il y a cet amour magnifique entre mère et fille.
La scène la plus improbable dans un jardin d'un hôpital prend ici un relief particulier, très émouvant.
Le temps qui reste est lié à des pièces de monnaie. Soigneusement empilées sur une étagère elles sont consacrées à l'achat du journal quotidien. Des petits tas qui se réduisent jour après jour. À des objets, aussi, destinés aux proches, en guise de souvenir. Des lettres d'adieu. Un grand amour. Tout peut paraître triste, il n'en est rien. C'est là, l'une des réussites de ce film, éviter tout pathos.
Si l'ensemble du casting est parfaitement convaincant, Antoine Duléry, Gilles Cohen, Manon Matringe, les deux principales protagonistes raflent tout.
Sandrine Bonnaire, éclatante de beauté, éblouit par son magnifique sourire et fera chavirer le cœur avec un seul regard.
Marthe Villalonga est étonnante. À la fois rayonnante dans la beauté de son âge, entêtée, tourmentée par cette décision qui ne sera pas sans causer de chagrin, elle est tout à fait remarquable. Éblouissante n'est pas le mot qui puisse convenir le mieux pour ce rôle. C'est pourtant toute la lumière et l'amour qu'elle dégage qui resteront marqués dans ma mémoire.
Un grand film qui ne peut laisser indifférent.
Devant la volonté inébranlable d'une femme hors du commun, cette dernière leçon pousse à la réflexion et invite à méditer sur le droit de mourir dans la dignité.
J'espère vivement que ce film sera vu par le plus grand nombre.
Noëlle Châtelet : Ma mère m'a aidée à apprivoiser sa mort
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