Genre : science-fiction, action, thriller
Année : 2002
Durée : 1h47
L'histoire :
Dans les années 2070, dans la citadelle de Libria, les émotions n'existent plus, supprimées par l'absorption quotidienne de Prozium. Cette drogue anti-anxiété rend les gens plus heureux et plus productifs. Les individus ont ainsi accepté de mettre de côté leur liberté pour vivre en harmonie avec leur dirigeant spirituel connu sous le nom de Père. Les personnes qui refusent de prendre leur dose sont considérées comme des rebelles et vivent en retrait de la ville. S'ils sont pris à jeun, c'est la peine de mort assurée.
John Preston travaille au service de Père et applique la loi à la lettre. Un jour, celui-ci brise le flacon de sa dose et n'a pas le temps de s'en procurer une de rechange. Il est alors submergé par toute une gamme d'émotions. Victime d'un revirement spirituel qui le confronte à ses supérieurs hiérarchiques, il mène l'enquête sur ce nouvel état de vie.
La critique :
Au niveau cinématographique, les dystopies ne manquent pas pour nous décrire un avenir incertain, froid et austère avec en toile de fond une réflexion sur l'humanité, l'essence même de l'homme et ses propres libertés. Ainsi depuis quelques temps, la dystopie est devenue le nouveau phénomène de mode au niveau littéraire avec des romans qu'on ne présente, plus comme Hunger Games ou Le Labyrinthe. Ces romans ciblant avant tout les adolescents connaitront une adaptation cinématographique par le grand Hollywood. Malheureusement, ces young movies mentionnant une dystopie ne volent jamais très haut vu que dans un souci de vouloir plaire au grand public, il faut faire quelque chose de simple avec des acteurs sortis d'un magazine de mode et surtout beaucoup d'action. Ce n'est donc guère étonnant de voir toute réflexion ou toute morale purement et simplement annihilée.
Il faut, pour trouver de la qualité, se concentrer dès lors sur des oeuvres moins connues du grand public, mais beaucoup plus riches en terme de contenu. L'une des premières dystopies (à mon sens, je précise) est le film culte Orange Mécanique mentionnant un univers où le sexe et l'ultraviolence font partie du quotidien. Par la suite, on retrouvera un tas de très bonnes dystopies souvent pessimistes mais travaillées et possédant un univers riche et pensé.
Au hasard citons Soleil Vert, Total Recall (1990), Blade Runner, Bienvenue à Gattaca ou encore Brazil pour ne citer que ces exemples. Ici je ne chroniquerai donc pas l'un de ceux-là, mais bien l'un des films de science-fiction les plus sous-estimés de ces dernières années et qui se nomme Equilibrium. Handicapé par un slogan provocateur (Forget the Matrix ayant pour référence directe le film Matrix) et saupoudré d'une sortie en salle très limitée, ce film passera relativement inaperçu au cinéma. Mais depuis sa sortie en VHS ou en DVD, cette oeuvre fait l'objet d'un culte chez certains cinéphiles charmés par les thèmes transposés et l'univers créé. Bon autant mettre les choses à plat : je fais partie de ceux-là et je trouve bien triste qu'un tel film ne soit pas resté dans les mémoires. Mais peu importe, ce n'est pas le nombre de films sous-estimés et inconnus du public qui manquent, donc passons.
ATTENTION SPOILERS : Nous sommes en 2070 dans la citadelle de Libria, après un terrible holocauste nucléaire, les survivants, effrayés à l'idée qu'un autre désastre similaire ne se reproduise, ont tenté de chercher un remède à l'inhumanité de l'homme. Et la raison qu'ils ont trouvée n'était autre que la nature propre de l'homme, à savoir ses sentiments, en proposant un remède efficace, le Prozium, annihilant toute forme d'émotion. Ceux qu'on appelle les "ecclésiastes Grammaton" sont chargés de traquer et d'éliminer tous ceux ne prenant pas leur dose quotidienne de Prozium. Un des ecclésiastes les plus haut gradés du nom de John Preston effectue sa tâche avec dévouement et méthodologie. Jusqu'au jour où en laissant tomber son flacon de Prozium, celui-ci se retrouve submergé par une vague d'émotions qu'il n'arrive pas à contrôler. FIN DU SPOILER.
Comme j'ai souvent l'habitude de le dire, il faut reconnaître que le synopsis se montre plus qu'alléchant en nous contant le revirement spirituel d'une machine à tuer en homme torpillé par toute une gamme d'émotions inconnues jusqu'alors. Nous voici donc face à un sujet qui est à la fois en or et propice à la création d'un univers riche, mais aussi d'une profonde réflexion sur le sujet. Que l'on se rassure, Equilibrium parvient à intégrer habilement tout cela.
Mais alors pourquoi un tel oubli ? Souvenons nous.. Nous sommes en 2002 et le monde du cinéma voit arriver un grand mastodonte de l'époque qui n'est autre que Matrix. Conspué par les critiques le comparant à tort avec ce film, Equilibrium sombrera petit à petit dans l'oubli. Alors la comparaison naïve peut être lancée dans le sens où Equilibrium intègre des séquences d'arts martiaux assez spectaculaires et rassemblées sous le nom d'une technique propre aux ecclésiastes : le gun-kata qui, comme son nom l'indique, manie avec efficacité les arts martiaux et le tir mortel au pistolet. Et ça sera bien l'unique comparaison possible car ce film ne possède aucune similitude avec Matrix.
Concernant le film en lui-même, je dirais juste que nous sommes devant l'un des films de science-fiction au propos le plus fort qu'on ait pu rencontrer depuis l'avènement du 21ème siècle, et allant même jusqu'à se classer parmi mon top 20. C'est dire ! Mais pourquoi de telles louanges ? C'est bien simple car tout d'abord, Kurt Wimmer raconte très bien son histoire et le travail derrière est assez impressionnant surtout pour un budget de 20 millions de dollars. On se retrouve ici dans un monde austère et furieusement aseptisé où toute forme d'émotion, de vie et de sentiments a disparu.
Ce qui met en place une atmosphère assez dérangeante car le film s'attaque directement à l'âme humaine, à savoir cette faculté qu'a chaque être humain à rire, pleurer, s'amuser et se laisser absorber par une passion quelconque. Dans Equilibrium, tout a été volontairement annihilé et cela se ressent car les décors sont soit gris, blanc ou noir, le peuple marche à une cadence d'automate, et cela sans la moindre once d'émotion et le tout secondé par les messages de propagande du Père, vantant les mérites d'une civilisation dénuée de toute forme de sentiments.
Chose plus que surprenante en sachant que les ecclésiastes sont chargés de traquer les résistants ne prenant pas leur dose quotidienne de Prozium. Le libre arbitre de l'homme se retrouve donc attaqué par une dictature de la pensée, mais aussi de la spiritualité des hommes dont la destinée est automatiquement conditionnée et décidée par le Père. On se retrouve ici dans une démonstration effrayante d'un avenir où les Hommes ne sont réduits qu'à de vulgaires pantins programmés à se lever, travailler et dormir.
Belle attaque contre le capitalisme moderne transformant les Hommes en de vulgaires objets de consommation mis sous silence et se contentant d'obéir à des règles de plus en plus liberticides.
C'est en cela qu'Equilibrium se trouve être un coup de poing inattendu car il possède un niveau de lecture énormément vaste et profondément psychologique et sociologique. Vaut-il mieux brider ses libertés pour un peu plus de sécurité (je renvoie d'ailleurs cela à une célèbre phase de Winston Churchill) ? Un homme peut-il se passer de sa propre âme pour éviter une guerre ? Une société prônant ce type de conditionnement en vantant un monde sans guerre est-elle juste et droite ?
De nombreuses questions taraudent le spectateur dont la question centrale à mes yeux qui est : Préférez vous vivre dans un monde de libertés avec la menace éventuelle d'une guerre ou préférez-vous, à l'inverse, vivre dans un monde sans libertés mais aussi sans guerre ? Là est la question qui ferait sans aucun doute un bon sujet d'étude dans les branches universitaires dédiées à la psychologie, à la sociologie et à la philosophie.
C'est dans ce milieu qu'évolue John Preston, incarné par Christian Bale, qui trouve ici un de ses rôles les plus touchants. Il incarne parfaitement un psychopathe conditionné à tuer et la prestation des autres acteurs, à savoir Sean Bean, Taye Diggs, Emily Watson ou encore Sean Pertwee, se retrouve être exemplaire aussi. On est pris d'un sentiment très étrange mélangeant l'affection, la crainte et l'inquiétude à la vue de ces personnages. Tentant d'enquêter sur ce nouvel état de vie, Preston devra aussi s'armer de prudence contre ses supérieurs hiérarchiques, mais paradoxalement il ne songera jamais à reprendre une dose afin d'assurer sa sécurité. Ce qui prouve bien que les sentiments font partie intégrante de l'Homme et l'annihilation de ceux-ci ne peut causer que sa propre destruction mentale.
Ainsi, Kurt Wimmer nous livre une mise en scène intéressante et trépidante avec son lot de séquences imprévues, saupoudrés de 2-3 retournements de situation assez prévisibles. Bien évidemment, ne vous attendez pas à un florilège d'effets spéciaux et d'explosions en tout genre. L'aventure se veut posée sans toutefois verser dans le soporifique, l'équilibre a été très bien réalisé. De plus, Wimmer n'hésite pas à apporter quelques petites touches très appréciables pour renforcer davantage son univers. Cela va de la disposition similaire des affaires de bureaux chez tous les employés, à la présence de filtres translucides sur les vitres, empêchant ainsi les gens de voir distinctement le Soleil.
Tout cela dans le but, encore une fois, de conditionner et de couper à la racine les émotions chez l'Homme. Bien évidemment, vous vous douterez que toute musique, oeuvre d'art ou livre est purement et simplement banni. On ressent bien l'influence notable de romans cultes d'anticipation qui sont 1984 ou encore Le Meilleur des Mondes.
Reste alors des musiques certes un peu discrètes, mais qui s'intègrent assez bien à l'atmosphère oppressante du film. Equilibrium peut aussi s'appuyer sur quelques séquences assez dures où notre instinct protecteur prendra le dessus face à la vision de cette oeuvre assez éprouvante pour le moral. Certains pourront cependant reprocher une certaine lourdeur ou niaiserie face à la vision de certaines séquences, mais cela reflète plus d'un sentiment personnel.
Le film interroge vraiment notre propre opinion et questionne nos sentiments. Après, le seul reproche que j'ai à faire au film est un manque de réalisme dans les séquences de gun-kata. Si la première scène est impressionnante, les suivantes partiront un peu en sucette. De plus, le final ne se montrera pas à la hauteur et se transformera en immense jeu-vidéo de tir et de pirouettes. Même si c'est impressionnant, ça manque un peu de punch dans le ressenti. On pourra aussi tiquer devant certaines incohérences, par exemple certains personnages, pourtant sous Prozium, verront apparaître des sentiments comme la colère. Une autre incohérence un peu plus étrange se résume en cela : si nous supprimons les émotions, alors nous supprimons par définition l'amour, donc comment la reproduction humaine pourrait-elle s'effectuer ? Il faut reconnaître que l'idée de la suppression des émotions est un sujet hautement casse-gueule, mais dans ce cas autant expliquer que seul certains traits comportementaux ont été préservés (la volonté ou l'amour), mais pas les autres. Sinon, de manière globale, Equilibrium s'en sort largement avec les honneurs.
En conclusion, Kurt Wimmer nous pond ici un véritable petit bijou d'anticipation mélangeant habilement l'enquête, le drame psychologique et le thriller pur. Plus qu'une simple histoire, le réalisateur nous bouscule face à ce monde oppressant, glauque et réglé comme une horloge, en nous interrogeant sur des questionnements existentiels propres à chaque homme.
Décidément une oeuvre sous-estimée et oubliée mais en ce qui me concerne, un film de science-fiction essentiel (je n'ose dire culte !) pour tout amateur qui se respecte. Au-delà de la mise en scène et de la réalisation, ce sont les questionnements et la réflexion qui priment. Une chose essentielle à savoir avant le visionnage. Et je clôturerai cette longue chronique en citant la plus belle phrase qu'il m'ait été donné d'entendre dans un film : "Mais tu sais, je suis pauvre, et mes rêves sont mes seuls biens. Sous tes pas j’ai déroulé mes rêves alors marche doucement parce que tu marches sur mes rêves !"
Note : 17/20
Taratata 2