Marc Robert, Finnegan Oldfield, Sâm Mirhosseini, Christophe Tek
Clément Cogitore, né en 1983, développe une pratique à mi-chemin entre cinéma et art contemporain. Mêlant films, vidéos, installations et photographies son travail questionne les modalités de cohabitations des hommes avec leurs images. Il y est le plus souvent question de rituels, de mémoire collective, de figuration du sacré ainsi que d'une certaine idée de la perméabilité des mondes. Ses films ont été sélectionnés dans de nombreux festivals internationaux (Quinzaine des réalisateurs Cannes, festivals de Locarno, Lisbonne, Montréal...) et ont été récompensés à plusieurs reprises. Son travail a également été projeté et exposé dans de nombreux musées et centre d'arts (Palais de Tokyo, Paris, Centre Georges Pompidou, Paris, Haus der Kultur der Welt, Berlin, Museum of fine arts, Boston...).
"J'appartiens à une génération et une "famille" d'artistes dont la principale caractéristique est de ne pas avoir d'atelier. Alternant entre résidences, studios de tournages, salles de montage et laboratoires photographiques, mon travail se développe au gré des lieux qui accueillent son processus de production. Pourtant cet atelier existe, il consiste en une valise de taille cabine et un ordinateur portable Apple dont les 2 cm d'épaisseur contiennent l'ensemble de mes pièces, images, archives et projets, et dont la sauvegarde automatique est hébergée sur un serveur Google du fin fond du Texas.Pour cette première publication monographique, je souhaitais un livre en forme de visite de cet atelier, qui donnerait à voir l'ensemble de mes pièces mais aussi les images qui les ont précédées, provoquées, accompagnées, consciemment ou non. À la manière des murs d'un atelier d'un peintre qui seraient recouverts de photographies, dessins, reproductions, esquisses, cet objet graphique est un assemblage des documents et images qui sous-tendent mon travail et mes préoccupations.
Ces documents balaient un champ iconographique assez large : parfois simple outils de travail, croquis, recherches, ou images de repérages, le plus souvent reproductions d'œuvres d'art, captures d'écran de films, photographies d'objets ou amateures, tous sont partie prenante de l'élaboration de mes images.
Ce montage propose une reflexion plastique sur le processus de création, sur ces "images fantômes" qui hantent chaque nouvelle image produite, toutes ces images enfouies derrière d'autres images. Cette articulation presque archéologique est aussi l'occasion d'une réflexion sur le lien étroit que je fais entre l'histoire de l'art, et plus précisément la peinture religieuse byzantine et italienne, et toutes les images en mouvement qui m'intéressent, de Robert Bresson à Batman. "
Parmi Nous - Fiction réalisée en 2011
Grand Prix Européen Des Premiers Films - Fondation Vevey
Prix De La Meilleure Photographie / Lucania International Film Festival
Les Bielutine - Documentaire réalisé en 2011
Quinzaine Des Réalisateurs, Cannes 2011
Prix Du FIDLAB - Festival International Du Film De Marseille
Un archipel réalisé en 2011
Sélection Officielle - Festival International De Locarno
Visités - Fiction réalisée en 2007
Sélection Officielle - Festival International De Locarno
Prix Du Jury - Festival International Du Film De Vendôme
Prix De La Meilleure Photographie - Festival International Du Film de Belgrade
Grand Prix
Chroniques - Fiction réalisée en 2006
(Mention Spéciale) - "Entrevues" Festival International Film De Belfort
Prix SACD De La Fondation Beaumarchais Paris
Prix Centre Des Ecritures Cinématographiques - Festival "Ecrans Documentaires"
Dans le cadre de son partenariat avec la Semaine de la Critique, la Fondation Gan pour le Cinéma a créé en 2014 une Aide à la Diffusion, pour accompagner, au-delà du Festival, un des sept films (1er ou 2nd longs métrages) de la compétition.
Dotée de 20 000€, l'Aide de la Fondation Gan a été remise le 21 mai à Diaphana, le distributeur français deNi le ciel ni la terre de Clément Cogitore.
A l'approche du retrait des troupes, le capitaine Antarès Bonassieu et sa section sont affectés à une mission de contrôle et de surveillance dans une vallée reculée du Wakhan, frontalière du Pakistan.
Entretien avec le réalisateur relevé dans le dossier de presse.
"Ni le ciel ni la terre ne les pleurèrent et ils n'eurent aucun délai"
Le Coran, Ad-Doukhan, verset 29.
Dans le dernier tiers du film, je voulais emmener le spectateur vers ce qui est vraiment ce que je voulais raconter : comment se construit la croyance, quel sens elle a pour chacun et comment elle fonde une communauté. Ici, les soldats aussi bien que les talibans, qu'ils soient tatoués, barbus ou surarmés sont chacun à leur manière des enfants perdus. C'est-à-dire des gens comme vous et moi : des êtres qui ont besoin d'amour et peur de la mort.
Leur chemin consiste à mettre des mots sur quelque chose qui ne s'explique pas et les met en danger, de construire un système de croyance et de fiction - au sens nécessaire et beau du terme - pour parvenir à combler ce manque d'amour et combattre cette peur de la mort. Les communautés, que ce soit une famille, un peuple ou une civilisation, se constituent autour de mythes ou de récits partagés qui permettent de cohabiter avec ce qui nous dépasse.
J'ai rencontré
Thomas Bidegain assez tôt, sur un traitement, qui a donné lieu à un échange extrêmement nourrissant. Ensuite, j'ai écrit la première version seul. Et à partir du moment où le scénario était assez solide, Thomas est intervenu régulièrement. La forme du film s'est trouvée assez vite mais j'ai mis deux ans à faire aboutir les questions de rythme, d'efficacité, de pure dramaturgie, d'évolution des personnages. Je me suis aussi documenté sur ce qu'est la guerre en Afghanistan, le travail avec les populations locales, l'utilisation des armes, les technologies numériques. J'ai fait des entretiens avec des militaires, regardé des vidéos de soldats qui préparent leurs opérations, les débriefent. Cette guerre est aussi la rencontre de deux civilisations, deux types de pensée : une armée occidentale et un village oriental reculé. Comment instaurer le dialogue entre ces deux parties, l'une dans le pouvoir et l'occupation, l'autre dans la survie et la continuation de son mode de vie ? Comment se parle-t-on, négocie, interagit-on ? Et quand est-ce qu'on arrive dans une impasse ? Ces questions qui relèvent plutôt de ma pratique documentaire m'intéressent beaucoup.
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Il rejoint mon travail de plasticien. On a tourné avec du matériel utilisé par l'armée, une vraie caméra thermique et de vrais viseurs infrarouges. D'où cette image qui donne un fort sentiment de réalité. Je travaille avec le chef opérateur
Sylvain Verdet depuis dix ans. On fonctionne presque en duo : il est très proche de la mise en scène, je suis très proche de la lumière... J'essaye de faire en sorte que l'image et la mise en scène soient une seule et même chose.
Parce que c'est un très bon comédien, capable de se réinventer à chaque rôle. Il n'a pas vraiment d'image figée, il joue à la fois dans des films grand public et des films d'auteurs radicaux. J'avais envie d'un jeu très physique et Jérémie a fait beaucoup de musculation, s'est durci les traits. J'adore le cinéma d'Herzog et l'un de mes modèles était Kinski. Antarès est un jeune croisé du rationalisme, perdu au bout du monde qui essaye de faire son boulot, de mener à bien sa mission dans cette vallée bizarre.
Il est assez colonialiste et parfois méprisant envers les populations locales, mais il respecte les règles.
Dans cette vallée au fonctionnement perturbé il va franchir certaines lignes rouges, devenir brutal et manipulateur pour tenter de parvenir à ses fins.
C'est fou mais le cheminement pour y arriver est très logique. Le personnage d'Antarès était moins attachant sur le papier, Jérémie lui a apporté beaucoup d'épaisseur et de souffle. Pareil avec les autres acteurs. Kévin Azaïs, je l'ai vu en casting et je suis tombé dingue de lui. Il a une énergie folle. Swann Arlaud aussi est un comédien exceptionnel. Quant aux villageois afghans, ce sont pour la plupart des non professionnels qui amènent des présences différentes, singulières, une autre fragilité parce qu'ils n'ont pas l'habitude de la caméra.
Sâm Mirhosseini est un ancien légionnaire. Il dégage une présence et une énergie très forte. Parfois j'avais juste à allumer la caméra et à capter ce qu'il dégage. Quant à Hamid Reza qui interprète le chef taliban, il a un regard très intense et son dialogue avec Antarès vire parfois à l'absurde. On ne sait plus si on doit rire ou pleurer de ces talibans perdus en guenilles, de ces soldats surarmés et désemparés. C'est aussi ce choc-là que j'avais envie de raconter.
C'est une autre attraction musicale forte pour moi. Dans des films précédents
(courts métrages ou documentaires), j'ai pas mal filmé des raves, la transe qui se développe, une foule de gens tournés dans le même sens, face à quelqu'un sur scène, inaccessible, hors du monde... Je vois dans ces dispositifs-là la résurgence de rites très anciens, une forme de dispositif liturgique contemporain, débarrassé du religieux.
J'aurais pu m'arrêter sur ce moment lyrique, cette émotion que j'espère à la fois belle et simple. Mais le monde que je raconte n'est pas beau et simple, il est comme le nôtre : beau et terrible.
J'ai fait le choix de terminer sur autre chose : cet hélicoptère, la poussière et une musique plus dure.
Je ne voulais pas faire un film sur la croyance qui nous aide à nous endormir le soir mais qui au contraire nous réveille et nous hante la nuit.
Après de nombreux courts-métrages, récompensés dans le monde entier, le jeune réalisateur, Clément Cogitoire réalise son premier long métrage avec Ni le ciel ni la terre.
Ce film est d'une intelligence rare, à la fois habile, inhabituel, ingénieux et audacieux. D'une force qui assomme, questionne, séduit et dérange dans le même temps, le scénario, coécrit avec Thomas Bidegain est solide et parfaitement documenté.
La guerre n'est pas l'enjeu principal. Les montagnes de l'Atlas, en lieu et place de celles de l'Afghanistan, sont superbement photographiées par Sylvain Verdet. La musique est envoûtante.
Si les caractères des personnages secondaires auraient mérités d'être plus fouillés, l'intérêt principal du film repose sur un questionnement permanent, qui ne décroît à aucun moment. La croyance dans le sens large du terme. Le deuil, aussi. Avec les convictions profondes de chacun qui se heurtent à l'irrationnel. Au fantastique.
Le réalisateur s'interroge et nous interpelle : "Le capitalisme aussi est une croyance, qui a elle aussi ses obscurantistes. Il cause des dommages aussi violents pour l'espèce que le fanatisme religieux. La question n'est donc pas tant : est-ce qu'on vit dans la croyance ou pas ? Mais : dans quelle croyance vit-on et est-ce que celle-ci fait du monde un endroit plus habitable ?" Autant de questions qui ne trouvent pas de réponses rationnelles.
"Je ne voulais pas faire un film sur la croyance qui nous aide à nous endormir le soir mais qui au contraire nous réveille et nous hante la nuit." rajoute le réalisateur. C'est réussi.
Jérémie Renier domine un casting essentiellement masculin. Il prouve dans cette nouvelle prestation sa capacité à pouvoir tout jouer.
Un film dont on ne sort pas indemne, qui pourrait rebuter certains mais, qui pour ma part, restera longtemps en mémoire.
Un grand coup de maître, pour ce premier long-métrage de Clément Cogitoire.