N.W.A. – STRAIGHT OUTTA COMPTON : Fuck the biopic ! ★★★★☆

Par Le Cinéphile Anonyme @CinephilAnonyme

Un film captivant sur le célèbre groupe de gangsta rap.

1987. Alors que la société américaine ghettoïse les minorités grâce à une cécité générale, trois jeunes artistes émergent pour mettre le pays devant sa propre vérité. Ils s’appellent Easy-E, Ice Cube et Dr. Dre et forment le groupe N.W.A., considéré aujourd’hui comme l’instigateur du gangsta rap. A l’aide de leurs textes coups de poings et de la ferveur de leur colère, ils ont révélé la violence de leur quotidien dans la banlieue de Compton, dans laquelle les gangs font tout autant de mal que les arrestations arbitraires de la police. Cette ascension fulgurante liée à un contexte historique révoltant aurait pu pousser ce projet de biopic à ressembler à toutes les autres retranscriptions plates de success stories défiant les duretés de la réalité, comme les États-Unis savent si souvent en produire. Nul doute d’ailleurs que cette facile promesse d’espoir que le film semble vendre ait eu son influence sur ses incroyables recettes au box-office. Ice Cube et Dr. Dre faisant figures de producteurs, il était également logique que leur point de vue nécessairement biaisé prendrait le pas sur la vérité. Dès lors, la force de Straight Outta Compton est de balayer d’un revers de main ces attentes d’un produit consensuel pour offrir une œuvre puissante, munie d’une rage aussi salvatrice que celle de ses personnages.

Plus que par sa dimension politique inhérente à son sujet, l’ambition réellement louable du long-métrage est à chercher du côté de sa vision du biopic. Loin d’une volonté vaine et idiote de coller par tous les moyens au réel (ce qui ne l’empêche pas de subir quelques scènes secondaires inutiles), il se souvient qu’il est une fiction, et exploite les capacités de cette dernière comme outil sensitif. Certains s’énervent déjà des infidélités du film avec la réalité, alors qu’il ne fait que transposer le postulat de l’art du groupe : exagérer le réel pour lui donner une plus grande force évocatrice. La mise en scène de F. Gary Gray, connu pour ses gentillettes expérimentations dans le cinéma de genre (Le Négociateur, Braquage à l’italienne) s’attaque ici au terme « inspiré d’une histoire vraie », sans jamais délaisser le premier mot que d’autres oublient si facilement. Il ne fait pas que décrire la vie de ces bad boys devenus héros de l’Amérique, il en transmet la pensée et les émotions, car Straight Outta Compton prend lui-même la forme d’un rap violent mais gracieux dans ses rimes cinématographiques, filant à toute allure sans en perdre de la consistance.

Ainsi, le métrage se rapproche beaucoup plus de ses personnages, malgré leur talent et leur avant-gardisme qu’il reflète en permanence au point de les déifier. Il leur crée de vrais enjeux et une vraie narration, qui n’hésite pas à flirter avec cette ambiance de film de gangsters dans laquelle le groupe se complaît. Chacun montre alors ses failles et ses contradictions, à commencer par Jerry Heller (Paul Giamatti), agent compréhensif et bienveillant qui finira par arnaquer le groupe. Gary Gray ne cache jamais les zones d’ombre, même quand elles concernent la jalousie de Ice Cube ou l’aveuglement d’Easy-E face aux irrégularités financières de leur label. Straight Outta Compton est avant tout une histoire de potes mise à mal par un système qu’ils essaient de combattre. N.W.A. était venu réclamer le rêve américain que le pays leur refusait, mais il les a détruits de l’intérieur. Ces scènes plus intimistes contrastent avec l’ampleur des concerts du groupe, comme celui à Detroit où le public chante avec les rappeurs les paroles de Fuck Tha Police, pourtant interdite par la police locale. Nul ne pourra reprocher à Gary Gray son ambition de cinéaste, passant par toute une palette d’émotions pour finir aux larmes, grâce à un traitement très juste de ces hommes bouffés par l’histoire avant d’en faire partie. De cette façon, il transcende le genre du biopic. Le plus important n’est pas tant la vie de ces artistes que leur héritage, qui donne à Straight Outta Compton la forme d’un magnifique testament.