Sweet Sweetback's Baadasssss Song (Dirty funky song)

Par Olivier Walmacq

Genre : policier, inclassable, expérimental (interdit aux - 12 ans)
Année : 1971
Durée : 1h37

L'histoire : Sweetback tente de survivre dans les bouges de Harlem en assurant des spectacles et en multipliant les performances érotiques. Arrêté pour un crime qu'il n'a pas commis, il laisse pour morts deux inspecteurs blancs qui tabassaient un "frère de couleur". Poursuivi par toute la police de New York, notre lascar se lance dans une fuite effrénée à travers le pays au cours de laquelle il va être obligé de survivre avec les moyens du bord pour arriver à la frontière mexicaine. 

La critique :

Non, je ne me suis pas endormi sur la touche de mon ordinateur ! Le titre indiqué ci-dessus (Sweet Sweetback's Baadasssss Song) est bien celui du film de Melvin Van Peebles, sorti sur les écrans en 1971. Cette année-là est d'ailleurs à marquer d'une pierre blanche pour le cinéma noir (oui je sais...) puisqu'elle signe les vrais débuts de ce que l'on va appeler la Blaxploitation. La blaxploitation (contraction de "black" et "exploitation") fut un courant culturel né dans les années 1960, qui avait pour but de présenter à un public essentiellement noir des films mis en scène et interprétés en priorité par des noirs.
Autrement dit, les visages pâles n'étaient pas les bienvenus dans ces oeuvres indépendantes au budget certes limité, mais qui ont le mérite de révéler quelques icônes des seventies, notamment Pam Grier. Revenons en 1971. Shaft les nuits rouges de Harlem réalisé par Gordon Parks devient immédiatement culte en grande partie grâce au mythique thème musical signé Isaac Hayes ; le film en lui-même étant un polar de facture classique, loin d'être transcendant.

En même temps, émerge l'autre titre phare de la blaxploitation : Sweet Sweetback's Baadasssss Song. Plus underground et moins connu que Shaft, ce film quasi expérimental n'en reste pas moins l'un des piliers fondateurs du genre, même si certains lui contestent ce titre. Et Van Peebles annonce d'entrée la couleur : BLACK !, si j'ose m'exprimer ainsi. Dès le générique, le ton est donné : "Ce film est dédié à tous les frères et soeurs qui en ont assez du blanc... Starring the black community". 
Ici, pas de mise en avant d'un acteur en particulier, les héros ce sont les gentils noirs contre les méchants blancs. Ce postulat ultra démagogique n'avait rien de choquant en cette première année de la décennie 1970. Dans la continuité du "Black Power" et du "Black is beautiful", la blaxploitation naquit en toute indépendance dans un vent de révolte revendiqué haut et fort. Toujours en 1971, L'inspecteur Harry avec le très blanc Clint Eastwood cassait (un peu) du noir en même temps que le box-office.

La contre culture des bas-fonds de Harlem se devait de riposter. Attention, SPOILERS ! Dans les années 1950, Sweetback est un gamin orphelin élevé par les prostituées d'un bordel de Harlem. L'une d'elles, qui l'a initié aux plaisirs de la chair, l'a affectueusement surnommé ainsi en raison de son sexe démesuré et de ses prouesses sexuelles. Devenu adulte, Sweetback survit en donnant des spectacles érotiques voire pornographiques dans des bouis-bouis malfamés. 
Tandis qu'un soir, il fait un show, deux inspecteurs blancs enquêtent sur le meurtre d'un noir qui fait naître des tensions au sein de la communauté. Pour tenter d'apaiser le climat de violence, les inspecteurs concluent un deal avec Beatle, le proxénète de Sweetback. Ils embarquent ce dernier et simule une véritable opération de police en laissant croire à tous avoir arrêté le coupable. Ils menottent Sweetback afin que l'arrestation fasse plus véridique. Mais à peine sont-ils montés dans leur voiture qu'ils sont appelés pour une véritable intervention, cette fois-ci.

Ils interpellent un jeune black nommé Moo Moo qu'ils tabassent allègrement. Sweetback intervient et frappe les deux policiers qu'il laisse dans le coma. Traqué par tous les flics de la ville, il sera contraint à une fuite effrénée à travers le pays pour tenter de rejoindre la frontière mexicaine. A dire vrai, le film est loin d'être un chef d'oeuvre. Si les premières minutes sont assez accrocheuses, l'histoire tourne très vite en rond par la faute d'un scénario sans véritable fil narrateur.
De plus, le métrage accuse de nombreux défauts par son manque évident de moyen et son côté bricolé. Les acteurs respirent l'amateurisme et Melvin Van Peebles, alias Sweetback, qui tient le rôle principal, fait le minimum syndical en ne décrochant que trois phrases de dialogue en 97 minutes de film. Si l'on ajoute un thème musical funk (certes sympa au début) qui se répète à l'infini et qui devient vite énervant, Sweet Sweetback's Baadasssss Song cumule les imperfections. Pourtant, tout n'est pas à jeter dans ce très curieux film.

Classé X par un jury blanc à sa sortie, le film débute par une scène d'amour (simulée bien sûr) entre Sweetback enfant (rôle interprété par Marvin Van Peebles, le propre fils du réalisateur) et une femme adulte. C'était assez gonflé pour l'époque et pas que pour l'époque d'ailleurs. Il est à noter que le film a été largement édulcoloré de ses multiples scènes sexuelles (au grand dam du réalisateur) pour obtenir une classification tous publics. A noter également que ces nombreuses parties de jambes en l'air coûteront à Melvin Van Peebles plusieurs maladies vénériennes qu'il traînera pendant un sacré bout de temps. Sacré Melvin ! Sweet Sweetback's Baadasssss Song revendique clairement, à l'instar de beaucoup de films estampillés Blaxploitation, un propos anti-blanc primaire, même s'il est parfois teinté d'humour (noir, évidemment). Ainsi, ce passage où un prêtre de couleur, loin de prêcher l'amour fraternel, fait dire à son assemblée un "Black ave Maria" à chaque fois que Sweetback dégomme un flic blanc...

Sur la forme, le film s'apparente à un essai presque expérimental. Van Peebles multiplie les effets visuels jusqu'à l'excès : incrustations, zooms avant et arrière, filtres colorés etc. Le montage épileptique compense quelque peu l'action monocorde et le rythme lancinant du métrage, mais insuffisamment pour véritablement capter l'intérêt du spectateur, le scénario étant tout de même bien minimaliste. Au final, on ne sait pas trop quoi penser de cet ovni cinématographique.
Novateur et provocateur dans son propos, mais terriblement maladroit dans la manière de le retranscrire. Van Peebles signe là un film hautement politisé et intéressant d'un point de vue historique puisqu'il marque le départ d'un nouveau genre cinématographique. Dommage que le réalisateur ait eu tendance à se disperser en cours de route, à l'image du héros de son film.

Note : ?

 Inthemoodforgore