Eli Roth revient à la charge pour un home invasion movie captivant mais mineur.
Symbole de virilité depuis Matrix, Keanu Reeves ne s’est jamais vraiment remis du rôle de Néo, contraint de jouer encore et toujours le héros badass et inexpressif dans des productions de plus ou moins bonne qualité (John Wick, 47 Ronin…). Fort heureusement, il y a encore des cinéastes suffisamment iconoclastes comme Eli Roth pour sortir des sentiers battus. Leur connaissance des codes leur permettent de mieux les remodeler, notamment dans des choix ingénieux de contre-emploi. Ici, notre « sad Keanu » en est réduit à l’impuissance, passant la majorité de Knock Knock ligoté à un lit ou une chaise, séquestré par deux sirènes égarées (Lorenza Izzo et Ana de Armas) qu’il accueille dans sa maison, et dont il finit par répondre au chant de l’adultère. Avec cette promesse de jeux pervers et de tortures pour condamner l’erreur de cet homme, on aurait pu s’attendre à ce que le film ne soit qu’un pamphlet puritain déguisé, bien loin de la subversion habituelle de Roth. En réalité, ce dernier nous incombe de ne pas nous fier aux apparences, et principalement celles portées par les codes du septième art. Comme tant d’autres avant lui (à commencer par Hooper avec Poltergeist), il ouvre son film sur une banlieue pavillonnaire, puis pénètre dans l’habitation que nous ne quitterons quasiment plus par la suite. Sauf qu’au lieu de choisir un caractère un tant soit peu affectueux, Roth exprime à travers ses travellings toute la niaiserie des photos de famille, son dégoût de l’ennui et de l’illusion d’un couple heureux sur la durée.
Knock Knock se fonde alors sur cette ambiguïté pour mettre en avant et à l’image les fantasmes inavoués d’une société qui essaierait inutilement de se contenir. Il ne s’agit pas d’une simple ouverture des mœurs, mais bien d’un changement radical dans le rapport entre les hommes et les femmes, que ces derniers n’ont pas vu venir. La figure du patriarche est définitivement morte, et Evan (Reeves) en fait l’expérience. « Dans le pire des cas, je sais que je suis plus fort que vous » dit-il aux deux demoiselles, inconscient de ce qui l’attend. Pourtant, le long-métrage nous a d’ors et déjà prouvé le contraire avec sa femme. Elle est artiste, elle gagne plus que lui et elle compense le manque de leur vie sexuelle par ses sculptures à tendance phallique. Encore une fois, Roth prend des clichés pour mieux s’en éloigner, et ainsi créer la surprise essentielle à un thriller de ce type. Son éternel cynisme l’empêche aussi de tomber dans des absolus. Certes, il suit le point de vue d’Evan, mais il le ridiculise suffisamment pour ne pas livrer un film de vieux con, tandis que la psychopathie de ses ravisseuses laisse malgré tout place à quelques réflexions féministes.
Néanmoins, Eli Roth ne se serait-il pas trop assagi ? Le problème de Knock Knock, c’est que son absence d’excès rend compte des limites de son cinéaste. Sa mise en scène est élégante, mais il n’est pas Hitchcock ou Fincher. Jusqu’alors, on aimait le bonhomme pour ses partis-pris se rapprochant d’un anti-cinéma, où le cadre ne suggérait jamais (ou rarement) pour montrer toute la vulgarité et la bestialité de la race humaine. Il est vrai que le film s’inscrit dans l’expérimentation du genre horrifique si chère à l’auteur, mais elle n’en prend finalement que la forme d’un exercice de style mineur, bien que captivant. Cela ne prive cependant pas Knock Knock d’avoir du recul quant à cette vision d’un art plus propre sur lui, notamment lorsqu’il s’interroge sur le pouvoir des images en général, à l’heure des réseaux sociaux. Elles peuvent changer la vie d’un homme, en bien comme en mal, en seulement quelques secondes. Peut-être qu’Eli Roth a compris que le monde n’avait plus besoin de réalisateurs comme lui pour lui révéler toute sa connerie. Il le fait désormais très bien tout seul.