La houle critique de Pacific Rim toujours pas vraiment apaisée, Guillermo Del Toro revient livrer un film dans la même veine radicale. Le cinéaste préfère cette fois aux monstres géants la noblesse anglaise période XVIIIème, et aux gratte-ciels Hong-Kongais un manoir hanté au passé trouble ; la romance gothique 2015 a un nom : Crimson Peak.
Edith Cushing, jeune auteure New-Yorkaise s’éprend du Lord Anglais Sir Thomas Sharpe, qu’elle devient prête à suivre jusque dans sa demeure ancestrale. Mais les murmures de ses fantômes d’enfance vont soudain paraître des avertissements alors qu’entre les murs du manoir Sharpe, le danger gronde…
Ni adaptation ni remake, Crimson Peak sort de l’imaginaire de son cinéaste, avec ce qu’on lui connaît de sombre et de fantastique. Une fois n’est pas coutume, Crimson Peak ruisselle d’idées visuelles et thématiques, si bien qu’elles en découpent le film en trois.
Film « peint » : Del Toro ne ménage en effet ni la composition ni le travail de lumière et de couleur pour donner à ses plans des airs de toiles. Le « Crimson Peak » du titre est teinte écarlate, tâchant la neige comme une sanglante métamorphose. « Beware of Crimson Peak », susurre l’un des fantômes du film – la minutie symboliste du réalisateur Mexicain fait étincelle plus que jamais : chrysalides, chromies singulières ou jeux de miroirs composent la même atmosphère de rupture avec prédestination, énoncent le même propos sur le refus de l’âge adulte et du carcan de ses normes.
Film de fantômes : en conteur de génie comme en esthète du morbide, Del Toro donne vie à ses créatures d’outre-tombe par de saisissants effets et une mise en scène immersive. Sa caméra valse entre les ombres dans des plans-séquences horrifiques entêtants. La bande-originale de Fernando Velazquez soutient la cadence macabre. Le sang se glace.
Romanche gothique enfin, et c’est bien le fin mot comme le bât qui pourra blesser. Crimson Peak est d’abord un film de genre, aux codes que Del Toro prend plaisir à revisiter, tant dans l’hommage que le détournement. Dans une telle approche de front, difficile de ne pas perdre le spectateur mal habitué, mal averti. L’intrigue s’articule, prévisible. Le rythme mue, élastique, inconstant mais toujours cohérent. La galerie d’excellents acteurs se met au diapason de l’ensemble, du couple Wasikowska/Hiddleston, transporté jusqu’à une Jessica Chastain secrète et troublée. Autant de traces d’un cinéma exigeant & qui ne laissera jamais unanime : un cinéma dont la sincérité transpire.
Hybride radical dans sa forme comme dans son fond, Crimson Peak laissera sur le carreau le spectateur hermétique aux codes de la romance gothique. Reste un film formellement très abouti, à la symbolique forte et qui distille son propos en oscillant entre épouvante et fascination. Tranchante réussite.
Crimson Peak. De Guillermo Del Toro. Avec Mia Wasikowska, Tom Hiddleston, Jessica Chastain, Charlie Hunnam, Jim Beaver, Burn Gorman, Leslie Hope, Doug Jones, …
Sortie le 14 octobre 2015.