Depuis au moins 1979 et Syd Field (Screenplay-The Foundations on Screenwriting), un nombre considérable de termes ont été plus ou moins inventés pour décrire les conventions variées d’écriture. Il s’agissait aussi d’expliquer le fonctionnement interne de l’élaboration d’un scénario.
Cette terminologie s’est essentiellement concentrée sur la structure au détriment du personnage. Des termes comme Turning Point (un point majeur dans le déroulement de l’histoire), Incident Déclencheur, actes, Point médian, Climax et Résolution qui se sont révélés extrêmement utiles pour décrire une forme structurelle (paradigme ou modèle, si vous préférez) afin d’articuler les événements d’un script échouaient, cependant, à décrire adéquatement et de manière transparente la relation du protagoniste à l’événement désigné par le terme.Bien sûr, cela ne signifie pas que les gourous et autres n’ont pas reconnu l’importance de fondre personnage et structure dans un script. En fait, tous reconnaissent qu’un scénario cohérent ne conçoit pas le personnage hors de la structure de façon telle que les deux concepts n’en forment plus qu’un. Malgré cela, peu de termes ont été imaginés pour décrire le personnage et aucun pour décrire de manière adéquate comment le personnage est connecté à la structure.
Bien que très utile sur le plan de la vulgarisation, cet afflux de termes a forgé dans les esprits de tous une attente de ce que devait être un bon scénario. La structure était systématiquement analysée et la qualité d’un scénario était jugée à l’aune de celle-ci.
Le souci collatéral est que les auteurs qui envisageaient d’abord leur histoire sous l’angle d’un personnage se retrouvaient vite empêtrés dans les méandres de ce qu’ils voulaient être une structure. Même les auteurs qui s’engageaient sur des processus structurels se sentaient frustrés par des choix qui les obligeaient à sacrifier un personnage original devant les exigences d’une structure par trop mécanique.
Et lorsque des approches davantage centrées sur le personnage ont été mises en avant comme celle de Christopher Vogler (dont les travaux sont basés sur ceux de Joseph Campbell), la terminologie employée ajoute encore à la confusion :
Approach the innermost cave
Seize the sword
The ordeal
sont abscons et ambigüs si l’on a pas profondément compris ce que ces concepts sont censés dire.
Un autre problème avec la terminologie (voie d’approche et de compréhension d’une théorie) est qu’il y a autant d’interprétations que d’individus qui l’emploie.
La question est donc de savoir s’il existe une terminologie capable de rendre compte de la synthèse nécessaire entre le personnage et la structure ?
Peut-on utiliser un modèle défini par une terminologie propre transparente et facilement comprise qui reconnaisse une approche résolument orientée sur le personnage ?
Peut-être que la solution passe par une approche orientée personnage qui possèderai le potentiel de combiner des concepts de personnage à ceux de structure en employant des termes communs et compréhensibles, consistants et complémentaires des termes les plus populaires utilisés seulement pour la structure.
Ce qui définit une approche orientée personnage est l’accent qu’elle pose sur les relations évolutives que le personnage central entretient avec les autres éléments dramatiques de l’histoire. Si l’on souhaite décrire cette conception par des termes, ceux-ci désigneront alors les principes et essaieront d’éclairer, d’expliquer les processus à l’œuvre c’est-à-dire les expériences vécues par le personnage central en relation avec les autres éléments dramatiques tels que la famille, les amis, les ennemis, les événements et les environnements social et naturel.
Les termes apporteront aussi comment ces expériences personnelles du protagoniste définissent l’histoire.
Considérons ces 4 termes fondamentaux :
- Le personnage
- Les défis
- La crise
- Un changement
L’essence même d’une histoire centrée sur un personnage est qu’elle s’articule autour d’un personnage qui vit (c’est-à-dire expérimente) un conflit qui l’expose à une série de défis qui mène à une crise qui a le potentiel de changer la vie de ce personnage.
Nous pouvons aussi définir 4 autres termes qui explicitent l’association entre le personnage et la structure :
- Les caractéristiques internes
- Les circonstances externes
- Le conflit
- L’engagement
Le personnage principal est défini à la fois par ses caractéristiques internes (ses valeurs, ses croyances, ses peurs, ses désirs, ses souvenirs…) et des circonstances externes (sa famille, ses amis, son activité professionnelle, les environnements (social et naturel) dans lequel il évolue…).
Le conflit se définit comme la tension grandissante entre les caractéristiques internes et les circonstances externes.
Une caractéristique majeure de la structure est l’engagement du personnage principal envers un objectif particulier dont il espère que cela résoudra le conflit.
Le propos d’une orientation vers le personnage est de définir les concepts ci-dessus évoqués d’une façon telle qu’elle intègre le personnage avec l’histoire afin qu’une analyse de l’un est aussi une analyse de l’autre (en analysant le personnage, on analyse l’histoire et réciproquement, ces deux concepts sont intimement liés).
La Théorie
Abordons maintenant la théorie essentiellement autour de la structure en trois actes telle que l’on définit quatre théoriciens célèbres : Syd Field, Linda Seger, Christopher Vogler et Robert McKee.
Vous constaterez que bien que les termes qu’ils emploient pour décrire leurs idées diffèrent, ils correspondent souvent à une même notion décrite différemment.
Fields dénomme les trois actes autrement : le set-up ou Acte Un corresponds à la situation initiale. La fonction de l’Acte Un est d’exposer l’histoire (les personnages, le monde, le contexte) c’est-à-dire toutes les informations qui vont permettre au lecteur de s’immerger dans l’histoire et de la comprendre (du moins de pouvoir la suivre).
Le passage entre l’Acte Un et l’Acte Deux se nomment selon les auteurs :
- Plot Point #1 (Syd Field)
- 1st Turning Point (Linda Seger)
- Crossing the 1st Threshold (Christopher Vogler dont les travaux sont basés sur ceux de Joseph Campbell)
- Major Reversal (Robert McKee)
Ces 4 définitions du passage dans l’Acte deux renvoient toutes à l’entrée dans l’intrigue. Cette intrigue est mentionnée par Field (plot signifie intrigue) ou de point majeur (Turning Point) stipulant un changement de cap de l’histoire (Seger et McKee). Quant à Christopher Vogler, se référant à Campbell, considère ce tournant majeur de l’histoire comme le franchissement d’un seuil impliquant que tout retour en arrière pour le héros est dorénavant impossible.
Seger et Vogler mentionnent respectivement Set-up et The Ordinary World. Il s’agit de la situation initiale du personnage principal avant que sa vie ne soit bouleversée par un événement (l’incident déclencheur).
Cet incident déclencheur est dénommé Catalyst par Seger (un terme qu’emploie aussis Blake Snyder) et Call to the Adventure chez Vogler. Robert McKee retient inciting incident (incident déclencheur) pour cette durée particulière du script.
Juste après le Call to Adventure (l’incident déclencheur), Vogler distingue le Refusal of the Call et le Meeting with the mentor. Cela illustre une tendance chez le héros à d’abord refuser l’aventure qui lui est offerte puis ensuite de rencontrer un personnage qui va lui servir de mentor, d’instructeur et l’aider non seulement à prendre en charge son problème mais aussi à surmonter les défis tout au long de l’aventure.
A lire pour compléter cette étude :
LA NOTION DE STRUCTURE PAR SYD FIELD
THE WRITER’S JOURNEY (LE VOYAGE DU HEROS)
Revenons sur Robert McKee :
McKee utilise deux graphiques différents pour illustrer l’intrigue. Le premier se nomme Central Plot (Intrigue Centrale) et corresponds à ceci :
La Central Plot s’inscrit sur une ligne de temps linéaire. C’est en fait une structure en trois actes modifiée. Elle commence avec un incident déclencheur (Inciting Incident), se poursuit avec des complications graduelles.
Nous vous conseillons de lire notre article sur les complications graduelles :
A lire :
Graduelles Complications
La Central Plot continue avec Crisis où intervient un moment majeur dans la vie du personnage que l’on peut assimiler à une véritable crise puis ensuite par le climax et la résolution.
Il est bon de noter sur ce schéma que l’acte Trois est plus court et que la durée récupérée est allouée à l’acte Deux.
McKee a élaboré aussi un autre schéma qui a pris le nom de Quest :
Cette quête (Quest) décrit le flux du conflit dans une histoire. L’idéogramme avant l’incident déclencheur illustre le conflit en arrière-plan avant l’incident déclencheur. Ce mouvement de va-et-vient est comme le tir à la corde avec une force positive et une force négative. C’est un mélange du passé et du présent du personnage qui est tiraillé en quelque sorte par ce qu’il vit et ce qu’il a déjà vécu.
Spine (l’épine dorsale) corresponds à la durée de l’histoire. Les désirs conscients (Conscious Desire) et inconscients (Unconscious Desire) pointent sur les motivations à l’œuvre et qui dessinent les voyages interne (Internal Journey) et externe (External Journey) du personnage. Ce voyage ou parcours peut être compris comme l’évolution que va connaître un personnage dans le cours de l’aventure.
Comment l’écriture de scénarios est-elle différente des autres types d’écriture de fictions ?
Les trois grands médias sont le théatre, la dramaturgie et la fiction. Ce sont les trois bases primaires à partir desquelles par une sorte d’alchimie se crée des combinaisons.
De telles combinaisons se retrouvent dans la TV : mélange de roman, de théatre et de cinéma ou bien dans la bande dessinée qui est une autre forme qui combine le roman à la base avec le cinéma pour donner les cartoons, par exemple.
La différence principale entre ces trois médias est le niveau de conflit qui intéresse l’auteur qui travaille dans l’un ou l’autre de ces médias.
Ces auteurs racontent toujours une histoire mais cette histoire implique des personnages…
– en conflit avec leur univers social ou physique,
– en conflit dans leurs relations personnelles avec leurs amis, leurs familles, leurs amoureux
– un conflit interne (Inner Conflict) à l’intérieur d’eux-mêmes, avec leur propre nature, leur inconscient, leur corps, leurs émotions…
Le romancier tend à s’intéresser aux conflits internes, aux personnages en conflit avec leurs propres natures contradictoires, leurs propres désirs contradictoires, leurs émotions.
L’auteur dramatique tend à être plus intéressé par les relations personnelles (famille, amis ou amours) parce que le théâtre est une forme principalement adaptée au dialogue. Et que converser ou discourir est le moyen par lequel les relations personnelles sont exprimées pour le meilleur ou pour le pire. C’est ainsi que la puissance et la beauté du théâtre résident dans les conflits personnels.
La puissance et la beauté d’un scénario résident dans les conflits personnels supplémentaires de personnages en butte avec leur monde physique et leur univers social.
Robert McKee continue sur sa lancée mais cela nous éloigne trop du sujet de cet article donc fort de ce que nous savons, nous pouvons reprendre notre schéma qui illustre la Quest selon Robert McKee et nous pourrions en déduire que Inner Conflict, Personal Conflict et Extra-personal Conflict représentent chacun un type de pression psychologique placée sur le protagoniste au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue (ou même de l’histoire globalement).
Quant aux Conscious Objects of Desir (les objets conscients du désir) et Unconscious Objects of Desir (les objets inconscients du désir), ils représentent les objectifs du voyage – externe (External Journey) pour les objets conscients et interne (Internal Journey) pour les autres.
La Story Spine est clairement une structure en trois actes. Elle possède un set-up (donc une situation initiale) qui commence avec une image (Opening Image). Nous vous recommandons la lecture de ces articles :
L’IMPORTANCE DE L’OPENING IMAGE
MICHAEL HAUGE & L’OPENING IMAGE concernant l’Opening Image.
Au cours de cet Act One est établi le Catalyst (l’incident déclencheur) et la question centrale (qui définit l’objectif) est soulevée. Elle détermine deux points majeurs que l’on peut qualifier de structurels puisqu’ils délimitent les passages entre les actes Un & Deux et Deux & Trois. Le schéma se clôt naturellement avec le climax et la résolution.
Ce qui est intéressant avec cette Story Spine est qu’elle prévoit une intrigue secondaire ou une B-Story (Subplot – B Story) qui peut accueillir l’exploration d’une relation personnelle et qui peut d’ailleurs éclairer un problème intime chez l’un des personnages.
A lire :
L’INTRIGUE PRINCIPALE & L’INTRIGUE SECONDAIRE
INTRIGUE SECONDAIRE & B STORY
Pour la petite polémique, certains voient chez Linda Seger des références un peu trop nettes à McKee sans que cela n’apporte réellement de nouvelles idées.
L’acte Deux
Tous les auteurs cités reconnaissent deux moments importants dans cet acte Deux (que Fields considère comme la confrontation) :
Le Point Médian
Fields : Mid-Point
Seger : The Mid-Point Scene
Vogler : The Ordeal
McKee : Mid-Act Climax (Major Reversal)
Pour plus d’informations sur le Point Médian :
LE POINT MEDIAN EN MIROIR
Il s’agit de 4 dénominations pour une même interprétation somme toute. The Ordeal selon Vogler (et Campbell) se produit vers le milieu de l’histoire. Ordeal signifie épreuve. En effet, au cours de cette étape, le héros pénètre un espace central du Nouveau Monde (c’est le monde inconnu qui s’est ouvert à lui lorsqu’il a quitté son Ordinary World, son monde familier). Dans cet espace particulier, le héros confronte la mort ou doit faire face à ses plus grandes frayeurs (souvenez-vous de Luke Skywalker guidé par Yoda dans la grotte où Luke a dû affronter ses peurs).
Le passage entre l’acte Deux et l’acte Trois
Fields : Plot Point #2
Seger : Second Turning Point
Vogler : The Road Back
McKee : Major Reversal
Revenons à nos moutons
et à notre approche orientée personnage. Les paradigmes que nous venons de survoler ne sont pas des dogmes qu’il faut absolument suivre. De nombreux auteurs ont réussi à écrire avec beaucoup de succès sans se référer étroitement à ce que ces gourous de l’écriture scénaristique ont préconisé. Certains trouvent même que ces concepts ajoutent de la confusion.
Il n’en reste pas moins vrai que si ce qui fonctionne pour vous ne suit pas les règles, continuez de la sorte car ce qui marche pour vous ne marchera pas chez un autre et réciproquement. D’autres préfèreront suivre un paradigme car cela les rassure, par exemple. D’autres encore se sentiront étouffés de limiter l’aire de déploiement de leur muse en suivant trop étroitement un modèle structurel.
Donc, pour tenter de réconcilier les deux parties, peut-être qu’une terminologie moins tournée sur l’intrigue mais plutôt sur une synthèse du personnage et de l’intrigue serait de bon aloi. Par exemple, l’expression Point Majeur décrit souvent un incident ou un événement qui se plante dans l’action et l’attire dans une toute autre direction.
Il est clair que ce Point Majeur réfère à quelque chose d’extérieur au protagoniste. Par contre, on ne sait pas quel rapport entretient le protagoniste avec cet événement.
- Est-il celui par lequel cet événement a eu lieu ?
- De quelle façon cet événement affectera le protagoniste ?
- Est-ce que le protagoniste vit ce Point Majeur ? En fait-il partie ou ignore-t-il ce qu’il se passe pendant ce Point Majeur ?
- Quand l’événement du Point Majeur commence-t-il ? Et quand finit-il ?
Bien sûr que les théoriciens ont reconnu l’importance de fondre le personnage et l’intrigue à l’image de ce qu’en dit Robert McKee :
We cannot ask which is more important, structure or character, because structure is character ; character is structure. They’re the same thing, and therefore cannot be more important than the other.
On ne peut pas se poser la question de savoir lequel est le plus important, la structure ou le personnage, parce que la structure est le personnage ; le personnage est la structure. Ils sont la même chose et par conséquent aucun des deux ne peut être plus important que l’autre.
Vous l’avez compris, vous devriez rechercher une combinaison intime de l’intrigue avec le personnage en concevant une intrigue qui simultanément développe l’action (donc l’histoire) et le personnage (à travers son arc dramatique).
La plupart des théoriciens insistent sur cette symbiose (un concept peut-être plus imagée que l’idée de synthèse ou de fusion intime que laisse entendre McKee).
Où voulons-nous en venir ? simplement qu’il n’y a pas de terme explicite pour cette idée de synthèse et donc ce concept de synthèse n’est pas compris et négligé malgré que les gourous aient pourtant insisté sur son utilité. D’une manière pratique, lorsque vous voyez Turning Point – le terme anglo-saxon pour ce que nous avons traduit par Point Majeur parce qu’il illustre un événement qui fait vraiment tourner l’histoire dans une autre direction – vous le comprenez comme un fait ou un événement marquant qui oblique l’intrigue vers une toute nouvelle direction parce que vous avez lu cette définition. Le terme est un raccourci sur tout ce que vous avez pu lire sur l’idée qu’il transmet.
Mais concernant la synthèse, l’union intime entre le personnage et l’intrigue bien que définie et nécessaire n’a pas de terme qui résume et implique cette connaissance, cette perception immédiate de l’idée. D’où le problème de l’oubli de cette notion fondamentale au cours du processus d’écriture d’un scénario.
Nous reviendrons dans la prochaine partie de cette article sur d’autres termes.