Karin Viard, Nicole Garcia, Guillaume De Tonquédec, André Dussollier
, qui vit à Shanghai, est de passage à Paris. Il apprend que la maison de famille d'Ambray où il a grandi est au cœur d'un conflit local. Il décide de se rendre sur place pour le résoudre. Cette échappée provinciale changera sa vie...
Normalement, je mets cinq ans à faire un film, une sorte de plan quinquennal involontaire... Je n'ai jamais un film d'avance, à chaque fois je repars à zéro. Là, j'ai laissé passer deux fois cinq ans depuis
Bon Voyage, parce qu'entre temps il y a un film qui ne s'est pas fait, un film que j'avais longuement écrit et préparé, et qui, faute de financements, a été annulé deux mois avant le tournage.
C'est la première fois que cela m'arrivait. Je traversais donc un moment de déprime. Je comprends que le cinéma a changé, que les films que j'avais aimé faire coûteraient trop cher aujourd'hui, et je me mets à la recherche d'un sujet plus simple.
Je repense à une histoire que j'avais souvent racontée sans aller plus loin que la première partie. L'histoire d'un homme qui partait vers le Midi, avec une jeune femme qui était peut-être sa fiancée, enfin, quelqu'un de nouveau dans sa vie. Ils roulent vers la Côte d'Azur et, sur la route, à mi-chemin, il voit qu'en fait ils ne sont pas loin d'un endroit où il a passé son enfance. Il dit à cette femme : "Mais au fond allons-y, je vais t'emmener voir la maison où j'ai vécu". Il y allait, il trouvait la maison. Tout avait changé, et dans cette maison, vivait une jeune fille...
En fait, dans les films que j'ai réalisés jusqu'alors, il y avait toujours, au départ, une accroche très forte. Dans
La vie de château, un agent secret se cache dans la cave pour préparer le Débarquement. Dans Les mariés de l'An II, un homme va se marier en Amérique, on découvre qu'il est déjà marié en France. Ca démarrait sur les chapeaux de roue.
Là, après l'expérience triste du film annulé, je me suis dit :"Mais pourquoi convoquer les grandes eaux tout de suite ? Pourquoi ne pas démarrer en douceur ? ".
J'ai rencontré Jacques Fieschi, je lui ai parlé de plusieurs idées, et quand je lui ai raconté cette histoire de la maison, il s'est arrêté :
"Ben oui, mais qu'est-ce qui se passe après ?".
Assez vite je me suis dit :
"Bon, le moment est venu : arrêtons de tourner autour du pot. Il est temps que je revienne un jour dans la province où je suis né et où j'ai passé dix-huit années, avant de monter à Paris pour faire des études". Quand j'y retourne aujourd'hui, la maison où j'ai vécu n'existe plus. Il y avait un parc, mais les arbres ont été rasés. A la place, il y a un bloc de béton, un monolithe qu'on dirait tombé du ciel, comme dans un film de Kubrick. Un immeuble ! Pourtant, à côté, rien n'a changé, le vieux quartier est le même. Ca me plaît beaucoup, parce que la maison existe encore, mais uniquement dans ma tête. Elle est comme intouchable. Dans ma mémoire, j'ai tout. Je sais combien de marches il faut monter pour être au premier, la longueur du couloir à droite... C'est ce qui nous a guidés dans nos repérages d'ailleurs. Quand on cherchait la maison, je pouvais dire, sur un décor : "C'est ça ! ".
Exactement. C'est une idée qui hante beaucoup de cinéastes. Bertrand Tavernier, dès son premier film, retourne à Lyon, sa ville natale. Arnaud Desplechin est revenu une nouvelle fois à Roubaix, avec
Trois souvenirs de ma jeunesse. Et Tim Burton dans Edward aux mains d'argent revisitait Burbank, la banlieue de Los Angeles où il est né. Il disait : "On peut aller où on veut, on ne quitte jamais l'endroit où on a grandi". C'est ce que je répétais à mes co-scénaristes, Julien, mon fils, puis Philippe Le Guay, qui nous a rejoints.
Au fond il y a toujours eu des maisons dans mes films. Dans , la maison était devenue un manoir. Et pourquoi j'ai fait Le Sauvage ? Parce qu'il y avait une maison en bois avec un ponton, sur une île, où un homme s'était retiré pour vivre seul. Dans Tout feu tout flamme, j'ai imaginé un ancien casino au bord du lac Léman, ce qui n'existe pas. Cette fois, l'idée était de tourner une sorte d'autobiographie imaginaire puisqu'au fond, dans ce qui est raconté, tout a un lien avec moi mais rien n'a de lien avec ma véritable vie. En fait, si on se met à chercher vraiment, on trouve des correspondances bien sûr, mais aussi des choses arrivées dans d'autres familles, ou liées à d'autres encore...
Oui, c'est un roman familial imaginaire. Mais je voulais que la ville aussi soit imaginaire. C'est pour cela qu'on a tourné dans plusieurs lieux, c'est un mélange. Quand je retourne dans la ville où je suis né, je la reconnais mal, je traverse ces zones commerciales infinies, et je vois sur les collines les tours qui entourent la ville, comme celle où vit Gilles Lellouche dans le film. Il y avait l'idée de montrer la France d'aujourd'hui mêlée à celle d'hier. Une province des années cinquante, dans le grand bain de la mondialisation. Ce garçon qui revient a vécu longtemps ailleurs, en Chine. Il vit avec une brillante jeune Chinoise qui, venue de sa campagne, est sortie major de sa promotion à l'Institut de Technologie de Pékin. Ensuite, elle est allée à Shanghai, elle a rencontré Jérôme. Ensemble, ils ont créé une start-up, et ils viennent en Europe pour signer un accord avec un grand groupe anglais. Tout ça est suggéré dans le film, pas vraiment expliqué, mais tout est vrai. Le monde flotte autour de la petite ville. Les moyens de communication modernes jouent leur rôle. C'est Bertrand Tavernier qui, en voyant le film, a dit :
"C'est la première utilisation du portable comme Feydeau l'aurait fait !".
En avançant dans l'écriture, je voyais bien que cela n'allait pas partir, comme je l'ai dit tout à l'heure, sur les chapeaux de roue, qu'en fait on allait rentrer progressivement dans des ambiances et que, par couches successives, ces ambiances finiraient par faire sujet. C'est ça qui m'a intéressé, c'était le défi. Ne pas se lancer tout de suite dans une comédie à gags, mais dans un monde où l'on serait pris peu à peu dans les fils qui se tissent entre les personnages. On les découvre, les uns après les autres, avec leurs vies, leurs désirs et leurs failles. Et à la fin, musicalement, on va vers quelque chose qui est le climax du film, dans ce festival de musique autour du concerto no 1 de Schumann. On est, dans ce final, à la limite de l'opéra que j'aime tant.
Le film au tournage est devenu plus drôle et en même temps plus émouvant que ce que j'imaginais au départ. Ce que j'aime beaucoup dans l'histoire c'est que ces
Belles familles sont au pluriel. Il y a une famille bien sûr, mais surtout une deuxième famille... Et je peux vous dire que dans ma ville natale, on ne parlait que de ces histoires-là. Ceux qui ont vu le film et qui connaissent la ville m'ont dit : "Ah mais là ca ressemble à l'histoire de ... ?". "Mais oui, c'est ça ! ". Il faut dire que j'ai eu une gaîté à écrire, parce que j'étais chez moi. Tout, je connaissais tout ! Les personnages ressemblent tous à des gens que j'ai connus. Les petites et les grandes aventures, je sais qu'elles sont arrivées à untel, à moi, à d'autres. Il ne s'agissait pas d'inventer à tout prix...
Depuis très longtemps je voulais travailler avec Mathieu Amalric, et quand j'ai commencé à penser au personnage, j'ai su que le moment était venu. Parce qu'il exprime une pensée, rien que par sa présence, une pensée en mouvement. J'ai vite compris qu'au fond il me représentait. Vous dites
"l'anguille" et il y a de cela dans le personnage, en tout cas il y a une chose qui est un peu la mienne, c'est que je peux être très pressé, très agité, en même temps je peux être absolument dans l'attente, comme un lièvre dans les hautes herbes qui ne bouge pas tant qu'il n'entend pas les chasseurs s'éloigner. Donc ce mélange de rapidité et de réflexion, de lenteur même, me ressemble. C'est ce que Mathieu exprime, magnifiquement. Mais, bon... ça ne l'a pas trompé. Dès qu'il a lu le scénario, il m'a dit : "Enfin vous parlez de vous !".
Effectivement, je n'ai jamais été aussi heureux sur un tournage que sur celui-là. Je n'avais pas de crainte, je connaissais tout, j'étais chez moi, avec une équipe extraordinaire et peut-être, le fait que tout le monde savait qu'il y avait dix années que je ne m'étais pas trouvé sur un plateau, tout le monde voulait m'aider à revenir, oui ! A commencer par mes producteurs, qui sont devenus des amis, qui m'avaient déjà aidé en sauvant
Bon Voyage qui avait failli ne pas se faire, et qui, cette fois encore, sont venus sauver le soldat Rappeneau et le film ! Et puis les acteurs, qui ont formé autour de moi comme une nouvelle famille. Je les adore tous. Marine, Karin, Nicole, Gemma, Claude Perron et Mathieu, et Guillaume, et André Dussollier avec qui je rêvais depuis toujours de travailler, et Jean Marie Winling, qui était déjà dans Cyrano, et Gilles Lellouche que je trouve extraordinaire dans le rôle de Grégoire Piaggi, le promoteur, le prince de la région. Dans ses moments de panache, il m'a souvent fait penser à Yves Montand. En même temps, il peut être un homme qui souffre et dans cette souffrance il est bouleversant.
C'est vrai que je suis très regardant sur le tempo, sur le rythme. Un film, c'est comme un ressort qu'on tend et qu'on détend, et il ne faut pas perdre la tension, ne pas laisser le film flotter, comme une voile qui flotte le long du mât quand le vent tombe. Là, tout peut foutre le camp. Pour arriver à ce travail sur le rythme, c'est très long, très compliqué et tout ça, c'est pour aboutir à une grâce. Romain Gary disait :
"La grâce, c'est le mouvement". J'aime que les personnages soient en mouvement, dès que ça ne bouge plus je m'inquiète, mais en même temps il ne faut pas que cela se voie.
Patrick Modiano, avec qui j'ai écrit Bon Voyage, disait :"C'est ton serti invisible". C'est un terme de bijoutier, pour certaines pierres, il ne faut pas voir comment elles tiennent. Je veux qu'on ne voie dans la scène que les sentiments qu'elle exprime.
Notre cher Gérard Depardieu avait remarqué, comme tous les acteurs avec moi, que je me balance pendant qu'ils jouent, parce que je bouge dans le rythme des répliques, donc puisqu'il y a des mouvements, autant que le metteur en scène soit aussi en mouvement... Il y a des acteurs que cela gêne beaucoup, mais lui, Gérard, il aimait beaucoup ça. Un jour, sur , il est lancé dans une grande tirade, puis, d'un seul coup il s'arrête."Qu'est-ce qui se passe ?", je pense qu'il a un malaise, mais il me dit : "Non, c'est toi qui ne bouge plus !". Effectivement, il avait oublié un vers, du coup, ça m'avait stoppé net, il l'avait vu immédiatement...
La mise en scène c'est quand même l'art de gérer des personnages dans un espace. Et l'espace, c'est d'abord un lieu, un décor et tant que je n'ai pas trouvé ce lieu, la scène pour moi n'existe pas. Ensuite, une fois que j'ai tous les décors, que j'ai les plans, les maquettes, que je connais les lieux, que je les ai parcourus en long, en large, que je connais la distance entre les murs, la porte et la fenêtre, alors j'attaque ce moment très particulier du découpage. Pour moi, c'est là que le film se fait. C'est un travail que je fais avec ma scripte. Pendant longtemps ça a été ma soeur Elizabeth, maintenant je le fais avec
Chantal Pernecker, une technicienne de cinéma hors pair. On s'enferme dans mon bureau pendant quelques semaines, et on fait le découpage. Ca consiste pour moi à inventer, à imaginer le déplacement dans ces espaces que je connais parfaitement, au centimètre près. Donc, devant Chantal, je joue les scènes. J'entre, je me déplace, je parle. Et elle est la première spectatrice. "Mais comment est-ce que tu peux voir le ...? Peut être qu'il y a une glace ?". "Ah oui une glace, attends... ". Et je dessine le plan de la glace. Et, petit à petit, le film se construit, imageaprès image, avec aussi les déplacements des acteurs.
Je me souviens de ma soeur Elisabeth avec qui je faisais le découpage de qui était allongée sur le tapis, et qui disait : "J'en ai marre de jouer la mort de Cyrano !". J'insistais :"Reste un instant encore, là je regarde si j'ai besoin d'un travelling.... "Oui, mais j'ai mal aux reins !". Ce découpage permet de sentir si les mouvements sont justes, parce qu'au fond on travaille pour les acteurs, ce sont les acteurs qui font le film, qui lui donnent sa chair. Alors pour qu'ils soient bons, pour qu'ils soient à l'aise, il faut qu'ils soient dans un vrai sentiment. Et le mouvement exprime le sentiment, mieux que des mots. Par exemple, dans le film, Marine Vacth fait entrer, grâce à un chemin secret, Mathieu Amalric dans cette maison qui a été leur maison d'enfance à tous les deux, dans des époques différentes. Tout est abandonné, c'est une désolation. Il se tourne vers elle et écarte les bras, elle écarte les bras elle aussi. Et c'est toute la nostalgie de leurs souvenirs qu'ils expriment ainsi, sans un mot.
La musique, c'est le seul moment où un type comme moi qui est un peu devenu le film vivant, un type qui s'est occupé de tout, même de la taille des bougies ou de la place des petits pains sur une table, va devoir confier les clefs de la maison à un autre artiste : le musicien ! C'est pour moi et pour d'autres un suspense terrible : qu'est-ce qu'il va nous trouver ?
Cette fois j'ai fait appel à qui est un grand mélodiste. A sa demande, on avait fait venir un piano dans mon bureau. Il venait chaque semaine et me jouait des thèmes. Certains me plaisaient, d'autres moins, il les écartait immédiatement. Il revenait aux premiers, les modifiait, les améliorait devant moi en direct. Pas de bataille d'égo, pas d'amour propre, il y a une telle connivence entre nous depuis toujours...On avançait ensemble, c'est si rare.
Et l'enregistrement à Londres fut un grand moment de bonheur... filial !
C'est un moment heureux pour moi. Il n'y a plus de risques. Il n'y a plus la course contre la montre. Si on ne finit pas aujourd'hui, on reprendra demain matin. Alors que, sur le tournage, on passe son temps à regarder l'heure ! Même si les résolutions que j'avais prises après l'arrêt du film qui ne s'est pas tourné m'avait fait choisir un sujet plus simple à réaliser, donc moins stressant à faire, une seule chose me préoccupait : que le monde, la mondialisation soient présents à l'image. Mes producteurs l'ont compris. Grâce à eux, Shanghai, Londres, Zanzibar sont dans le film, nous y avons vraiment tourné !
Véronique Lange a d'abord monté seule le découpage prévu. Je l'ai rejointe à la fin du tournage et là, nous nous sommes autorisés à changer l'ordre des choses. Enfin, légèrement...Véronique fut la monteuse de mon ami Claude Miller, et nous nous sommes entendus à merveille. Ce fut un moment harmonieux. Elle a une grande sensibilité, beaucoup de finesse... et un rire dévastateur.
La mise en scène de Jean-Paul Rappeneau est dynamique et ne manque pas d'élégance.
Elle tient la cadence face à un scénario, toutefois, sans aucune originalité. Une simple satire de notre époque qui frôle tous les poncifs. Trop alambiqué, aussi, il peine à trouver son véritable envol.
Si la dérision est de mise, trop d'intrigues finissent par nuire à l'intérêt que l'on pourrait porter aux principaux protagonistes.
Je retiens la très belle photographie. Un beau casting aussi, certes. Mais une course folle ajoutée à la multiplication des personnages ne donnent pas aux acteurs une chance d'exister individuellement.