Genre: inclassable, trash, érotique (interdit aux - 16 ans)
Année: 1990
Durée: 1h54
L'histoire : Un inconnu est à la recherche de Laura, son amour perdu. Blessé, il arrive un soir d'orage à proximité d'une grande bâtisse où il voit deux femmes à demi nues en train d'enterrer un corps dans le jardin. Alors qu'il arrive sur le pas de leur porte, il perd connaissance. Les deux femmes l'attachent alors sur un lit et très vite, en font un objet de plaisir entre leurs mains. Mais les fantasmes vont rapidement céder la place à la folie et à la mort.
La critique :
Nikos Nikolaïdis: "En tournant Singapore Sling, j'avais l'impression de faire une comédie qui comprendrait quelques éléments de la tragédie grecque antique. Plus tard, quand certaines critiques ont dit du film qu'il était l'un des plus dérangeants de l'histoire du cinéma, j'ai commencé à croire que je devenais fou. Puis, quand les censeurs ont interdit le film en Grande Bretagne, j'ai réalisé qu'après tout, nous devions tous l'être un peu". Voilà, le réalisateur lui même a planté le décor.
Alors attention, avis d'atterrissage d'un très gros ovni sur le blog, j'ai nommé Singapore Sling. Absolument inclassable, cette oeuvre unique se révèle être incroyablement fascinante et ce, malgré un scénario assez basique. Rarement un film m'aura autant envoûté.
Car Singapore Sling, c'est avant tout une atmosphère. Une ambiance onirique sur lignée par une photographie en noir et blanc d'une beauté à couper le souffle. Du vrai papier glacé. Sur une musique de vieux polar, d'entrée, le contexte se veut oppressant et malsain. On sent dès le début du film que l'on va assister à quelque chose qui sort de l'ordinaire et sur ce point, on ne va pas être déçu... A travers un huis clos suffocant, Nikolaïdis nous entraîne dans un terrible voyage au plus profond des méandres de la sensualité obscène et d'une incroyable perversion.
La distribution est réduite au strict minimum et ne comprend que trois interprètes: le grec Tanos Thanassoulis, l'anglaise Meredith Herold et la (très troublante) française Michèle Valley. Attention spoilers: Par une nuit d'orage, un homme blessé par balle arrive aux abords d'une villa. En voix off, il nous explique qu'il est à la recherche de Laura, l'amour de sa vie.
Bien qu'il se doute qu'elle soit morte, une force irrépressible le pousse à continuer son enquête. C'est alors qu'il aperçoit dans le jardin, deux femmes à moitié dénudées en train de creuser un trou pour y mettre un cadavre. Parvenu difficilement sur le pas de la porte, il perd aussitôt connaissance. Les femmes (qui sont mère et fille en l'occurrence) l'allongent et en fouillant ses poches, trouvent un calepin dans lequel est notée la recette du singapore sling, un cocktail autrefois consommé en Asie du Sud Est. De ce fait, elles baptisent l'inconnu de ce nom un peu particulier.
Mais au lieu de le secourir et de le soigner, la mère et sa fille, dont la folie n'a d'égal que l'impudicité, attachent l'homme sur un lit. Dès lors, il va devenir la proie sans défense de leurs fantasmes érotiques. Car le malheureux est à mille lieux de se douter qu'il vient de tomber sous les griffes de véritables mantes religieuses aux pratiques sexuelles sadiques et dépravées. Et pour lui, le programme des festivités va être plutôt gratiné: urophilie forcée, vomissements faciaux, électrodes qui le transforme en gigantesque vibromasseur naturel etc.
Sans avoir un instant d'empathie à l'égard de leur captif, et alors que le pauvre homme n'a rien mangé depuis des lustres, les deux femmes festoient devant lui jusqu'à ce que le repas ne devienne qu'une orgie de régurgitations. Pourtant, peu à peu, la fille s'identifiant à Laura, dispute à sa mère les faveurs de Singapore Sling. Pour mieux assouvir leurs désirs, elles commencent à lui laisser plus de liberté et l'utiliseront au cours de triolismes sulfureux. Mais c'est alors que débutera une irrémédiable descente aux enfers ou chacun des protagonistes sera emporté par une folie sans issue.
Singapore Sling ne peut se comparer à aucun autre film. Doté d'un esthétisme à tomber par terre, cette oeuvre d'art est une véritable merveille. Quant aux audaces cinématographiques de Nikos Nikolaïdis, elles ont de quoi déstabiliser le spectateur le plus aguerri.
Passant des scènes absurdes aux plus provocantes en un clin d'oeil, jouant d'une ambiance de polar à des situations trashs sans la moindre transition, passant d'un air jazzy de Glenn Miller à l'envolée d'un piano signée Rachmaninov, le cinéaste grec cherche constamment à brouiller les pistes et à provoquer le malaise. Idem quand les acteurs s'expriment. L'homme n'ouvre jamais la bouche et narre son récit en grec; la fille parle en anglais et la mère jongle sans cesse entre l'anglais et le français, traduisant souvent les paroles qu'elle vient juste de prononcer.
Il n'est pas rare également qu'elle s'adresse à la caméra dans des poses lascives, prenant à témoin le spectateur. L'interprétation est, du reste remarquable et si Tanos Thanassoulis subit plus qu'il ne joue, la performance hallucinée des deux actrices est tout bonnement exceptionnelle.
A mi-chemin entre la fantasmagorie des frères Quay et la magie de Guy Maddin, Singapore Sling s'impose immédiatement comme une oeuvre culte pour les amateurs d'un cinéma (très) différent. A la fois beau et cruel, le film de Nikolaïdis n'est certainement pas à mettre entre toutes les mains. De ce fait, l'interdiction aux moins de 16 ans est très largement justifiée. En effet, le film est souvent ponctué de scènes de lesbianisme, de sadomasochisme, d'inceste ou encore de caresses très intimes, prodiguées avec de la nourriture. Flirtant allègrement avec le surréalisme, d'une poésie aussi crue qu'elle est raffinée, Singapore Sling ressemble à un rêve macabre où le réel et l'imaginaire s'entremêleraient magnifiquement; un délicieux cauchemar où les plaisirs charnels sont amenés à leur paroxysme pour réduire les personnages à l'état d'esclaves jusqu'à un point de non retour.
Il est évident que ce film risque de choquer les âmes prudes mais pour les autres, préparez vous à un très grand moment de cinéma. Singapore Sling va vous scotcher, vous heurter, vous révolter peut-être, mais il va vous emporter dans un tourbillon de sensualité que vous ne serez pas prêt d'oublier. Bref, en un seul mot: MAGISTRAL.
Note : 18/20
Seconde Chronique :
Le nom de Nikos Nikolaïdis ne doit pas vous évoquer grand-chose. Pourtant, l'artiste est un réalisateur très connu dans son pays (la Grèce). Décédé en 2007 à l'âge de 68 ans, le cinéaste laisse derrière lui plusieurs films de prestige. Néanmoins, Nikos Nikolaïdis reste largement (trop) méconnu en France. Seul Singapore Sling, sorti en 1990, fait figure d'exception.
Un propos tout de même à minorer tant le film reste confidentiel en Europe. Cependant, le long-métrage s'est taillé une certaine réputation auprès des amateurs de films expérimentaux, trash et extrêmes. En l'occurrence, Singapore Sling appartient à la classe de ces longs-métrages "OFNI" (objet filmique non identifié).
Toutefois, réduire Singapore Sling à un simple film trash et extrême serait une grave erreur. Le long-métrage fait clairement partie des petits bijoux hélas trop méconnus du noble Septième Art. Inutile de mentionner les acteurs, au nombre seulement de trois, et tous inconnus au bataillon. A moins que les noms de Meredyth Herold, Panos Thanassoulis et Michele Valley vous disent quelque chose, mais j'en doute. Difficile de parler d'un "OFNI" tel que Singapore Sling.
Le plus simple est peut-être de commencer par le synopsis. Attention, SPOILERS ! Il se faisait appeler Singapore Sling. Et c'était vraiment le genre de type à se retrouver dans des histoires qui ne mènent nulle part, poursuivant contre vents et marées des causes perdues. La sienne s'appelait Laura.
Cela faisait déjà de nombreuses années qu'il ne l'avait vue. Il avait le pressentiment qu'elle était morte depuis longtemps et qu'il était amoureux d'un cadavre. Mais il n'arrivait pas à se résoudre à abandonner ses recherches. C'est par une nuit de tempête que, blessé et sachant qu'il n'a plus rien à perdre, il parvient au seuil d'une maison dont il est sûr qu'elle est celle où vit désormais Laura.
Au plus profond de la nuit deux femmes sont là, à demi-nues, qui s'efforcent d'enterrer le corps d'un homme. L'épaule trouée par une balle, Singapore Sling ne peut rien faire. Plongé dans l'obscurité et la brume des souvenirs, il attend le jour pour pénétrer dans la maison. Il espère y retrouver enfin sa Laura, revivre son histoire d'amour et perdre le Nord à nouveau.
Tel une mouche qui se prend dans la toile de l'araignée, Singapore Sling va tomber entre les mains de ces deux femmes démoniaques qui vont se livrer sur lui à des jeux cruels du plaisir. Ligoté, violé et torturé, son sort sera amer. Elles iront au bout de leurs fantasmes sexuels, jusqu'à ce que plaisir et souffrance se confondent, dans un rituel incestueux, lesbien et sadomasochiste.
Pour ceux et celles qui apprécient les films réalistes, grand public et/ou consensuels, merci de quitter leur siège et d'aller faire un petit tour ! Singapore Sling pourrait se définir comme un véritable écheveau de plusieurs genres et références : le cinéma d'Otto Preminger, l'univers noir de Roman Polanski première période (Répulsion, Le Locataire ou encore Rosemary's Baby), et un surréalisme total qui est clairement un hommage à Luis Bunuel (entre autres, Un Chien Andalou).
Bref, nous sommes bien en présence d'un film complètement barge, souvent ésotérique, mais au scénario à la fois laconique et compréhensible. Tout d'abord, le film se démarque par ses dialogues fantasques et fuligineux. Dans un premier temps, le film est commenté par la voix-off du narrateur et du héros principal, donc le fameux Singapore Sling.
A contrario, celui-ci reste étrangement muet tout au long du film subissant les sarcasmes, les roueries et les dépravations de ces deux nouvelles comparses, une mère et sa fille. En revanche, les deux femmes se montrent beaucoup plus prolixes. Généralement, elles s'adressent directement à la caméra et délivrent de longues homélies, où il est souvent question de fantasmes sexuels et morbides.
Si la narration du film est racontée en grec, les dialogues varient entre la langue de Shakespeare et celle de notre bonne vieille contrée hexagonale. Par ce procédé, Nikos Nikolaïdis cherche clairement à semer la confusion dans le cerveau du spectateur ébaubi. Contre toute attente, le héros du film est rapidement supplanté par les deux femmes, véritables héroïnes du film.
Ce sont elles qui vont dicter les préceptes (souvent abscons) de leur immense demeure cossue, transformée en amphithéâtre de l'horreur, où se mélangent onirisme, ébats sexuels libidineux et tortures machiavéliques. Parfois, Singapore Sling prend la forme d'un film noir avec une imagerie lugubre, teintée de quelques clartés vespérales, et des personnages à la fois charismatiques, torturés et déchirés par la vie.
Le narrateur apparaît comme un être indolent et nonchalant, à la recherche d'un Empyrée terrestre, mais totalement dépitépar la perte de sa dulcinée. Subissant passivement les sévices des deux gourgandines, le héros va peu à peu s'immiscer dans un jeu cruel, où il est aussi question de mort et d'agapes copieux et pantagruéliques. A d'autres moments, Singapore Sling se sublime en film pornographique soft. Le sexe, la bouffe, les délires orgiaques, les élégies tendres et lyriques et les fantasmes eschatologiques sont totalement confondus par les louvoiements du film.
Nikos Nikolaïdis nous convie dans un trip hallucinatoire, éthéré et fantaisiste, tout en multipliant les séquences chocs et extravagantes. Emétophilie, hématémèse, triolisme, saphisme et diverses paraphilies font partie des réjouissances. Pourtant, malgré la profusion de scènes licencieuses et malsaines, le film parvient à exercer une étrange fascination sur le spectateur.
Le long-métrage doit beaucoup au jeu "félin" de ses deux actrices principales. Mention spéciale à Meredyth Herold, à la vénusté sauvage, libidineuse et animale qui noie littéralement la caméra de ses caresses sensuelles. Bref, Singapore Sling est un "OFNI" à découvrir de toute urgence pour tout amateur d'oeuvres totalement atypiques.
Note : 18/20