Dans ce chapitre sur la contruction du personnage, Syd Field (Screenplay – The foundations of screenwriting) commence par rendre hommage à Sam Peckinpah et à mentionner l’un des thèmes favoris de ce dernier :
Des hommes qui ne changent pas dans des temps qui changent.C’est ainsi que le thème de la disparition des valeurs traditionnelles de l’Ouest est annoncé dès Coup de feu dans la Sierra écrit par N.B. Stone Jr.
Pour le Major Dundee écrit par Oscar Saul, on retrouve en filigrane le thème et lorsque James Coburn demande à Sam Peckinpah ce qu’il y avait dans le personnage de Dundee ce qui attirait Peckinpah pour en faire un film, ce dernier répondit :
« Parce qu’il continue. A travers toute la merde, tous les mensonges, toute l’ivresse et le n’importe quoi que traverse le major Dundee, il survit et il continue. »
La horde sauvage (Walon Green et Sam Peckinpah, adapté d’une histoire de Walon Green et Roy N. Sickner) relate les derniers jours d’une bande de bandits tentant d’exister dans un monde moderne qui ne leur correspond plus.
Un nommé Cable Hogue de John Crawford et Edmund Penney suit trois ans dans la vie de Cable Hogue durant la période transitoire où l’Ouest ancien était en train de disparaître.
Syd Field s’est intéressé à la manière dont Peckinpah construisait ses personnages. Selon Field, Sam Peckinpah a su montrer des aspects de ses personnages qui reflétaient son thème de prédilection : à savoir de ne pas appartenir, d’être en-dehors et surtout et en quelque sorte à la traîne derrière le temps.
Et comment Peckinpah a su trouver les métaphores pour indiquer les changements et leurs impacts sur ses personnages et comment il réussissait à tisser ces concepts dans des moments d’action visuelle.
Lorsque Syd Field demanda à Peckinpah comment il structurait ses histoires, celui-ci lui répondit qu’il accrochait ses histoires autour d’une pièce maîtresse. Il construisait l’action jusqu’à un certain événement (la pièce maîtresse) puis il laissait tout le reste être la conséquence de cet événement.
Dans La Horde Sauvage, cet événement est l’attaque du train et le vol des armes. Une fois que les personnages ont été introduits et l’histoire lancée, tout mène à l’attaque du train et le reste de l’histoire se déploie comme une conséquence de cette séquence de l’attaque et surtout du vol des armes.
Major Dundee nous conte l’histoire du major Charles Amos Dundee dans sa quête implacable pour retrouver la piste d’une bande de renégats Apache et de sauver les enfants pris en otage.
Le massacre qui ouvre l’histoire prépare cette quête ainsi que l’obsession qui va hanter Dundee. Celui-ci se moque de comment il va accomplir cette quête ou du prix que devront payer d’autres pour sa réussite. C’est cette obsession qui motive le personnage et le fait agir tout au long de la fiction. C’est un besoin dramatique (Dramatic Need dans la littérature anglo-saxonne), c’est son but (et sa légitimité), sa mission, c’est une force dramatique motrice qui propulse l’histoire.
L’Opening Sequence
Syd Field insiste sur l’importance de la séquence d’ouverture. Le script de Major Dundee (cette version n’est pas celle du film) s’ouvre sur une fête d’Halloween dans un ranch isolé juste avant la fin de la Guerre de Sécession. Il y a de la musique, de la danse et des rires. Les enfants costumés s’amusent à se faire peur.
Puis soudainement, le script montre le visage d’un Apache peint aux couleurs de guerre. Alors que la fête bat son plein, les Apache lancent leur attaque, massacrant tout le monde sauf les enfants mâles et les chevaux.
Pour Syd Field, cette séquence telle qu’elle était prévue dans cette version du script est du pure Peckinpah. Il note le contraste puissant entre les enfants costumés et les visages peints des Apache tuant et scalpant.
Ce qui est remarquable aussi est la description que donne Peckinpah du Major Dundee :
« Opinionated, strong-willed, quick-tempered__ An artist, perhaps a sculptor of battle, who knows that for him death is as close as the owl perched upon the thigh of night. …He gives orders well and takes them badly…. A wise man who can be a fool… who will go his own way come hell or high water… who so far has yet to fail. »
Bûté, une volonté de fer, colérique. Un artiste, peut-être un sculpteur de bataille, qui sait bien que la mort est aussi proche que le hibou perché au cœur de la nuit… Il sait donner des ordres et les reçois mal… Un homme sage qui peut être aussi un fou… qui suivra son propre chemin contre vents et marées.. qui jusqu’à maintenant n’a pas encore échoué.
Le Major Dundee est un excellent exemple de personnage entièrement formé et réalisé, multidimensionnel, des gens vrais dans des situations vraies.
La tâche consiste donc pour un auteur qui a une idée de personnage nécessairement confuse, fragmentée, de transformer cette idée en une personne vivante, de chair et d’os, une personne dans laquelle on puisse s’identifier, se reconnaître (au moins sur certains points) et pourtant fictive.
La question est donc de savoir comment insuffler la vie dans vos personnages, comment les construire.
Cette construction fait partie du processus de création et elle est donc, de ce fait, un processus continu, sans fin. Puisqu’il s’agit d’une construction, il faut poser les fondations du personnage et tisser littéralement sa vie. Puis il faudra ajouter les ingrédients qui élèveront et développeront votre personnage pour éviter le stéréotype et atteindre véritablement aux trois dimensions. La création d’un personnage finalement, c’est de savoir qui il est vraiment.
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CREEZ DES PERSONNAGES FORTS ET CREDIBLES
Les mêmes besoins
Une bonne démarche consiste à se demander quels sont les besoins et les désirs d’un personnage. Tout comme dans la réalité, nos personnages ont des envies, des désirs, des exigences pour eux ou les autres, des besoins.
Les quatre qualités indispensables qui définissent un personnage sont :
- Le personnage a un puissant besoin dramatique (Dramatic Need). Ce besoin est ce qui motive le personnage, le pousse à agir, à aller au-delà même de ses possibilités. Ce besoin est un élément dramatique indispensable, c’est à lui que le personnage s’accroche et c’est par lui que le lecteur comprend le comportement du personnage.
- Le personnage doit avoir un point de vue personnel.
- Le personnage personnifie une attitude.
- Le personnage évolue, sa personnalité change. C’est un être différent à la fin de l’histoire de ce qu’il était au début de celle-ci. Ce processus de transformation, de transfiguration du personnage est connu sous le terme d’Arc Dramatique.
Correctement mis en place et fonctionnels, ces quatre éléments devraient permettre de créer de bons personnages.
Dramatic Need
Le Dramatic Need ou Besoin dramatique est ce que vos personnages principaux veulent gagner, acquérir, obtenir ou accomplir dans votre histoire. Le besoin dramatique est ce qui motive votre personnage au long de votre histoire, c’est ce qui le pousse à continuer d’agir malgré tout ce que l’intrigue lui met dans les roues pour l’empêcher d’obtenir l’objet de son désir, d’accomplir son but dans cette histoire.
Lorsque vous aurez formulé le besoin dramatique de votre personnage, vous aurez défini un objectif à atteindre pour celui-ci (un objet visible) mais sous l’objet, il y a une force motrice, une énergie, une motivation qui donne la force nécessaire à votre personnage pour continuer, pour aller jusqu’au bout (même si à un moment donné, lui-même et le lecteur auront le sentiment que tout est perdu).
Ce Besoin dramatique doit être défini avant même que vous commenciez le processus d’écriture de votre script.
Dans Thelma et Louise, le besoin dramatique est de se rendre saines et sauves à Mexico. C’est ce besoin qui anime Thelma et Louise au cours de ce road-movie désespéré.
Dans Retour à Cold Mountain, Inman et Ada ont chacun un besoin dramatique. Celui d’Inman est de rentrer chez lui et de retrouver Ada. Celui d’Ada est de survivre et de s’adapter aux conditions de sa situation.
Vous noterez que la question dramatique est directement liée au besoin dramatique.
Dans Apollo 13 de William Broyles Jr. et Al Reinert, d’après le livre Lost Moon de James Lovell et Jeffrey Kluger, le besoin dramatique de l’histoire est de marcher sur la lune, c’est la mission d’Apollo 13. La question dramatique est donc apparemment de savoir s’ils réussiront. C’est alors que la véritable question dramatique, le besoin dramatique devient le retour sain et sauf sur terre. L’objet de l’histoire devient une question de survie : Survivront-ils est la question dramatique.
Si le besoin dramatique doit changer au cours de l’histoire, Syd Field note que cela intervient de manière très générale au Plot Point 1 qui est en fait le passage entre l’acte 1 et l’acte 2.
C’est à ce Plot Point 1 que le héros généralement prend en charge le problème de l’histoire c’est-à-dire qu’il découvre son besoin dramatique. Notez que l’acte Deux que Field nomme Confrontation est le début de l’intrigue, c’est-à-dire le début véritable de votre histoire.
Dans Thelma et Louise, l’événement décrit au Plot Point 1 est lorsque Louise tue Harlan. Tout du long du premier acte, le besoin (ce qui animait Thelma et Louise) était de passer un week-end toutes les deux dans les montagnes. A partir du meurtre d’Harlan, le besoin dramatique véritable de l’histoire devient celui de fuir les autorités et trouver refuge à Mexico (et la question dramatique soulevée est de savoir si elles réussiront à parvenir saines et sauves à Mexico).
L’objectif est de s’évader.
Répondez vous-même aux questions suivantes avant de vous lancer tête baissée dans l’écriture de votre scénario :
- Quel est le besoin dramatique de votre personnage principal ? Si vous l’ignorez, vous êtes condamné à errer dans les limbes que votre muse se prenant pour Dédale ne manquera pas de tisser et vous vous retrouverez bloqué ne sachant plus quelles décisions vos personnages doivent prendre pour que l’intrigue continue d’avancer.
- Pouvez-vous le définir en quelques mots ? (indispensable, vous n’avez pas à créer un livre entier sur la psychologie de votre personnage pour l’instant).
- Est-ce que d’autres personnages dans votre histoire profiteraient eux aussi d’un besoin dramatique spécifique (pensez à Inman et Ada de Retour à Cold Mountain).
That’s all folks pour le moment. Nous continuerons cette étude dans le prochain article.