L'Homme irrationnel "Irrational Man"

Par Cinealain


Avec Joaquin Phoenix, Emma Stone, Parker Posey,

Jamie Blackley, Meredith Hagner, Ben Rosenfield, Susan Pourfar

est un homme dévasté sur le plan affectif, qui a perdu toute joie de vivre. Il a le sentiment que quoi qu'il ait entrepris - militantisme politique ou enseignement - n'a servi à rien.

Lorsqu'il débarque à Braylin, modeste université de la Côte Est où il est censé enseigner pendant un été, il est précédé d'une réputation d'intellectuel controversé ayant vécu des événements tragiques. Il devient un sujet de discussion entre enseignants et un objet de grande curiosité de la part des étudiants. Si son excentricité et son charisme sont à la hauteur de sa réputation, sa dépression en surprend plus d'un. Il déconcerte également ses étudiants en leur expliquant que bon nombre de théories philosophiques sont d'une totale vacuité et ne répondent pas aux questionnements existentiels les plus importants.

Peu de temps après son arrivée, Abe entame deux liaisons.

prof de sciences malheureuse dans son couple. Elle n'est pas satisfaite par son métier, elle boit trop, fume des joints et rêve d'une vie plus épanouissante et plus passionnante. Elle a fantasmé sur Abe, en pensant qu'il tomberait amoureux d'elle et qu'il la sauverait de cette vie misérable.

vit dans cette petite ville depuis toujours, si bien qu'elle a envie de suivre ce cours de philo qui, espère-t-elle, va lui ouvrir de nouveaux horizons. Si Jill est amoureuse de son petit copain Roy , elle trouve irrésistibles le tempérament torturé et fantasque d'Abe tout comme son passé exotique.

Et tandis que les troubles psychologiques de ce dernier s'intensifient, Jill est de plus en plus fascinée par lui. Mais quand elle commence à lui témoigner ses sentiments, il la rejette. C'est alors que le hasard le plus total bouscule le destin de nos personnages dès lors qu'Abe et Jill surprennent la conversation d'un étranger et s'y intéressent tout particulièrement.

Après avoir pris une décision cruciale, Abe est de nouveau à même de jouir pleinement de la vie. Mais ce choix déclenche une série d'événements qui le marqueront, lui, Jill et Rita à tout jamais.

"Depuis que je suis tout petit, je suis attiré, pour je ne sais quelle raison, par ce qu'on appelle en général les "grandes questions existentielles" (...). Dans mon parcours professionnel, j'en ai fait des sujets qui prêtent à rire lorsqu'il s'agit d'une comédie et, s'il s'agit d'une oeuvre plus sombre, des objets de conflit entre mes personnages." déclare Woody Allen.

Après plusieurs incursions dans la comédie romantique d'époque telle que Minuit à Paris ou Magic in the Moonlight, il semblerait que Woody Allen revienne avec L'Homme irrationnel au thriller amoureux et philosophique à l'instar de Match Point, un des plus grands succès du réalisateur.

Ce film marque également une nouvelle collaboration entre Woody Allen et Darius Khondji, son chef opérateur attitré depuis quelques années. Sauf que ce dernier compose ici une image bien éloignée de l'univers romantique et lumineux qu'il avait pu créer lors des tournages de et de . Ainsi, le réalisateur a notamment déclaré qu'il ne souhaitait pas : "Styliser l'image à outrance car le plus important, c'est que le spectateur se passionne pour le parcours des personnages, et les comédiens ont parfaitement joué le jeu."

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Woody Allen est un fan de Jazz, ses films en sont toujours fortement imprégnés et il est lui-même joueur de trompette. L'Homme irrationnel n'échappe pas à la règle puisque la bande originale du film reprend plusieurs morceaux du groupe Ramsay Lewis Trio, comme

Le metteur en scène en témoigne : "Cette musique possède un tempo et une énergie qui s'accordent très bien aux images, que les personnages conduisent ou marchent à son rythme, ou encore qu'ils se comportent mal. C'est une partition enlevée qui évoque le caractère orageux des personnages."

a été tourné à Newport Comme bon nombre de ses drames intimes, Woody Allen a tourné le film en format large : (dans le Rhode Island) , à Providence et dans ses environs, et le campus de l'université de Salve Regina a servi de cadre au fictif Braylin College. "J'ai souvent le sentiment que ce type de format convient bien aux histoires intimes, contrairement aux idées les plus répandues selon lesquelles seuls le western et le film de guerre correspondent à ce dispositif." analyse le réalisateur.

Ce film marque les retrouvailles entre Woody Allen et Emma Stone que le cinéaste a notamment dirigée dans son précédent film,

"Emma est d'une intelligence innée", déclare le réalisateur. "Elle a un registre de jeu extraordinaire : elle peut être tour à tour hilarante et profondément émouvante."

Ce qui a attiré Emma Stone sur ce projet, outre le fait de retrouver Woody Allen, est le fait que le scénario traite du hasard et du destin.

Deux thèmes très présents dans la filmographie du réalisateur qui explique vouloir à nouveau explorer une philosophie qui lui est chère :

"Je crois ferme dans le caractère totalement aléatoire et futile de l'existence"

"C'est ce que j'ai tenté de montrer dans et qu'Abe enseigne à ses étudiants. La vie tout entière se déroule sans rythme, ni rationalité. Nous sommes tous soumis aux fragiles contingences de l'existence. Comme chacun sait, il suffit d'être au mauvais endroit, au mauvais moment..."

Le coeur du film se trouve dans la relation complexe et ambiguë que Abe commence à entretenir avec une de ses étudiantes, Jill, interprétée par Emma Stone et qui, aveuglé par son romantisme, va tenter de sauver son professeur du pessimisme infini dans lequel il s'est noyé :

"L'idée même qu'elle puisse sauver un type dépressif, alcoolique et suicidaire lui semble valorisante d'un point de vue narcissique. "Elle n'est encore jamais venue en aide à quelqu'un au fond du trou, et elle ne se rend pas compte que cela peut la précipiter, elle aussi, dans l'abîme."

Emma Stone précise à propos de son personnage : "Lorsque Jill découvre Abe, Roy lui apparaît un peu comme un fromage blanc : bon pour la santé, mais pas particulièrement exaltant. Quant à Abe, il est comme un coulis de fruits rouge empoisonné qu'on verserait sur le fromage blanc !"

Joaquin Phoenix interprète à nouveau un dépressif résigné, à l'instar des personnages qu'il a pu incarner précédemment dans Two Lovers, The Master ou Her . Allen estime que Joaquin Phoenix possède une " complexité intérieure " qui correspondait à son rôle. " Tout ce que vous
lui demandez de faire, ou de dire, devient intéressant grâce à cette complexité qu'il dégage naturellement, ajoute le cinéaste. " Il n'est jamais statique. "

"Abe a toujours cherché à faire quelque chose de constructif de sa vie (...). Mais il a vécu des événements terribles et, au bout d'un certain temps, il s'est mis à avoir le sentiment que ses actions, quelles qu'elles soient, étaient inefficaces. Et s'il a aimé son métier d'enseignant autrefois, il estime que ses cours n'auront une incidence majeure que sur un tout petit nombre de ses étudiants.

La plupart d'entre eux mèneront des vies banales et ne se pencheront même pas sur leur passé quand leur fin sera proche."

Une décision d'Abe semble lui donner des ailes. Lui qui se sentait inutile et déprimé déborde soudain d'énergie et d'enthousiasme. "Il retrouve soudain goût à la vie. Il apprécie le vin, il aime faire l'amour et il se régale d'un solide petit déjeuner et d'une bonne nuit de sommeil." confie le réalisateur. Bref, il a envie de vivre. Joaquim Phoenix note : "Abe a de nouveau foi en la vie parce qu'il s'est fixé un but bien précis auquel il croit. C'est exactement ce qu'il cherchait sans même savoir qu'il le cherchait. Il se dit non seulement qu'il fait quelque chose de constructif, mais il a le sentiment de se lancer dans une aventure en mettant son plan à exécution."

Bien entendu, le plan qu'Abe s'apprête à mettre en oeuvre est irrationnel.

Même s'il est capable de rationaliser les choses, cet argument ne résiste pas à l'analyse. "Abe finit par croire dans cette initiative irrationnelle, qui est le fruit de nombreuses années de colère et de frustration et d'une vision déformée du monde et des gens," affirme Woody Allen. Abe estime qu'il est à même d'agir selon son bon vouloir parce qu'il pense pouvoir remettre en question les normes les plus conventionnelles. Mais il n'a rien de l'homme rationnel qu'il croit être. "Comme l'explique la mère de Jill, Abe brille sur la forme, mais le fond n'y est pas. Il manie bien la langue, il est cultivé et utilise des arguments intelligents qui ont l'air convaincants, mais si on le pousse dans ses retranchements, sa rhétorique ne tient pas la route."

Surtout connue pour son attachement au cinéma indépendant, Parker Posey s'est illustrée dans quelques 90 longs métrages, séries ou téléfilms.

En 1997, elle obtient le prix du jury au festival de Sundance en 1997 pour The house of yes : c'est la première fois qu'une comédienne remporte cette distinction habituellement réservée aux films.

Elle a été nommée au Golden Globe pour Hell on heels : the battle of Mary Kay et deux fois à l'Independent Spirit Award pour Broken English et Personal Velocity.

Originaire de Baltimore, Parker Posey a fait ses études à la State University de New York et s'est imposée grâce à la série
As the world turns. Au cinéma, elle décroche son premier rôle important dans Génération rebelle de Richard Linklater. Depuis les années 90, on la retrouve dans plusieurs films indépendants.

"Je crois ferme dans le caractère totalement aléatoire et futile de l'existence" déclare Woody Allen. Partant de cette déclaration ce dernier long-métrage n'étonnera pas vraiment et n'apportera aucun bouleversement majeur dans l'œuvre du cinéaste. La trame reste fidèle à celle qu'il affectionne particulièrement et ne manquera pas de satisfaire ses admirateurs.

Le scénario est habile et parfaitement construit. Les dialogues, toujours excellents sont souvent acerbes. Ils servent magnifiquement le propos. Des voix off ne semblent, toutefois, pas indispensables.

Tous les personnages émettent des points de vue, font des suppositions qui divergent radicalement mais qui, toutes mélangées, nous rapprochent du principal protagoniste. Je retiens un face à face entre Joaquin Phoenix et Parker Posey. Dès ce moment, le film passe de la comédie pure pour virer dans une forme d'humour noir qui ne manquera pas d'étonner.

La photographie du fidèle Darius Khondji reste toujours la même, belle et mordorée. La bande-son confirme l'attrait du cinéaste pour le jazz.

Parker Posey trop rare sur nos écrans est parfaite. Le couple formé par Joaquin Phoenix et Emma Stone fonctionne à merveille.

Fidèle à lui-même, Woody Allen n'impose rien mais signe un nouveau film que l'on découvre avec une certaine délectation.