Genre : hardcore, trash, expérimental (interdit aux - 18 ans)
Année : 2000
Durée : 6 minutes
L'histoire : Dans un appartement exigu, un homme nu se caresse de manière équivoque avec un petit poupon représentant un bébé. Un visiteur sonne à la porte Les deux hommes se serrent la main et commencent à discuter tranquillement. Leur rencontre semble être un rendez-vous où ils vont s'adonner à un jeu sexuel masochiste. Mais très vite, les événements vont dégénérer. C'est à ce moment-là que la poupée entre en scène.
La critique :
Marian Dora, le retour. En vieil habitué du blog, le réalisateur allemand revient encore perturber notre sérénité et notre petite vie de cinéphiles pépères. Ici, nous découvrons le bonhomme à ses débuts, époque où le futur maître du cinéma extrême se faisait encore la main au travers de courts-métrages insanes. Et déjà, le style poétiquement morbide était en place et l'ambiance malsaine au rendez-vous. Au nombre de huit, ces courts-métrages (exclusivement disponibles en bonus sur le dvd de l'ignoble Debris Documentar) retracent le parcours initiatique du cinéaste.
Parmi ces petits films, on peut relever quelques pépites telles que Opus Hominis (1998) ou Carnophage (2001), qui constituent de véritables odes à l'abattage de bovins, version brute de décoffrage. Mais la plus glauque et la plus intéressante de ces oeuvres de jeunesse demeure sans nul doute Der Puppenschänder 2. Basé sur un mini scénario mettant en scène (entre autres) les rapports de domination et de soumission entre deux hommes, ce court-métrage terriblement déstabilisant annonçait ni plus ni moins que son futur "chef d'oeuvre" Cannibal, qui reprendra la même thématique, et que Dora réalisera six ans plus tard.
Dans Der Puppenschänder 2, Marian Dora fait déjà preuve de ce jusqu'au-boutisme qui caractérise son style si particulier. Ne reculant devant aucune image choquante pour étayer son propos, le réalisateur met à mal la bienséance et la moralité du spectateur lors de scènes d'une effrayante crudité. Le film ne met en scène que deux protagonistes, dont Carsten Frank, acteur fétiche de Marian Dora. Quelques mots d'ailleurs sur cet acteur. Doté d'un physique pour le moins banal et à la bonhomie sympathique, ce type réalise des performances absolument hallucinantes devant une caméra.
Et si j'emploie le terme de performances, ce n'est pas un hasard. Présent dans la quasi totalité des films du cinéaste, Carsten Frank repousse toujours plus loin les limites de son jeu (mais à ce niveau, peut-on toujours appeler ça un jeu ?) jusqu'aux frontières de l'extrême. Si, la plupart du temps, Dora lui affecte le rôle du pervers de service, il interprète ici une victime non consentante et comme à l'accoutumée, il s'investit totalement au point de s'abandonner physiquement et sans tabou au service du scénario.
Attention, SPOILERS ! Dans son appartement, un homme nu lèche langoureusement un petit poupon représentant un bébé. A l'aide d'un tire-bouchon puis d'un canif, il perce un trou entre les jambes du jouet. Lorsqu'on sonne à la porte, l'homme enfile un blouson de cuir et accueille un visiteur qu'il semble connaître. Le visiteur s'assoit tandis que son interlocuteur comme à lui faire des avances explicites. Les deux hommes se déshabillent et s'allongent alors que le premier individu continue à lécher sa poupée.
Mais soudain, le visiteur semble changer d'avis et se refuse à son partenaire. Les deux protagonistes commencent à se battre et très vite, l'homme au blouson prend le dessus. Il tue son opposant en lui fracassant le crâne contre un mur puis, il le positionne sur le ventre. Il dépose le poupon sur la croupe de son infortuné compagnon et se masturbe jusqu'à éjaculer abondamment sur le jouet. Puis, comme si de rien n'était, l'homme s'assoie à son bureau et se met à écrire ses impressions, laissant sa vicitime agoniser sur le sol.
Il n'y a guère que Marian Dora (qui, pour l'occasion, a pris le pseudonyme de M.D. Botulino) pour pouvoir se permettre de tels excès. Doté d'un pouvoir de nuisance hors du commun, ce court-métrage est un véritable attentat visuel et psychologique. En effet, comment, même en le niant férocement au plus profond de soi, ne pas imaginer un véritable bébé à la place de cette poupée ? L'image est horrible, traumatisante. En six minutes, et en mêlant trois genres de sexualité hautement transgressifs, le réalisateur nous fait basculer dans un monde cauchemardesque.
En faisant côtoyer l'homosexualité fétichiste, la nécrophilie et une pédophilie suggérée ostensiblement, Marian Dora nous propose quelques minutes de cinéma incroyablement déstabilisants, même pour les spectateurs les plus aguerris. J'avoue que malgré ma longue expérience des films extrêmes avec leur cortège de scènes chocs, l'image de cet homme éjaculant abondamment sur ce "poupon-bébé" est l'une des plus sulfureuses qu'il m'ait jamais été donnée de voir... Dans Der Puppenschänder 2, la violence est surtout et essentiellement psychologique.
Point d'effet gore. Il n'y en a vraiment pas besoin. La scène finale suffit à elle seule à nous estourbir comme des boeufs sous les coup d'un marteau d'abattoir. Plus l'action avance, plus cette violence est sublimée par maelström de sonorités naturelles et d'éléments déchaînés (roulements de tonnerre, fracas de vagues, hurlements d'animaux) qui se muent en une symphonie organique avant de céder la place à un silence total. Quand la jouissance survient, l'organique devient orgasmique...
Dénué de quelconques dialogues, le métrage est filmé à travers une sorte de cache qui recouvre les quatre coins de la caméra. Le côté expérimental ruisselle de la bobine. Tel un explorateur sensoriel, Dora est en train de peaufiner, d'élaborer, de mettre au point finalement le style unique que nous lui connaissons aujourd'hui. Difficile de chroniquer une oeuvre aussi courte. Pourtant le cinéma de Dora est tellement riche que l'on trouve toujours quelque chose de nouveau à dire.
C'est là tout l'apanage d'un grand cinéaste. Absolument scandaleux dans sa démarche, Der Puppenschänder 2 n'en demeure pas moins un petit bijou de dépravation totalement assumé par son auteur. Témoin expert des tourments qui martyrisent l'âme humaine, Dora a encore appuyé là où ça fait (très) mal. Six minutes seulement et son "petit" film a fracassé sciemment les bases de notre morale et la fiabilité de nos certitudes. Une fois de plus, nous ressortons souillés de la projection avec la sensation d'avoir assisté à la défaite de l'homme vaincu par ses démons.
Et de constater que le talent "kolossal" de Marian Dora nous aura mis K.O. une fois de plus.
Note : ?