L’Homme Irrationnel, critique

Par Fredp @FredMyscreens

Après son passage à Cannes, le Woody Allen annuel sort évidemment pour l’automne.  C’est donc @JM_Siousarram qui est allé le voir pour nous donner son avis sur cette cuvée.

En voilà un titre qui veut dire tout et n’importe quoi. L’homme irrationnel, bien plus mystérieux et volatile que la plupart des autres créations du cinéaste New Yorkais qui titillaient déjà notre curiosité à leur évocation : Magic in the moonlight, Le sortilège du scorpion de jade ou encore Whatever works. Quelle facette de Woody Allen allons nous obtenir cette année, le joyeux luron au débit mitraillette qui sert des farces absurdes enroulées dans du papier de velours, ou l’amoureux dépressif qui passe son temps à geindre sur son existence avec des mots que jalousent la plupart des scénaristes hollywoodiens. Remarquez souvent les deux se rejoignent dans un seul et même personnage pour mieux se dispatcher à travers la multitude des seconds rôles.

Au tout premier abord, le fameux homme sans raison possède les traits du comédien le plus irrationnel de sa génération, Joaquin Phoenix, cheveux légèrement gras et embonpoint hérité de son expérience I’m still here avec son complice Casey Affleck. Il est très rare qu’un comédien imprime de manière durable la rétine et l’esprit dans une partition Allenienne, tant la force de son cinéma se situe dans le verbe, la situation et la réflexion. Et pourtant ici, c’est magistral, Joaquin Phoenix est un véritable apollon du 7e art pour la lumière qu’il dégage sur la pellicule.

Il faut dire qu’il est bien aidé en cela par la photographie exceptionnelle de Darius Khondji, déjà à l’oeuvre sur Minuit à Paris. L’éternel interprète de Johnny Cash dans Walk the line y incarne l’écrivain Abe Lucas, éminent philosophe plongé dans la dépression la plus sombre possible au point de n’avoir aucun but dans sa vie quotidienne hormis donné quelques cours en fac entre deux gorgées de Single Malt. Un personnage taillé sur-mesure pour la gueule cassée et le regard volontairement inerte de Joaquin Phoenix. Un personnage assez éloigné de l’univers Allenien même si on y retrouve à travers ses mots l’esprit éternellement torturé et névrotique du cinéaste.

Le ton se veut donc relativement noir, et ce malgré les interventions légères et bienvenues Jill et Rita, interprétées respectivement par Emma Stone et Parker Posey, qui entrecoupent de longues tirades philosophiques sur le désir, la bonheur, la mort ou l’éternité. Autant vous le dire clairement, la première demi-heure ronronne comme il faut. On se met soudain à rêver de cliffhanger à la Hitchcock pour nous sortir de cette ballade philisophico-amouro-dépressive. Et alors qu’on frôlait l’indigestion de clichés pour suicidaire en phase terminale, dont évidemment la fameuse panne sexuelle, symbole du dernier lieu de liberté et de vie à atteindre, le miracle surgit.

Certes un peu gros et manquant de subtilité, mais il suffit pour nous mettre spectateur, l’oeil qui pétille comme le personnage d’Abe Lucas. Les notes jazzy du Ramsey Lewis Trio peuvent enfin faire valser les caméras de Khondji sur les pas d’un Joaquin Phoenix transfiguré et revivifié par une envie de … meurtre ! Et voilà la vie et la mort liées dans une sérénade grandiloquente qui n’évite pas quelques poncifs et raccourcis faciles sur la quête du meurtre parfait. Woody Allen peut reprendre son jeu préféré, prendre à partie le spectateur, le faire participer, le mettre dans la tête des protagonistes via des apartés et voix off. Et il n’est jamais meilleur que dans cette situation où le jeu de dupe prend le pas sur tous les principes moraux apposés depuis le début du film. En ce sens, et malgré un phrasé très éloigné de ses traditionnels alter-égos à l’écran au débit mitraillette, Phoenix devient pleinement un personnage Allenien, schizophrène et heureux de l’être, enfin.

En face, il fallait bien la pétillante Emma Stone pour nous confondre dans les méandres de la moralité et du double-face. Amoureuse adultérine volontaire heureuse de fermer les yeux sur les raisons du changement du tout au tout d’Abe Lucas, mais pourtant garante inébranlable de la moralité dans les ultimes moments du film. Et si L’homme irrationnel du titre ne désignait pas forcément le personnage d’Abe Lucas mais plutôt l’humanité avec un H majuscule.

A l’image de son auteur facétieux, mélancolique, pensif, polisson, pessimiste ou audacieux dans toute sa filmographie. L’homme, cet être imparfait par essence, et dont le don d’une conscience à relativement complexifiée sa vie et son bonheur, l’un des nombreux sujets de ce dernier long-métrage. En tout cas, ce qui est sûr c’est que les détracteurs du cinéaste New Yorkais pourront se régaler de la naïveté assumé de l’ensemble, pendant que ses aficionados se réjouiront de la dualité jouissive du récit porté par le meilleur acteur de cette décennie. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas avec ce film que Woody Allen fera l’unanimité.