Genre : anticipation, inclassable, expérimental (interdit aux - 16 ans)
Année : 1971
Durée : 2h16
L'histoire : Au XXIème siècle, où règnent la violence et le sexe, Alex, jeune chef de bande, exerce avec sadisme une terreur aveugle. Après son emprisonnement, des psychanalystes l'emploient comme cobaye dans des expériences destinées à juguler la criminalité.
La critique :
On ne présente plus Stanley Kubrick qui figure aujourd'hui parmi le panthéon des réalisateurs américains et plus largement du noble Septième Art. On lui doit plusieurs grands classiques du cinéma. Eyes Wide Shut, Spartacus, Docteur Folamour, 2001 l'Odyssée de l'espace, Full Metal Jacket, Shining et Barry Lyndon sont autant de témoignages de l'immense talent de Stanley Kubrick.
Vien également s'ajouter Orange Mécanique, sorti en 1971. A l'origine, le long-métrage est l'adaptation d'une nouvelle (A clockwork orange dans sa version originale) d'Anthony Burgess. En outre, cette transposition cinématographique est presque accidentelle. A l'époque, Stanley Kubrick travaille sur le script de Napoléon Bonaparte, un projet qui ne verra jamais le jour. Le scénariste Terry Southern soumet le roman à Kubrick qui le met rapidement de côté.
Mais parallèlement, le cinéaste abandonne le projet Bonaparte et se consacre à la lecture de la nouvelle d'Anthony Burgess. Fasciné par cette satire sociale de la société moderne et consumériste, Stanley Kubrick s'investit totalement dans le film. Au moment de sa sortie, Orange Mécanique déclenche les foudres et les acrimonies de la critique et de la presse cinéma.
Parallèlement, plusieurs meurtres sont commis et s'inspirent directement du film de Kubrick. Le cinéaste reçoit alors de nombreuses lettre de protestation et doit affronter toute une armada de contempteurs. Orange Mécanique devient le film à éliminer, celui qui doit être mis sur le pilori de la violence exacerbée, tout du moins, au regard de certaines critiques infatuées et acharnées à démolir la réputation de Kubrick.
Agacé, le réalisateur fulmine et demande au distributeur, la Warner Bros, de retirer le film des salles de cinéma britannique en dépit de son immense succès. Contre attente, la firme obtempère. La censure durera pendant 27 longues années et ne se terminera qu'après la mort de Kubrick en 1999. Quant à l'opinion publique, d'une manière générale, elle se montre extrêmement choquée et agonit le film d'injures. En vérité, Orange Mécanique s'inscrit dans la longue liste des films violents de son époque, aux côtés de La Horde Sauvage, Les Chiens de Paille, Délivrance ou encore L'Inspecteur Harry.
Notre société libertaire s'est transmuée en un univers ultra violent à la logique irréfragable. Classé dans le registre de l'anticipation, Orange Mécanique n'appartient à aucun style particulier, même si (encore une fois), le long-métrage s'apparente à une satire de notre société capitaliste et égotiste.
La distribution du film réunit Malcolm McDowell, Patrick Magee, Michael Bates, Warren Clarke, John Clive et Adrienne Corri. A l'époque, Malcolm McDowell est encore inconnu du grand public. Le succès du film va définitivement lancer sa carrière au cinéma. Par la suite, l'acteur interprétera souvent des personnages couards, séditieux et fallacieux. Pour la petite anecdote, la fameuse chanson Singin' in the rain a totalement été improvisée par l'acteur lors de la séquence de viol.
En apparence, le scénario d'Orange Mécanique est plutôt laconique. Attention, SPOILERS ! Au XXIème siècle, où règnent la violence et le sexe, Alex, jeune chef de bande, exerce avec sadisme une terreur aveugle. Après son emprisonnement, des psychanalystes l'emploient comme cobaye dans des expériences destinées à juguler la criminalité
En vérité, le script du film se divise en plusieurs parties bien distinctes. Dans la première, Stanley Kubrick se focalise essentiellement sur les forfaits, les déprédations, les grivèleries et les meurtres perpétrés par Alex et sa bande de dégénérés. La seconde section marque un tournant rhédibitoire. Alex est condamné à 14 ans d'emprisonnement. Sa rééducation peut enfin commencer.
Troisième et dernière partie : c'est le grand retour d'Alex dans notre société moderne. Transmuté en animal servile et docile, le jeune homme devient la nouvelle égérie de la presse avant d'être manipulé par le gouvernement lui-même. Orange Mécanique... Ou lorsque la 9e Symphonie de Beethoven se déroule sous les claques, les coups de poings, les avanies, les meurtres et la dépravation. Presque 45 ans après sa sortie, le film est toujours autant d'actualité, bien qu'il soit un peu dépassé.
On pourrait évoquer une oeuvre visionnaire. Néanmoins, le film ne fait plus vraiment le débat aujourd'hui, probablement dépassé par cette même violence qu'il fustige. Corrosif, Stanley Kubrick choisit d'adopter le point de vue de son personnage principal. En l'occurrence, Alex n'est qu'un cobaye supplémentaire, l'idiot utile et l'instrument d'un capitalisme à la perversité redoutable.
Tout d'abord répudié par la société, Alex doit être rééduqué par toute une kyrielle d'images eschatologiques. Les yeux ulcérés, les bras contentionnés, Alex subit passivement les acrimonies de ceux qui sont chargés de le remettre sur le droit chemin. Ici point de rédemption. Kubrick tance et vilipende les moralines et les vulgates d'une société dictatoriale. Retour à 1984, le célèbre roman de George Orwell.
Alex se transforme lui aussi en un Winston Smith étrangement indolent et subissant à la fois le courroux de sa famille et de ses anciens comparses, désormais affublés d'étoiles de policiers. Un oxymore. Certes, les inimitiés se déroulent sous les quolibets, les railleries, une musique classique et eurythmique, les agapes et les festivités. Pourtant, le constat est amer.
Dénué de toute émotion et finalement de toute expressivité, le film se transmue en une diatribe d'un système voué à l'opprobre et au retour de la dictature. Stanley Kubrick pointe et morigène toute la perversité (entre autres, le conditionnemment) de ce système en apparence libertaire, transformant les super consommateurs soit en individus ultra violents, soit en cobayes condamnés à la déréliction. Bref, on tient là un film éminemment complexe, déroutant et toujours aussi percutant, même 45 ans après sa sortie.
Note : 18.5/20
Alice In Oliver