SEUL SUR MARS : Nihilisme, y es-tu ? ★★★★☆

Un Ridley Scott inspiré porté par un Matt Damon parfait.

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Une chose est sûre : Ridley Scott a toujours eu les idées noires. De film en film, il a su développer une réflexion sur la vacuité de l’être humain, et sur sa volonté de se prouver le contraire par une ambition et un orgueil qui ne le poussent qu’à s’auto-détruire. D’Alien à Mensonges d’Etat en passant par Blade Runner, le même schéma se répète malgré la variété de la filmographie du réalisateur. L’homme est piégé par son propre système, qu’il s’agisse du fonctionnement d’une société, d’une technologie ou encore des mythes d’une certaine culture. Basiquement, Prométhée est le fondement du cinéma de Scott, trouvant son itération la plus explicite avec l’inégal Prometheus (tout est dans le titre), ouverture d’une sorte de saga définitivement nihiliste où les personnages ne peuvent même plus compenser la violence, la bêtise et la petitesse de leur espèce par la magie des codes de la fiction (Cartel) ou d’une aura mythologique (Exodus). Si certains s’étonnent du ton beaucoup plus léger de Seul sur Mars, ce dernier n’est en réalité que la conclusion (temporaire ?) de cette série de longs-métrages, se nourrissant de ce qu’elle a démontré tout en voulant améliorer les choses avec un optimisme assez réjouissant.

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Car à priori, ce nouveau volet ne possède pas un sujet particulièrement amusant. Abandonné par ses collègues de mission qui le croient mort suite à une tempête, Mark Watney (Matt Damon) doit essayer de survivre sur la planète rouge en attendant l’arrivée de la prochaine navette. Au-delà des paramètres de Mars à dompter (l’absence d’eau et de nourriture notamment), il est nécessaire pour l’astronaute de contacter la NASA, qui va le soutenir et le guider dans son périple. Après tout, la notion de communication est au centre du film, qui est construit comme un montage alterné étalé sur plus de deux heures, où les deux côtés tentent de se parler et de se rejoindre alors que deux cent vingt-cinq millions de kilomètres les séparent. Cette distance, Scott s’efforce de nous la faire ressentir par sa mise en scène, magnifiant par sa brillante utilisation du format scope et de la 3D l’immensité des paysages martiens (enfin, jordaniens). Nous constatons, à l’instar de Watney, cette grandeur face à laquelle nous ne pouvons rien. Celui-ci fait alors acte d’humilité par son humour, un cynisme et une ironie qui désamorcent la gravité de la mort et un quelconque héroïsme, même lorsqu’il parvient à l’exploit de faire pousser des pommes de terre sur le sol de la planète. Néanmoins, cette décontraction apparente n’empêche pas le métrage de nous captiver, tout d’abord grâce au jeu admirable de Matt Damon, mais aussi par l’amour que le cinéaste porte pour son personnage, car il est le parfait exemple du héros selon Scott : un être qui se transcende en acceptant qu’il n’est rien.

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Ce pragmatisme permet ainsi au protagoniste d’aller de l’avant malgré cette ombre macabre permanente, ce sentiment de danger constant que Scott traduit par la solitude de Watney. Le nihilisme n’est donc pas absent de Seul sur Mars, mais cette fois-ci, il se combat. Comme toute bonne robinsonnade, la civilisation (ou plutôt son absence) fait face à un retour aux plus bas instincts de l’être humain. Le film n’est pas verbeux, il rappelle juste la valeur du langage. De technologie en technologie qui lui tombent sous la main, l’astronaute communique avec la NASA, et plus précisément avec Venkat Kapoor (génial Chiwetel Ejiofor), tout en demandant à ce dernier une part d’interprétation, voire de traduction. Il en va jusqu’à chercher de façon amusante le ton d’une phrase écrite dans un tchat. Tel un hommage à la richesse de la parole, le long-métrage appelle à voir en profondeur, à concevoir la polysémie. Le mot n’a pas qu’un sens propre, il porte aussi, en fonction de son contexte, une mémoire et un héritage. Dans la bouche de Watney, son tableau de bord résonne également comme un potentiel testament. Scott a passé ces dernières années à déconstruire les fondements de sociétés (langues, religions, mythes, morale…) pour montrer comment l’homme les manipule. Tout en confirmant cette imperfection, il admet ici leur nécessité et ce qu’ils peuvent inspirer. Dans un grand élan humaniste, tout le monde se ligue à la NASA (et même en Chine) pour conseiller Mark et essayer les solutions, y compris les plus folles, pour le sauver. Les idées fusent au contact de celles des autres. Si la folie de l’homme peut le détruire, elle peut aussi lui donner l’ambition de de surpasser, de réaliser l’impossible et plus généralement, de créer.

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De cette façon, Seul sur Mars est un vrai film sur les États-Unis et sur leur pouvoir fantasmatique, sans pour autant en venir à un patriotisme bas du front. Ridley Scott oppose les réalités cruelles de la société, notamment en termes de hiérarchie, avec la promesse d’une liberté et d’une solidarité libérées de toutes formes de barrières sociales. En cela, on ne peut que féliciter le choix de Matt Damon dans le rôle principal, self-made man gentil et beau gosse comme l’Amérique en rêve. Le cinéaste accentue alors sa dimension archétypale de citoyen modèle, celui auquel tout le monde peut se raccrocher dans l’adversité. Sa coolitude et sa débrouillardise en viendraient presque à prendre la forme d’un spot de pub pour la NASA, sublimé par les images de Scott. Dès lors, passé le cynisme concernant la gestion de la crise par l’agence, qui poussera le vaisseau ayant abandonné Mark à une mutinerie pour le récupérer, les grades disparaissent. Le directeur de la NASA (Jeff Daniels) n’est même pas reconnu par l’un de ses employés, mai ils ne peuvent que s’unir pour cet homme ordinaire qui devient une sorte de mythe, à l’instar de cette scène magnifique (mais impossible) où il s’amuse à jouer à « Iron Man ». D’une certaine manière, Seul sur Mars rachète Prometheus en permettant à son auteur d’exploiter à nouveau l’espace comme champ de tous les possibles. Nous ne sommes rien au sein de cet univers, mais nous pouvons rêver d’être quelque chose. Scott a retrouvé foi dans le pouvoir de l’image, conscient que cette dernière peut être dangereuse quand la bêtise humaine s’y mêle, ce qui ne l’empêche pas de nous offrir une évasion, ici prenant la forme quasi-mythologique d’un homme seul et courageux, accompagné d’une bande-originale disco.

Réalisé par Ridley Scott, avec Matt Damon, Jessica Chastain, Jeff Daniels

Sortie le 21 octobre.