Cela fait un moment que nous y songions, elle et moi, tant le métier d’agent véhicule de mythes et fantasmes nocifs, le succès médiatique de la série Dix pour cent a fini de nous convaincre.
Voici donc une série d’entretiens avec Marie-Servane Bargy, mon formidable agent à moi que j’ai. C’est quoi, un agent de scénariste? Que cherche t-il chez un auteur qu’il représente? Comment agent et scénariste collaborent-ils? Comment bien choisir son agent? Voici de précieuses infos pour les wannabe scénaristes, mais aussi un pertinent éclairage qui, je l’espère, suscitera le débat entre pros…
Comme tous les professionnels du cinéma ou de l’audiovisuel, le scénariste définit beaucoup sa carrière en fonction de son agent, et vice-versa. Dès que l’on rencontre un producteur, réalisateur, comédien…, « tu es chez quel agent? » est d’ailleurs l’une des premières questions que l’on nous pose. Cela rien d’étonnant tant ce choix en dit long sur notre ADN d’auteur(e).
La mienne d’agent est juste formidable, et je suis loin d’être la seule à le penser. Non seulement elle mise sur les projets personnels, mais elle propose à ses auteurs un véritable accompagnement à la carte, en fonction de leurs profils artistiques et de leurs envies. Loin de se contenter de négocier mes contrats, elle a une analyse pertinente sur mes textes et me prodigue de judicieux conseils. Je lui dois des rencontres essentielles, des signatures bien entendu, mais aussi un véritable soutien dans les moments difficiles (projets qui capotent, collaborations orageuses, j’en passe et des meilleures) ou les moments qu’un agent « traditionnel » qualifierait volontiers de ‘What The Fuck’, genre refuser des projets TV bien rémunérés pour se lancer dans la réalisation. 😉
Bref, ma carrière se fait en véritable partenariat avec elle, dans une sérénité précieuse puisque je me sais soutenue. Connaissant beaucoup de scénaristes et réalisateurs, je sais à quel point c’est une chance.
Outre la personnalité de Marie-Servane, c’est son approche du métier qui m’a donné envie de collaborer avec elle (car contrairement à ce que suggère l’illustration de cet article, on ne fait pas que trainer dans les bistrots ^^), une approche que je vous propose de découvrir à travers une série d’entretiens.
Tu es agent, as-tu regardé « Dix pour cent », la série consacrée à ton métier?
Avec assiduité ! Et je me réjouis de son succès. Dix pour cent « croque » la réalité d’un métier de l’ombre au service de la lumière et des paillettes, permet au grand public de découvrir une profession méconnue, et à mon sens elle pourrait être l’occasion pour les professionnels d’ouvrir une réflexion nouvelle sur le rôle de l’agent aujourd’hui, ses devoirs et obligations, son rapport à ses « clients ».
A titre personnel, je me régale du ton de la série et de ses dialogues parfois jubilatoires. Mon empathie fonctionne à 100% ou presque ! C’est quasi cathartique ! En tant qu’agent, je me sens proche de Gabriel pour son côté humain bisounours, « papounet » et ses fulgurances artistiques parfois surprenantes, mais je me reconnais aussi dans le tempérament d’Andréa, son franc parler, ses coups de gueules et son investissement dans des projets qui semblent désespérés mais la passionnent. Enfin, avouons le, j’ai aussi un peu de Mathias car il faut bien penser rentabilité de temps en temps ! Pour Arlette, c’est différent, c’est un personnage d’agent qui a créé le métier. Elle connaît toutes les petites histoires des uns et des autres, c’est une encyclopédie vivante. Elle a combien d’années de métier ? 50 ? Irremplaçable expérience. Incomparable. Allez, plus que 35 pour la rattraper.
Je pense qu’en fait pour être un excellent agent, il faudrait être tous ces personnages à la fois : quelqu’un de pouvoir, stratège, politique, roublard et businessman comme Mathias, empathique, pédagogue, accessible, disponible, sympathique et « bon camarade » comme Gabriel; cultivée, cinéphile aguerrie et convaincue, dynamique, énergique, frondeuse, fonceuse, tenace, opiniâtre et maline comme Andréa; avoir du recul, être une who’s who ambulante et connaître toutes les ficelles du métier depuis 50 ans comme Arlette !
Mais à la différence d’Arlette (« C’est vous ma famille, vous et mes acteurs ») et de ce qui est montré dans la série (leur vie c’est leur métier, leur métier c’est leur vie, leurs amis sont leurs clients, leur famille sont leurs collègues), je pense qu’une nouvelle génération d’agents est apparue, des agents passionnés, dévoués, compétents, mais qui revendiquent la possibilité de construire une vie privée. Il y a 10 ans, je me souviens d’un agent me présentant une consœur en précisant que « oui, elle est agent aussi mais elle, c’est un peu spécial, elle a des enfants ». Si je suis très admirative de certains agents qui ont entièrement consacré leurs vies à leur métier, si force est de constater qu’il serait parfois plus simple d’avoir toutes ses soirées de libres, aucune contrainte familiale etc, j’avoue ne pas être prête à tout sacrifier sur l’autel de mon métier. Je crois même qu’avoir une vie de famille, des préoccupations de ménagères, des amis hors métiers ou en province (si, si, de l’autre côté du périph !) peuvent être un véritable atout pour ne pas perdre de vue les spectateurs et ne pas s’enfermer dans une tour d’ivoire. J’ai choisi ce métier parce que ce sont les gens et l’être humain en général qui m’intéressent. Je trouverais paradoxal qu’il m’en éloigne.
Enfin, autre différence notoire pour ma part, je ne représente pas de comédiens mais uniquement des scénaristes et auteurs réalisateurs, des scénaristes surtout. Malheureusement c’est moins « glam ». Je dis malheureusement par ce que les scénaristes mériteraient vraiment d’être mis plus en lumière, qu’on prenne le temps de les interviewer, de les prendre correctement en photo etc.
Qu’est-ce qui t’a poussée à représenter spécifiquement des scénaristes et auteur-réalisateurs?
Un parcours d’abord, puisque j’ai découvert le métier chez Paris, Septembre – Nathalie Mongin qui ne représentait que des auteurs, scénaristes, romanciers, dramaturges et réalisateurs, et nos bureaux étaient au cœur d’une maison d’édition (c’est un détail idiot, mais cela m’a beaucoup appris). Cela a été une véritable rencontre avec l’écriture, le processus créatif d’une histoire, les aspects techniques de telle ou telle forme d’écriture mais aussi avec les enjeux des auteurs (et des éditeurs), leurs problématiques juridiques, financières et statutaires.
J’ai ensuite eu la chance de pouvoir poursuivre l’aventure auprès de Catherine Winckelmuller aux Agents Associés. Ce fut une toute autre expérience, très formatrice sur les aspects juridiques et administratifs de la représentation d’auteurs, scénaristes et auteurs-réalisateurs toujours. J’avais là beaucoup moins d’échanges directs avec les talents mais bénéficiais d’un poste d’observation à mon sens assez unique pour apprendre, comprendre, réfléchir au métier et attraper le virus un peu malgré moi (j’avais bien dit « agent, moi, jamais ! »)… hum. De fait, au bout de 10 ans, j’avais acquis des compétences spécifiques au métier d’agent d’auteur.
Si j’ai eu quelques fois l’occasion de travailler pour des comédiens, je n’ai pu que constater que la mission d’agent artistique était très différente de l’agent d’auteur. Cela m’a bien moins intéressée. Je ne dis pas « fontaine », mais l’aspect star system ne m’émoustille pas. Le véritable privilège pour moi c’est la chance de participer à la base d’un projet, à son élaboration, de partager les doutes et questionnements d’un auteur, de connaître et préserver ce qu’il a livré de lui même, d’être convaincue avec lui et de se battre ensemble pour qu’un projet existe.
Pour le moment, je ne me sens pas légitime ou véritablement compétente pour accompagner un artiste sans l’intermédiaire du texte. Il est l’outil essentiel qui me permet de comprendre le projet, ses enjeux, son sens, de le porter auprès des producteurs dans le respect de l’intention de l’auteur. Et c’est aussi à travers mon regard sur un texte que les auteurs évaluent la pertinence de mon accompagnement ou non, que nous apprenons à nous connaître. Car cela va dans les deux sens. Si un auteur juge que ma vision sur son projet est absurde, si je ne rentre pas dans le projet ou l’univers de l’auteur, il serait totalement contre productif que j’essaye de le représenter. C’est l’intermédiaire de l’écriture et les discussions artistiques qui nous permettent de créer un rapport de confiance, d’avancer concrètement même si le projet n’est pas encore vendu. Bien entendu, les auteurs et moi même visons l’obtention de contrats, la vente etc, le but reste le même que partout. Mais c’est tellement plus gratifiant lorsqu’on a porté un projet, qu’on s’y est investi !
Et puis « Le scénario, c’est la base de tout ! Pas de scénario, pas de film, pas de comédiens, pas d’agent, pas d’assistant ! »*. C’est une phrase incontournable de Dix pour cent qui semble assez évidente, consensuelle. Pourtant, il y a encore tant à faire pour que le scénario et les scénaristes soient reconnus à leur juste valeur. Je ne sais pas comment, je n’ai pas les solutions mais j’ai vraiment envie de contribuer à cette évolution, à ma mesure, au quotidien. Il y a des remises en cause, des changements à opérer, (du côté des agents aussi). La valorisation du métier de scénariste et l’amélioration des conditions de travail sur les phases d’écriture est une sorte de supra-objectif qui me tient beaucoup à cœur. Ma mère a longtemps présidé un syndicat d’agents d’abord puis de leurs clients ensuite, que veux tu, les chiens ne font pas des chats 😉
Quant aux auteurs-réalisateurs, Synapsis en représente quelques uns mais tous sont par ailleurs scénaristes pour les raisons évoquées plus haut. Mais j’avoue ne pas maîtriser les aspects techniques de la réalisation et les problématiques spécifiques qui peuvent en découler. Les réalisateurs avec lesquels je travaille ont conscience de cette lacune, et n’attendent pas cette maîtrise de ma part. Nous travaillons sur d’autres aspects de la représentation, je pense leur être utile autrement, mais bon… j’aimerais leur donner plus. Tout comme j’aimerais avoir une formation fiscalité auteur, passer la production pour comprendre encore mieux les astuces financières, être absolument incollable sur les redditions de compte, être bilingue, avoir un réseau international, être experte du droit de la propriété intellectuelle, que les journées fassent 72 heures chacune et gagner au loto ! What else ?
Pourquoi les auteurs débutants intéressent-ils peu (voire pas) les agents ?
« Je vous préviens dans cette agence on ne prend que des stars. Donc ne vous faites pas d’illusion, vraiment. »* et ce que les débutants entendent aussi beaucoup c’est « revenez me voir quand vous aurez un contrat ». Mais si le débutant vient voir un agent, c’est justement pour qu’il l’aide à devenir une star ou à décrocher des contrats. Et tous les « grands » ont bien débutés un jour ! Alors quoi ? C’est révoltant !
Peut être mais à mon avis les auteurs débutants n’intéressent pas moins que n’importe quels débutants sur le marché du travail et en partie pour les mêmes raisons : il y a souvent une dichotomie notoire entre ce qui est appris à l’école et la réalité du terrain, une méconnaissance du marché du travail, le manque d’expérience qui nécessite une formation continue et donc un investissement à long terme, etc. Et cela peu engendrer les mêmes dérives et exploitations malheureuses (d’autant que si le scénariste professionnel a du mal à faire respecter ses droits, mieux vaut ne pas évoquer la défense du scénariste émergent !!!).
Sans langue de bois: un auteur débutant n’est pas « rentable » à court terme, demande un investissement en temps et accompagnement beaucoup plus important, a des objectifs souvent changeants et des attentes parfois démesurées, est beaucoup plus difficile à manager lorsqu’il est confronté aux réalités du métier, se montre souvent bien plus exigeant et dur à satisfaire qu’un auteur chevronné, et l’agent ne peut avoir la garantie qu’il va vraiment s’accrocher à ce métier si les contrats ne tombent pas tout de suite.
Un auteur débutant c’est d’abord du bénévolat pour un agent, un « investissement », un pari sans garantie. « Mise sur moi » comme on l’entend souvent. Donc les agents en général ne sont pas intéressés par les auteurs débutants en général, c’est un fait. Mais je ne crois pas que ce soit injuste. Si on te proposait de lire ou rencontrer un auteur connu, que tu apprécies, qui travaille tout le temps, sur des projets que tu sais être passionnants, qui a déjà un réseau, rapportera de l’argent à ton entreprise ou alors un tout jeune autodidacte inconnu quoique charmant, tu irais vers qui en premier toi ? C’est humain !
Mais comme l’humain compte beaucoup justement, rien n’empêche un agent d’être séduit par une rencontre avec un auteur même tout débutant (ou déçu avec un auteur chevronné d’ailleurs !). A chaque auteur débutant de se débrouiller pour « donner envie » à un agent de miser ! Bien sûr qu’en fait certains agents acceptent de représenter des débutants ! Ils ne vont juste pas le clamer partout notamment parce qu’il n’y a pas de « critères » pour cela. Tout se passe dans la rencontre.
Après je pense qu’il faut distinguer deux démarches : un besoin de représentation global d’un besoin ponctuel de négociation face à un contrat. Dans ce dernier cas, beaucoup d’agents, me semble-t-il, acceptent de défendre des débutants sur un contrat pour un simple principe de défense de l’auteur. Mais cela n’engage pas nécessairement l’agent sur une représentation à long terme.
Et face à un contrat, je conseille plus que fortement à un auteur débutant de se faire représenter ou de faire viser son contrat par la SACD par exemple. Ne signez pas sans comprendre ce qui vous engage et/ou ce que vous cédez.
En parallèle de ton travail d’agent pour des auteurs confirmés, tu proposes un service de conseil et d’accompagnement de projets aux auteurs débutants. En quoi consiste t-il exactement ?
Ce n’est pas tellement « en parallèle » puisque je propose le même service de conseils et accompagnement aux auteurs confirmés ! L’ambition est de s’adapter aux besoins et objectifs de chacun, confirmés ou débutants, selon mes propres moyens.
Il se trouve que pour les débutants, en plus du travail sur les textes et le positionnement des projets, il y a une sorte de « formation continue » sur le métier, la transmission de « trucs et astuces » qui ne sont pas des recettes miracles mais qui peuvent aider, des conseils sur la méthodologie de travail, la rencontre de tel co-auteur, l’attention sur tel sujet. Mon but est de les faire gagner en efficacité, qu’ils n’écrivent pas « on spec » inutilement mais développent des idées qui me semblent avoir du potentiel, etc (mais ce n’est pas une science exacte !!!). Je les pousse à démarcher, à rencontrer, à aller en festival; j’explique les contrats, les enjeux des producteurs etc. Curieusement, il s’agit sans doute plus de les rendre autonomes qu’autre chose, autonomes mais accompagnés. En résumé, je casse le fantasme sur le métier, mais pas le rêve, au contraire, nous cherchons les moyens de l’atteindre, pas à pas, concrètement, pragmatiquement.
C’est une véritable volonté de rester ouverte aux jeunes auteurs, car ils ont un enthousiasme et une fraîcheur rares, des idées qui sortent des sentiers battus, ils ne sont pas formatés, ils sont libres, fous, inconscients ! J’ai eu de véritables coups de coeur ! Mais cela pose un véritable problème économique d’une part et de disponibilité d’autre part. J’ai donc mis en place un système de minimum garanti déduit des commissions. Le fait que l’auteur débutant « mise » lui aussi sur sa propre réussite le rend moins attentiste et plus respectueux du travail effectué pour lui. D’un autre côté, c’est parfois humainement très difficile à maintenir et je ne peux offrir de garantie hélas. Je ne te cache pas chercher de meilleures solutions tout le temps !
* P.S : pardon aux auteurs de DIX pour CENT si les citations ne sont pas exactes. Un grand bravo et un grand merci.
Rendez-vous mardi prochain pour lire la suite de cet entretien…
Copyright©Nathalie Lenoir 2015