[Critique] – Madame Bovary à l’anglaise, un pari réussi ?

Par Pulpmovies @Pulpmovies

Réalisé par : Sophie Barthes
Avec :
Mia Wasikowska, Rhys Ifans, Ezra Miller, Logan Marshal-Green
Sortie :
4 novembre 2015
Durée: 1h59
Budget:
Distributeur : 
Jour2Fête
3D: Oui – non

Synopsis :
 

Emma Rouault, fraîchement sortie du couvent, épouse Charles Bovary, un médecin de campagne qui se réjouit d’avoir trouvé la compagne parfaite. Emma occupe ses journées à aménager sa nouvelle demeure, dessine, joue du piano et reçoit avec élégance les visiteurs. Cette vie monochrome auprès d’un époux sans raffinement est bien loin des fastes et de la passion auxquels elle aspire. Ses rencontres avec M. Lheureux, habile commerçant, le Marquis d’Andervilliers, et Léon, jeune clerc de notaire, vont rompre la monotonie de son existence.

Notre avis :

Qui a encore osé toucher à Madame Bovary ? L’héroïne flaubertienne, portée haut dans les coeurs de la population française (et surtout de ses élèves en terminale littéraire cette année), s’est déjà vue portée à l’écran par de grands noms du cinéma : Jean Renoir, Claude Chabrol, et plus récemment Anne Fontaine, avec Gemma Bovery, adapté de la réécriture en bande-dessinée par Posy Simmonds, porté par la belle Gemma Arterton et l’incontournable Fabrice Luchini… Cette fois-ci, c’est au tour de Sophie Barthes de passer derrière la caméra, afin de redonner vie à cette héroïne tragique, sous les traits de Mia Wasikowska.

On l’aura attendue longtemps, cette Madame Bovary version Sophie Barthes… Ce n’est que depuis quelques mois que l’on a appris la courageuse décision prise par Jour2Fête afin de sortir le film en salles. Pourquoi tant de crispations ? Est-ce le tournage en langue anglaise qui fit si peur que cela aux distributeurs ? À en voir les premières publications, c’est bien l’anglais dérange : notre chauvinisme nous pousse parfois à ne pas voir plus loin que le bout de notre nez. Il est certain qu’après le piteux Bel Ami de 2012, tourné en Europe de l’Est et sorti après plus de deux années d’attente, on avait peut-être des raisons de s’inquiéter. Cette “américanisation” de Madame Bovary est pourtant loin de dénaturer l’oeuvre de Flaubert

Sophie Barthes a le mérite de ne pas avoir fait délocaliser la production de son second long-métrage : vous retrouverez bel et bien Emma Bovary dans la campagne normande, où elle trouvera toujours le temps long et monotone. L’image froide et tremblante d’Andrij Parekh s’adjoint, lors du mariage de la jeune femme, à ses craintes intérieures, mais également à son instabilité future. Le vide, l’ennui, l’absence de son mari Charles (incarné par Henry Lloyd Hugues), Mia Wasikowska saura leur donner une consistance. Si nous l’avions trouvé quelque peu sur la réserve dans Crimson Peak, l’actrice se révèle ici plus surprenante, et même touchante, dans le rôle de cette héroïne tragique qui se cherchait qu’à être heureuse, mais dont les choix ne seront pas sans conséquences.

On ne pourra reprocher à la réalisatrice d’avoir mal choisi son casting, puisque les hommes dont elle fera tourner les coeurs et les âmes sont tout à fait charmants : c’est avec un certain plaisir que l’on retrouve Ezra Miller dans la peau de Léon Dupuis, jeune comptable rouennais, ainsi que Logan Marshall-Green en tant que marquis (Rodolphe Boula penger dans le roman). Les scènes réservées à la relation entre Emma et M. Lheureux (Rhys Ifans) réservent quant à elle un peu plus de piquant : le sarcasme à toute épreuve de ce dernier le feront passer du statut de confident à celui d’antagoniste de manière assez plaisante à remarquer… C’est également lui qui permettra à Emma de rendre son lieu de vie moins lugubre, donnant à voir la richesse des accessoires, des décors et des costumes déployés pour la production du film, réalisés par des artisans français : comme quoi, nous avons quand même de quoi être un peu chauvins.

Du roman de Gustave Flaubert, Sophie Barthes ne reprend que les grandes lignes : elle oublie le grand esprit romanesque de son héroïne, qui se plaisait pourtant à rêver de ses lectures, pour se concentrer – évidemment – sur son adultère. L’important, c’est Emma, juste Emma, ce qu’elle ressent, comment elle se retrouve tiraillée par les sentiments, par l’ennui, l’irrémédiable attente. Une femme gagnée par des envies de richesse, de reconnaissance, d’une vie autre qu’à la campagne ; c’est en cela que ses balades à Rouen seront lieu de couleurs bien plus vives. En remplaçant le bal par une chasse à courre, Barthes ne trahit pas l’érotisme de l’oeuvre, transformant Emma Bovary en cette proie que le Marquis souhaite s’approprier. Idem en ne faisant pas du destin funeste de l’héroïne une longue course à la souffrance, la réalisatrice va à l’économie, mais garde le geste symbolique. Si le résultat divise, il nous a plutôt convaincu : nous sommes prêts à pardonner l’absence de l’amour de la littérature… Il en résulte toutefois la certitude que Madame Bovary n’est pas simple d’adaptation, et qu’il nous faut regarder cette adaptation d’un oeil nouveau, tout en laissant son chauvinisme loin derrière soi.

Malgré la simplification de son intrigue, cette nouvelle adaptation de Madame Bovary convainc grâce à la performance de Mia Wasikowska, mais aussi par ses cadres respectueux de l’univers de Flaubert.

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