Benny's Video (Autodestruction pubertaire)

Par Olivier Walmacq

genre : drame (interdit aux - 16 ans)
année : 1993
Durée : 1h45

L'histoire : Élevé au sein d'une famille bourgeoise, Benny ne communique guère avec des parents trop souvent absents. Plongé dans l'univers de la vidéo, il voit son sens des réalités et des valeurs se déformer peu à peu. Sa rencontre avec une jeune fille dont il est amoureux va dériver vers l'horreur. 

La critique :

En l'espace de 25 années, le réalisateur et scénariste autrichien, Michael Haneke, est devenu le chantre d'un cinéma choc, subversif et controversé. En 1997, le terrible Funny Games asseoit définitivement sa notoriété. Le long-métrage déclenche à la fois la colère et la reconnaissance du Festival de Cannes, peu habitué à ce genre de pellicule nihiliste et pessimiste.
Mais, avant la sortie de Funny Games, Michael Haneke avait déjà provoqué les quolibets et la polémique, avec Benny's Vidéo, réalisé en 1993. Au moment de sa sortie, le film écope justement d'une interdiction aux moins de 16 ans. En vérité, Benny's Video annonce déjà les prémices de Funny Games avec cette dénonciation de la violence dans une société anomique et en plein marasme. Mais pas seulement...

J'y reviendrai ultérieurement. La distribution de Benny's Video réunit Arno Frisch (que l'on retrouvera dans Funny Games, la version de 1997), Ulrich Mühe, Angela Winckler et Ingrid Stassner. Michael Haneke est égal à lui-même et signe à la fois un film riche et assez complexe à analyser. Attention, SPOILERS ! Benny, un garçon de 14 ans, vit dans une chambre encombrée d'écrans vidéo sur lesquels, à longueur de journée, il se passe des films-catastrophes et des polars violents.
Même le spectacle de la rue ne lui parvient que par une caméra installée devant sa fenêtre. Un jour, dans un vidéo-club, il fait la rencontre d'une fille de son âge qu'il invite chez lui. Alors qu'il lui exhibe fièrement un pistolet d'abattage
, celle-ci s'amuse à le défier de s'en servir sur elle.

Benny s'exécute et la blesse grièvement. La fille crie, Benny s'affole et, pour la faire taire, tire à plusieurs reprises et la tue. Avec un calme déconcertant, il éponge le sang et cache le cadavre. Par la suite, Benny s'arrange pour faire voir à son père et à sa mère les images du meurtre que sa caméra avait enregistrées. Après s'être assuré autant que possible, par questionnement de son fils, qu'on ne pourrait pas établir de lien entre celui-ci et la disparition de la jeune fille, le père décide de taire la mort de la lycéenne et de faire disparaître le corps. Dès les premières images, Benny's Video a le mérite d'annoncer les inimitiés. Comme l'indique le synopsis, Benny est un jeune éphèbe de 14 ans.
Sa passion ? Regarder des vidéos violentes, en particulier celle d'un cochon abattu froidement.

A travers le quotidien de Benny, Michael Haneke revisite à sa manière (donc de façon plus moderne) L'Allégorie de la Caverne (Platon). Benny vit dans un monde d'ombres et d'images destiné à masquer la réalité. Le jouvenceau ne semble plus faire la différence entre le monde réel et le monde virtuel. Il s'enferme et se cloître dans sa chambre pour échapper à un monde extérieur et surtout à une société décadente régie par des adultes couards et eux aussi irresponsables.
Le meurtre d'une camarade de classe est la séquence clé du film. Comme un symbole, Michael Haneke ne filme pas le meurtre, mais laisse au spectateur le soin d'imaginer ce qui se passe dans la chambre exigüe et bientôt mortuaire de l'adolescent.

La suggestion et la mise en abyme. C'est un procédé que Michael Haneke réitérera avec le terrible Funny Games. En outre, Benny est un véritable cas de psychanalyse freudienne. Mais, à travers son portrait, Haneke dresse aussi une diatribe contre la société autrichienne toute entière. A savoir cette société pusillanime et en déréliction, incapable de voir et de comprendre le profond mutisme de leurs enfants. Pire encore, devant la découverte de la dépouille de la lycéenne, les parents de Benny ne cherchent pas vraiment à le protéger, mais plutôt à conserver et à soigner leur image.
A l'instar de leur fils, eux aussi vont chercher à occulter la réalité. Eux aussi se trouvent dans cette caverne étroite et obombrée. On en revient toujours au même.

A travers leur portrait, Haneke dénonce également une société autrichienne qui vit dans le leurre et le mensonge. Ils sont les dignes épigones, les symboles et les cacochymes d'une société décadente. Le meurtre de la lycéenne revêt lui aussi plusieurs significations. Dans un premier temps, Benny joue avec sa nouvelle amie. Hélas, le jeu sombre rapidement dans le meurtre.
Mais sa camarade ne meurt pas tout de suite. La victime hurle, le supplie d'arrêter, mais Benny, rattrapé par la réalité, décide finalement de l'achever. Puis, quelques temps plus tard, après avoir recouvert le cadavre d'un drap bientôt ensanglanté, Benny prend sa caméra pour filmer le corps. Là encore, c'est un moyen pour notre tueur juvénile de regagner sa grotte, sa caverne chimérique noyée par les images.

Contre toute attente, le jeune éphèbe n'éprouve aucun remords. Sa mère décide de l'emmener loin en vacances. Mais très vite, la réalité rattrape les parents et l'adolescent. Il est d'ailleurs amusant d'entendre le père de Benny clamer "l'autodestruction pubertaire". En l'occurrence, Haneke décrit également une autodestruction parentale qui a totalement abandonné le cadre, les contraintes, l'éducation et finalement eux-mêmes et leur propre enfant.
Sur ce dernier point, la conclusion finale est assez surprenante. Finalement, Benny décide de sortir symboliquement de la caverne et de cet univers fictif et virtuel. Difficile d'en dire davantage. Certes, sur la forme comme sur le fond, Benny's Vidéo ressemble surtout à une sorte de Funny Games avant l'heure. Néanmoins, Haneke n'est pas encore l'esthète ni le réalisateur émérite qu'il deviendra quatre ans plus tard. Autrement dit, même s'il est intéressant, Benny's Video n'est pas encore à la hauteur du fameux Funny Games. Mais tout fan d'Haneke se doit de découvrir ce drame à la fois choquant et bouleversant.

Note : 14.5/20

 Alice In Oliver