LE PASSAGER (Critique) (En)quête de vérité

LE PASSAGER (Critique) (En)quête de véritéLE PASSAGER (Critique) (En)quête de vérité

SYNOPSIS: Le Passager est une série qui se situe à la frontière entre thriller et film initiatique. Elle met en scène un psychiatre, Mathias Freire, et une capitaine de la Brigade criminelle, Anaïs Chatelet, reliés l'un à l'autre dans une spirale de mémoire et de mort. Une série de crimes s'inspirant de la mythologie grecque les réunit dans une enquête qui les mènera face à eux-mêmes et à leurs propres démons. Tandis que Mathias recherche qui il est vraiment, Anaïs tente de démêler le vrai du faux parmi les meurtres qui s'enchaînent...
L'univers de Jean-Christophe Grangé, son œuvre pléthorique et complexe au sein de laquelle la quête d'identité revient avec régularité méritait bien une série télé. Après avoir eu les honneurs du cinéma avec plus ( Les rivières pourpres) ou moins de bonheur (quasiment toutes les autres adaptations de ses romans) l'écrivain dont le dernier roman en date Lontano continue d'être bien placé dans le classement des ventes de livres en France, s'est attelé lui-même pour la télévision à l'adaptation de l'un de ses ouvrages les plus touffus. Le résultat, c'est Le Passager, une série de 6×52 minutes dont la diffusion débute sur France 2 ce vendredi 6 novembre. Si la maîtrise du suspense et l'art du cliffhanger sont depuis longtemps l'apanage de l'un des maîtres du thriller, sa réussite sur papier n'était pas forcément un blanc-seing pour réussir le passage au petit écran. Si l'auteur s'en sort bien et ménage ses effets avec efficacité, la complexité de son intrigue pourra en désarçonner certains, mais dès lors que l'on se plonge dans ce récit aux multiples ramifications et qu'on adhère à ses codes, on éprouve pour Le Passager une curiosité matinée d'addiction. Forcément, pour coller au rythme des épisodes de 52 minutes, Grangé a dû expurger son récit de certaines scènes et cela se ressent dans l'avancée de l'intrigue où quelques raccourcis peuvent s'avérer déstabilisants (le début du second épisode par exemple ne semble pas s'inscrire dans la continuité du premier et on met quelques secondes à établir avec certitude que l'on ne s'est pas trompé en lançant la suite, le rapprochement entre les deux protagonistes principaux s'opère un peu trop rapidement, un personnage important arrive comme un cheveu sur la soupe vers la fin de la série...) mais malgré cela, l'auteur s'est acquitté de son travail avec méticulosité et est resté fidèle à lui-même comme il nous l'a expliqué:

En général quand vous écrivez un livre vous ne pensez pas du tout aux adaptations, ce serait naïf. J'ai adapté moi-même le livre et évidemment je suis resté près de mon livre mais tout le monde était d'accord pour que ce soit le cas. Ca n'a pas été ce que j'ai connu dans le cinéma où il y a beaucoup moins de place. Là Le Passager est structuré sur une des identités du héros et donc comme le livre est déjà en épisodes, on a suivi ce découpage-là et ça a bien fonctionné ! J'ai beaucoup travaillé avec d'autres scénaristes et quand vous êtes l'auteur d'un livre ce que vous pensez être le mieux c'est ce qu'il y a dans le livre (Rires). Là le travail a été vraiment fluide, sympa, transparent, ça a été un vrai travail d'équipe, on m'a tenu au courant tout du long comment le tournage se passait.

Mis en scène avec efficacité et bénéficiant d'un rythme bien agencé, la série profite du travail du talentueux Jérôme Cornuau à la réalisation ( Le Mystère du Lac) qui sait parfaitement gérer les moments forts et les moments faibles de l'histoire. Certains des plans des meurtres notamment, bien que très détaillés et morbides n'en demeurent pas moins très beaux et avec une photo appliquée. Un côté BD assumé qui apparait entre autres lors des multiples séquences de fusillades par des assaillants stéréotypés, amène des respirations bien séquencées au milieu d'une histoire relativement anxiogène. Le réalisateur nous explique ce parti pris:

Le côté BD est plus dans la mise en scène et les partis pris visuels et le côté expressionniste de l'écriture de Jean-Christophe Grangé qui est toujours très évocateur quand on lit ses romans et qu'il fallait essayer de retranscrire le plus possible, le plus près possible cet univers-là qui fait appel à un rythme, un suspense et à plein de références cinématographiques... A côté de ça il y avait dans la mise en scène un travail visuel fort de stylisation et en même temps un travail auprès des personnages beaucoup plus réaliste et beaucoup plus dans l'émotion et dans la recherche de vérité. Quand on a abordé le personnage de Mathias, on s'est dit que ce personnage se découvre des nouvelles personnalités et fondamentalement il reste lui. Ce n'est pas parce que tout d'un coup il va être escroc et homme d'action qu'il va savoir se battre alors que deux secondes avant il ne savait pas. Il est psychiatre donc il aura toujours les mêmes comportements même si son aspect extérieur change légèrement en fonction de ses tenues ou de l'environnement dans lequel il se trouve. Pour Anaïs c'était pareil, il y avait un travail sur son rapport avec son père, la construction de la femme qu'elle s'était faite elle-même et petit à petit elle va éplucher tout ça au fur et à mesure de l'enquête. La force du travail de Jean-Christophe c'est de prendre deux individus à un instant T qui sont pris dans une intrigue policière et ça lui permet à la fois de faire l'enquête et en même temps un travail intérieur sur chacun des personnages qui vont à l'origine de ce qu'ils sont. Du coup il y a ce mélange là sur les personnages et l'action et il y a le même mélange sur le traitement des personnages et de la mise en scène.

Les personnages justement font le sel de la série. Mathias interprété par Jean-Hugues Anglade est forcément le personnage le plus fascinant de cet univers barré. Le comédien, très loin de Braquo y trouve un moyen d'expression totalement différent et les failles et les multiples personnalités qui l'assaillent lui offrent l'occasion de restituer à l'écran toute une palette d'émotions qu'il retranscrit comme à son habitude, avec talent et conviction et ce même s'il faut un temps d'adaptation pour se faire à un personnage complexe et difficile d'accès dès lors que ses multiples fugues psychiques l'amène vers des univers divers et variés. Le comédien nous a expliqué la manière dont il a appréhendé son personnage:

La série est arrivée très très tard, j'étais en train de tourner Braquo, je terminais le dernier mois de tournage et je reçois cette proposition et j'ai très envie de la faire parce que le personnage était passionnant et que effectivement cette quête d'identité était quelque chose qui m'excitait beaucoup. Je repensais à ce que j'avais vécu avec Corneau, je savais que ce serait sur un mode très très différent mais ce sont des éléments qui me fascinent beaucoup, la perte de soi, la quête de son ombre... Je me suis beaucoup investi tout de suite dans l'étude du texte parce que je crois que c'est l'un des textes les plus lourds que j'ai eu à assimiler et avec le moins de temps devant moi. J'ai dû avoir trois semaines pour vraiment apprendre toutes ces personnalités différentes. Je n'ai même pas eu le temps de lire le roman de Jean-Christophe parce que c'était une immersion immédiate et je me suis fait une grande violence pour rentrer dans ce personnage. C'est la première fois d'ailleurs que je fonctionne comme ça car comme on était très proches du tournage, j'ai commencé à travailler les personnages en fonction de l'ordre du plan de travail et je me suis retrouvé avec des semaines où je travaillais sur trois personnages que j'allais incarner dans la semaine et je me suis vraiment perdu... Heureusement Jérôme faisait preuve d'une grande sérénité ce qui me permettait de prendre la dimension de l'œuvre. LE PASSAGER (Critique) (En)quête de vérité

Face à Mathias, le personnage d' Anaïs s'avère également complexe et passionnant, puisqu'elle est aussi perclus de doutes, d'angoisses et de failles ainsi que d'un passé familial extrêmement traumatisant et pesant. C'est Raphaelle Aguogé qui prête ses traits à cette flic, meneuse d'hommes, fragile et en même temps volontaire et opiniâtre. L'actrice y déploie un vraie talent et une vraie intensité. Aussi envoûtante que mystérieuse, la comédienne nous explique comment se matérialise à ses yeux la quête d'identité d' Anaïs :

A travers l'enquête, ce personnage a des troubles psychologiques dès le départ et je ne suis pas sûr que les séances de psy qu'elle a pu avoir l'aient vraiment aidée à savoir qui elle était. C'est plutôt à travers l'association puis la confrontation avec Mathias et puis à travers cette enquête que ça fait écho à des choses qui lui sont tout à fait personnelles et où elle grandit, où elle se retrouve....

Les deux personnages se font face puis se retrouvent, leur évolution leur permettant de s'attirer puis de s'opposer. Jean-Hugues Anglade nous explique comment il voit la relation entre eux deux:

On lutte de façon parallèle et en même temps on est chaque fois ramenés l'un vers l'autre... Ce n'est pas une série qui s'en va dans l'obscurité et dans le noir profond, les clés se révèlent les unes après les autres, ce sont des personnages qui se battent et qui combattent pour revenir à la vie et pour se reconstruire. C'est quête d'identité du personnage me fait penser à ce que j'ai vécu sur le film d'Alain Corneau Nocturne Indien dans les années 90 et que je retrouve développé ici de manière différente au service d'une série pleine d'action et de suspense et avec tous ces éléments fragmentés qui arrivent comme ça au cours des épisodes.

Au final la série est à la fois efficace et tendue, biscornue et tordue malgré le suspense constant et réussi. Aussi il est étonnant de voir que la chaine ait mis si longtemps à la diffuser tout comme il est surprenant que l'épilogue soit ouvert de façon si ostentatoire vers une éventuelle saison 2, alors qu'on a quelque peu le sentiment que la série ne bénéficie pas d'une attente considérable de France 2. Thomas Anargyros, l'un des producteurs donne pourtant son sentiment à ce sujet, contraire à l'impression dégagée:

L'envie de France 2 et la nôtre était d'adapter le livre Le Passager, même si on voyait bien en le faisant que à travers cette histoire, à travers ces deux personnages, à travers les deux acteurs qui l'ont incarnée il y avait une possibilité éventuelle que ça puisse se poursuivre mais en même le temps le projet n'a pas été fait dans l'idée d'une première saison d'une série. C'est vrai que ça s'ouvre sur une possibilité de suite mais l'idée est que le téléspectateur puisse vraiment, qu'il ait lu ou pas le livre, qu'il puisse se plonger dans cette histoire d'un bout à l'autre.

On sera libre de le croire. Ou pas. Le Passager fait en tout cas le job. C'est une série portée par un beau duo de comédiens qui offre son quota de noirceur et de suspense et à laquelle on espère que le public sera sensible. Car avoir des propositions de ce genre à la télévision ne peut être que de bonne augure pour la densité et l'intérêt des projets de fiction à venir.

Crédits: France 2/ © Anouchka de Williencourt - EuropaCorp / FTV

Remerciements: Ludovic Hurel