LE FILS DE SAUL : Sous terre, l’âme est sauve ★★★★★

Une plongée terrifiante et visionnaire dans l’enfer de la Shoah.

C’est un défi de taille que s’est fixé le réalisateur hongrois László Nemes, tout juste 38 ans, en choisissant de traduire à l’écran l’horreur indicible des camps d’Auschwitz dès son premier film. Peu de cinéastes, certains plus expérimentés pourtant, sont parvenus avant lui à trouver le juste équilibre entre le respect des faits historiques et la puissance évocatrice du médium cinématographique. Lorsqu’il fut annoncé en sélection officielle au dernier Festival de Cannes, la curiosité et la crainte se sont légitimement entrechoquées et il ne restait plus qu’à garder l’esprit ouvert pour mieux se défaire de tout à priori. En obtenant le Grand Prix, soit la récompense la plus prestigieuse et convoitée après la Palme d’Or, Le Fils de Saul avait manifestement réussi là où il était si facile d’échouer. Quelques mois plus tard, le voilà enfin sorti sur les écrans français. Verdict ?

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On ne peut décemment pas imaginer le choc qu’un tel film procure avant de l’avoir découvert. Le concert de louanges auquel il a eu droit à Cannes aurait pu nous y préparer, seulement à l’arrivée, on en ressort dévasté, saisi d’effroi et subjugué devant la virtuosité et l’intelligence ébouriffantes de la mise en scène. La question du point de vue s’est toujours posée au cinéma quand le contexte dépeint reposait sur une réalité aussi tragique, à plus forte raison encore avec la Shoah. Ici, Nemes a opté pour la solution la plus consciencieuse et immersive qui soit. La première audace du film est d’envisager l’enfer des camps à travers le regard de Saul Ausländer, un « Sonderkommando », autrement dit un prisonnier juif au service des nazis, responsable du déblaiement des cadavres après gazage. À la fois complice forcé et victime en devenir, Saul se débat autant que possible pour échapper au pire, dans un chaos tétanisant que la caméra préfère suggérer afin de solliciter l’imagination du spectateur. Bien souvent confinés dans le flou en arrière-plan ou simplement hors-champ, les pleurs, les hurlements, les exécutions deviennent un poison qu’il faut savoir ignorer ou repousser hors de son espace vital. Le travail d’immersion est à ce titre incroyable, tant l’on ressent physiquement la détresse et la lutte acharnée de Saul, incarné par le magnétique Géza Röhrig, absolument renversant et pourtant peu expressif.

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La deuxième audace du film se situe à un degré strictement narratif et permet d’incorporer la grande Histoire à la petite, individuelle, intime. Que reste-t-il de notre humanité lorsqu’elle est si cruellement bafouée, viciée et meurtrie ? Nemes y répond en toute humilité en propulsant Saul au cœur d’une épreuve morale et familiale bouleversante. En croyant avoir retrouvé le corps de son fils assassiné, ce père de fortune, dont on ne saura jamais avec certitude s’il est le véritable parent de cet enfant, brave tous les dangers pour lui offrir une sépulture dans les formes. Symboliquement, Saul devient un « pourvoyeur d’espoir », destiné à inhumer le martyr de l’horreur humaine pour exhumer le peu de bonté terrée en tout un chacun. Cette innocence perdue jaillira d’ailleurs lors d’un final terrible, que l’on s’abstiendra de révéler, tant il achève de façon foudroyante le calvaire d’un homme prêt à tout pour trouver la paix intérieure. 

Réalisé par László Nemes avec Géza Röhrig, Levente Molnár, Urs Rechn

Sortie le 4 Novembre 2015