Genre : drame, horreur (interdit aux - 16 ans)
Année : 2004
Durée : 1h39
L'histoire : Des instantanés douloureux dans l'existence de plusieurs familles américaines. L'indifférence, la dépression, la vengeance : autant de sentiments revisités et exacerbés par Douglas Buck au cours de trois courts-métrages qu'il vous sera difficile d'oublier.
La critique :
Lorsque l'on évoque Family Portraits, les amateurs de sensations fortes citent volontiers Cutting Moments. Souvent désigné parmi les films les plus choquants jamais réalisés, le court-métrage s'avère en effet à la hauteur de sa réputation. A l'instar de Aftermath qui éclipse les deux autres oeuvres avec lesquelles il compose la "Trilogie de la Mort" de Nacho Cerda, Cutting Moments et son ultra violence graphique relègue au second plan les deux autres métrages qui composent cette trilogie américaine. Il serait toutefois dommage de résumer le film à ce seul segment.
Certes, les deux autres courts-métrages n'ont peut-être pas sa puissance de frappe, mais ils restent néanmoins intéressants et instructifs sur le message qu'a voulu délivrer le réalisateur. Un message pessimiste et révélateur d'une Amérique en déliquescence, infectée par un quotidien de violence ordinaire et par une sinistrose qui s'est peu à peu installée dans le pays, jusqu'aux campagnes les plus reculées. Douglas Buck ne se montre guère confiant sur l'avenir de son pays, surtout concernant la fameuse middle class, cette couche de la population qui n'a plus de moyenne que le nom, confrontée au chômage et à la précarité.
C'est un constat glaçant que le cinéaste fait des moeurs qui règnent dans ces petites banlieues tranquilles en apparence, mais qui se révèlent être de véritables poudrières en puissance. A travers une ambiance glauque et oppressante, le réalisateur délivre un film qui transpire la mort par tous les bouts de la pellicule. Au casting, aucun nom connu, mais l'interprétation reste d'honnête facture, sans être géniale pour autant. Attention, SPOILERS ! Cutting Moments (1997) : Dans une maison de banlieue, une femme complètement délaissée par son mari essaie en vain d'attirer l'attention.
Hélas, celui-ci ne lui accorde plus le moindre intérêt et préfère jouer avec son fils (au cours d'une scène assez troublante laissant deviner une pédophilie sous-jacente) ou regarder la télévision. Face à cette indifférence ostentatoire, la femme tente encore de rallumer la flamme en s'apprêtant et en enfilant sa plus belle robe. Las, elle ne récolte même pas un regard. Désespérée, elle décide de s'automutiler en se découpant les lèvres avec des ciseaux.
Le couple bascule alors dans la folie et se suicide par arme blanche tout en faisant l'amour une dernière fois, alors que dans le jardin, leur petit garçon s'amuse sans se douter de rien. Home (1998) : Alors qu'il se trouve à son travail, un homme fait le point sur sa vie. Il revoit son enfance passée dans la crainte d'un père tyrannique, la rencontre avec sa femme une existence morne, et le jour où il a massacré toute sa famille à l'heure du petit déjeuner. Il se questionne : "Qu'ai-je fait de mal ?".
Prologue (2003) : Billy, une jeune femme lourdement handicapée, revient chez elle après plusieurs mois d'absence. Elle constate que depuis son accident, bien des choses ont changé. En plus de l'usage de ses jambes, la jeune femme a perdu son fiancé qui s'est marié avec une autre. Mais le responsable de ses malheurs n'est pas loin. Il s'agit de Benjamin, un homme d'un certain âge et au-dessus de tout soupçon qui, après avoir causé son accident de voiture, en a profité pour violer Billy, alors qu'elle gisait au sol. L'homme est en fait un maniaque sexuel, responsable de nombreuses disparitions de jeunes femmes dans la région.
Lors d'un face à face bref mais intense, la jeune femme lui fera comprendre toute sa haine sans prononcer un seul mot. Il ne faut pas regarder ce film si on n'a pas le moral. Les trois segments de Family Portraits sont, chacun à leur manière, de véritables condensés de dépression. Des instantanés chocs de la société banlieusarde américaine que Douglas Buck saisit au passage et retranscrit sans fard dans toute leur laideur. Home décrit un homme ordinaire victime d'un énorme pétage de plombs.
Devant la morosité et le quotidien fade d'une triste existence, ce quidam déversera le trop plein de violence accumulée depuis l'enfance en massacrant sa femme et sa fille. Buck met en avant la dangerosité de la banalité, du désert social, en nous présentant un citoyen lambda qui devenu exsangue par sa propre existence, va se transformer en tueur incontrôlable. Dans Prologue, le cinéaste traite du thème du pardon ou du moins de la tentative de pardon. Si Home et Cutting Moments traitaient du drame immédiat, ici il s'agit plus des conséquences du drame et du terrible résultat des exactions commises sur une jeune femme par un homme, là aussi ordinaire.
Bafouée dans sa chair, détruite dans sa tête, elle va tenter de comprendre l'incompréhensible. La confrontation avec son bourreau est une épreuve de plus qu'elle doit supporter lors d'une scène silencieuse mais puissante, qui place le spectateur dans un inconfort notable. Quant à Cutting Moments, il reste évidemment le clou du spectacle, si l'on peut dire. Ici, le scénario, tout en restant dans un cadre dramatique conventionnel (l'indifférence née d'un quotidien sans relief, l'usure des sentiments avec le temps qui passe), bascule en même temps dans l'horreur la plus choquante.
Lassée d'être transparente aux yeux de son époux, la jeune femme ne trouve plus comme solutions que le sang et la mort. Ou quand l'incommunicabilité entre deux être est poussée à son paroxysme. Bénéficiant d'effets spéciaux signés Tom Savini, ce court-métrage constitue par sa grande force visuelle un sacré uppercut à la face du spectateur. Toutefois, pour l'avoir revu récemment pour les besoins de la chronique, je n'ai plus ressenti l'incroyable agression de la première projection.
Les actes de mutilation sont plus suggérés que montrés, preuve en est que le réalisateur ne s'est pas inscrit dans une démarche voyeuriste. Finalement, Douglas Buck a eu raison. Le film est suffisamment violent psychologiquement sans qu'il y ait besoin d'en rajouter. Cutting Moments est un drame horrifique et non pas un film d'horreur maquillé en drame. Attention cependant, la scène où l'on voit la protagoniste, seule devant sa glace, se déchirer littéralement la bouche, demeure difficilement soutenable, même pour un public averti. A bons entendeurs... Trois films, trois manières d'appréhender les petites histoires et les grands drames de l'Amérique d'aujourd'hui.
Au rayon des imperfections, on pourra reprocher au réalisateur une certaine lenteur dans la mise en scène et d'en faire un peu trop dans la surenchère, d'avoir voulu noircir le trait des situations en quelque sorte. Family Portraits fut présenté dans de nombreux festivals, notamment à Deauville où il fit sensation en 2006. Si depuis, une confirmation est toujours attendue de la part de Douglas Buck, on se rappelera que cette oeuvre choc a fortement marqué les esprits lors de sa sortie.
Par un propos sombre mais ô combien réaliste, le réaliste assome les idées reçues sur une Amérique de carte postale et révèle au grand jour les tourments obscurs qui rongent une société bien malade.
Note : 13.5/20
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