Genre : drame (interdit aux - 16 ans)
Année : 1996
Durée : 48 minutes
L'histoire : Mimi, une fillette d'une dizaine d'années, assiste impuissante à la tentative de suicide de sa mère. Elle est recueillie par sa tante Solange. Cette dernière est très maniaque : chaque chose doit être à sa place. Celle de Mimi est toute trouvée, dans un recoin, près de la porte d'entrée. Mais dans ce petit appartement, la présence de la gamine dérange. Surtout que Solange a un nouvel ami, Jean-Pierre. Dès le premier jour, un climat de malaise s'installe.
La critique :
Si le nom de Gaspar Noé est connu de tous les cinéphiles, notamment depuis son fameux Irréversible en 2002, beaucoup plus confidentiel est celui de Lucile Hadzihalilovic. En 1985, ils font connaissance sur le tournage du court-métrage réalisé à l'IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques). De cette rencontre, naîtra en 1991, la création des productions Les cinémas de la zone, productions à petit budget, dont la première création sera Carne, réalisé par Gaspar Noé la même année.
Ainsi, Lucile Hadzihalilovic deviendra la partenaire du réalisateur à la ville comme derrière la caméra Productrice et monteuse lors des deux premières oeuvres de son compagnon, Carne donc, puis Seul contre tous, elle se lance elle-même dans la réalisation avec un moyen-métrage, La bouche de Jean-Pierre. Une oeuvre qu'il était impossible d'avoir vu à moins d'avoir fait partie du public restreint du Festival de Cannes, où le film obtint le Prix très spécial du Jury en 1997. Heureusement, l'injustice fut réparée quand les éditions Badlands sortirent un très beau (et très complet) dvd du film, il y a deux ans.
Autant le dire tout de suite, si vous êtes fan du cinéma de Gaspar Noé (surtout de ses premiers films), vous allez adorer La Bouche de Jean-Pierre. Difficile en effet de différencier le style du réalisateur argention de celui de sa comparse. En fait, ils sont quasiment identiques et en même temps complémentaires. S'il fallait à tout prix rechercher une différence entre les deux démarches cinématogaphiques, on pourrait déceler une moins grande violence dans la forme chez Lucile Hadzihalilovic.
Mais le fond, lui, reste terriblement noir et perturbant. Dans son film, la réalisatrice joue sur les peurs intimes, enfouies en chacun pour exacerber un climat de malaise qui ira en grandissant jusqu'au dérapage final de Jean-Pierre, que le spectateur redoute, mais qu'il sait inéluctable. Sur la forme, Lucile Hadzihalilovic reprend la manière de filmer percutante initialisée sur Carne et poursuivie dans Seul Contre Tous. Le format utilisé est le 16 mm scope, idéal pour les plans larges et symétriques ainsi que les très gros plans, fréquents dans le film.
On retrouve aussi ces cartons annonciateurs d'une situation précise : "La France d'aujourd'hui", "Moralité", avec un "vlam" sonore qui les accompagne et qui claque comme un coup de tonnerre. Echange de bons procédés, ce sera Gaspar Noé qui assurera le montage de ce film Décidément, Noé et Hadzihalilovicn c'est un vrai couple dans tous les sens du terme ! Au niveau de la distribution, et malgré leur total amateurisme, les trois acteurs principaux s'en tirent vraiment bien.
Mention spéciale toutefois à la jeune Sandra Sammartino qui interprète le rôle de Mimi tout en gravité et en sobriété. Attention, SPOILERS ! Mimi, une fillette d'une dizaine d'années, vit seule avec sa mère dans une cité déshumanisée. A l'issue d'une dispute avec son petit ami, la mère dépressive tente de se suicider en avalant des médicaments sous les yeux de sa fille. Alors que la mère est conduite à l'hôpital, Mimi est recueillie par sa tante, Solange. Celle-ci, d'une maniaquerie quasi maladive, voit d'un très mauvais oeil l'arrivée de cettte enfant dans son appartement exigu.
On place un lit de fortune dans un recoin minuscule, près de la porte d'entrée. Ce sera le territoire de Mimi. La présence impromptue de la fillette dérange d'autant plus Solange que, depuis peu, celle-ci a un nouvel ami, Jean-Pierre. Souvent ballotée et déplacée comme un vulgaire bibelot qui gêne, Mimi est fréquemment contrainte de jouer dans le hall sur le pas de la porte. La fillette est également le témoin involontaire des ébats du couple dès sa première nuit dans l'appartement.
D'entrée, les relations s'avèrent difficiles entre l'homme et la gamine jusqu'à créer un certain malaise. Il faut dire que Jean-Pierre, chômeur professionnel, est du genre grande gueule. Raciste et réactionnaire, il n'hésite pas à molester le voisin de palier, un musicien étranger. Un jour, alors que Solange est à son travail, Jean-Pierre franchit la ligne jaune. Sous des dehors de faux airs protecteurs, il fait clairement des avances à Mimi et se met à la caresser lors d'une scène très troublante. Rongée par un sentiment de culpabilité et incapable d'avouer la vérité à sa tante, la fillette fait une tentative de suicide le soir même en se gavant d'antidépresseurs.
La Bouche de Jean-Pierre est un film pour le moins dérangeant. Un film à l'atmosphère lourde, malsaine, saturée de non-dits. Drame humain et social, cette oeuvre aurait fort bien pu flirter avec le scabreux. Lucile Hadzihalilovic a cependant fait preuve de beaucoup de talent pour maintenir l'histoire dans les rails de la décence. D'ailleurs, plus qu'un témoignage sur l'inceste ou la pédophilie, la réalisatrice avouera avoir voulu faire un film "d'horreur social". Perdue dans cet univers de béton sordide, entourée d'adultes perturbés par leurs propres problèmes, la petite Mimi se retrouve vite désemparée, sans repère auquel se raccrocher. Sa candeur, sa douceur sont en totale opposition avec le monde brutal qui l'entoure.
La situation antinomique entre le royaume enfantin de la fillette et l'univers poisseux et terriblement déprimant dans lequel elle évolue, voilà le thème central de La Bouche de Jean-Pierre. Tel un ange blond jeté en pâture aux désirs les plus sournois d'un prédateur, la gamine n'a finalement qu'un seul recours : le suicide.
Lucile Hadzihalilovic nous parle d'un fait divers. Tristement, désespérément banal. Derrière cet horizon oppressant de barres d'immeubles sans âme, se jouent des drames humains. La réalisatrice établit un état des lieux saisissant de ces cités, gangrénées par la pauvreté et la violence ordinaire. La pédophilie n'est certes pas l'apanage des milieux défavorisés, mais ici elle n'est qu'une déviance supplémentaire à ajouter a tableau peu reluisant d'une réalité sociale déprimante.
C'est peu dire que La Bouche de Jean-Pierre fut loin d'être un projet de tout repos pour le couple Noé - Hadzihalilovic. Trois ans après son tournage, le film n'était toujours psa mis en boîte et il fallut l'intervention de la célèbre artiste Agnès B. pour que les fonds nécessaires à sa production soient réunis. Dès lors, tout alla très vite et l'aventure se termina au festival de Cannes, où le film décrocha un prix. Au final, c'est une première oeuvre en tous points remarquable que nous livre Lucile Hadzihalilovic.
Certes, La bouche de Jean-Pierre est un film noir, terriblement pessimiste qui réussira à perturber le confort du spectateur, mais c'était bien le but recherché par la réalisatrice. En évitant soigneusement les pièges de toute dérives graveleuses sur un sujet aussi difficile et par le biais d'une mise en scène d'une rare intelligence, cette dernière réussit haut la main son baptême du feu.
Note : 16.5/20
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