Les auteurs sont parfois méfiants envers les archétypes. Ils pensent à tort que leurs personnages seraient moins originaux. Il ne faut cependant pas confondre archétype (un outil formidable de l’arsenal scénaristique) et le stéréotype (qui équivaut à la mort de la Muse).En fait, l’usage (chaleureusement recommandé) de l’archétype est seulement limité voire empêché par la propre créativité et imagination de l’auteur.
Le trickster est un farceur, un bouffon, mais surtout un empêcheur de tourner en rond. Il peut être qualifié d’enfant terrible.
Considérons Edshu, un dieu nigérien.
Le trickster sème le chaos
Un jour, Edshu peint un chapeau en bleu d’un côté et en rouge de l’autre. Puis il traversa un village. Deux fermiers qui se tenaient de chaque côté de la rue jurèrent leurs grands dieux que Edshu portait un chapeau bleu pour l’un et un chapeau rouge pour l’autre.
Pour corser la situation, Edshu retraversa la rue en sens inverse non sans avoir au préalable retourner le chapeau sur sa tête. Les deux fermiers revendiquèrent encore la justesse de ce qu’ils avaient vus jusqu’à en venir aux mains.
Lorsque le chef du village intervint, Edshu révéla la supercherie en déclarant qu’il aimait créer du conflit.
Edshu décrit la fonction du trickster dans une histoire. Il survient dans le quotidien banal et ennuyeux et y sème la zizanie. Il peut être très utile dans l’avancement de l’intrigue. Il est aussi d’une importance capitale auprès du protagoniste car il est en mesure de lancer l’arc dramatique du héros car la tendance naturelle de tout personnage, en fait, est la résistance au changement. Il faut donc une forte incitation pour initier le changement et le trickster possède cette force en lui.
Résistez cependant à la tentation d’en faire un antagoniste. Ce n’est pas la fonction du trickster : qu’il soit ami ou ennemi, considérez cet archétype comme l’agent du changement (et un profond changement de personnalité) auprès du protagoniste.
Le trickster est la meilleure chose qui puisse arriver au héros
Enfin, normalement. Considérons George Wickham de Orgueil et Préjugés de Jane Austen. Il est habile menteur et enjôleur et n’hésite pas à abuser son entourage avec les atouts que lui a donné la vie. C’est un débauché et un joueur aigri par ses échecs et certainement la cause de soucis pour les protagonistes.
Mais Elisabeth aurait-elle changé d’avis sur Darcy si elle n’avait pas découvert plus tard la véritable nature de Wickham à laquelle elle ne fut pas insensible dans un premier temps ? Bien sûr que non. les combines ou manigances de Wickham ont aidé les protagonistes à découvrir qu’ils s’aimaient et comme dans les contes de fées ou les Love Story (après tout), le trickster aide à terminer sur une note heureuse (happy endings).
Dans la même idée, le héros pourrait être un individu un peu trop placide et qui aurait besoin de la présence du trickster pour le sortir de sa léthargie.
C’est un motif qui peut s’avérer utile comme par exemple dans le Buddy Love (voir BLAKE SNYDER : BUDDY LOVE pour plus de détails).
Le trickster ne respecte pas les règles
C’est d’ailleurs la seule règle qu’il respecte. Votre trickster ne doit pas faire ce que l’on attend de lui. Il doit surprendre son monde, c’est d’ailleurs un comportement qui lui est naturel.
« Je ne vais pas les combattre, je vais les baiser » (Game of Thrones)
est la maxime que pourrait suivre le trickster… C’est le mode opératoire du trickster : jamais directement mais par subterfuge. Il ne fait jamais ce que l’on attend de lui.
Les actions de Loki, par exemple, qui est un trickster réputé, sont toujours surprenantes et jamais prévisibles.
Le trickster adore l’idée de briser les règles
Ce trait de caractère n’est pas innocent. Il répond en fait au principe de plaisir que nous éprouvons tous à l’idée de rompre nous-mêmes avec les règles qui nous sont imposées (les interdits moraux et sociétaux, par exemple). Quel plaisir avouons-le avons-nous à enfreindre les tabous surtout si cela est par une personne interposée, sans risque donc pour nous (n’est-ce pas là un des avantages des fictions que nous lisons ou voyons ?).
Et c’est à cela que sert le trickster et c’est aussi la raison pour laquelle nous éprouvons une certaine tendresse envers lui. Attention, il ne s’agit pas d’empathie. Celle-ci devrait être réservée au personnage principal de votre histoire. Nous l’aimons parce que le trickster est comme un miroir pour les choses que nous aimerions faire mais que nous ne pouvons pas faire.
Il est intéressant de noter aussi que le plaisir que nous ressentons à voir agir le trickster provient aussi du plaisir que ressent le trickster à enfreindre les règles. Ce n’est pas à son corps défendant et il n’est pas sujet aux remords. Et ce plaisir est communicatif.
Ce n’est pas dans la nature du trickster d’être trickster
La malice n’est pas innée chez le trickster. Celui-ci adopte les techniques et tactiques qui sont les siennes parce que les circonstances l’ont obligé à le faire. Ce n’est qu’après qu’il est découvert la joie d’être un trickster et qu’il a compris que cela sert ses intérêts qu’il assume totalement son rôle et sa fonction.
Les circonstances ne sont pas anecdotiques, cependant. Que vous les racontiez dans le présent de la narration ou bien qu’elles appartiennent au passé du personnage, elles sont souvent le lieu d’une menace pour la survie du personnage ou de son environnement.
Prenez Bugs Bunny, par exemple. Il n’est pas dans sa nature d’être un trickster mais il y est forcé parce que Elmer cherche toujours à le tuer ou bien parce que quelqu’un ou quelque chose cherche à construire un gratte-ciel juste au-dessus de son terrier.
Dans un autre ordre d’idée, un personnage dont ce n’est pas la fonction d’être l’archétype du trickster peut être amené à utiliser les techniques du trickster parce qu’il ne peut pas s’en empêcher. Il ne le fait pas délibérément. Il y a des moments comme çà dans la vie d’un personnage où il va causer un chaos invraisemblable alors qu’il n’en avait aucunement l’intention. Mais gardez à l’esprit que vous devez justifier ce qui se passe dans votre histoire. Vous ne pouvez pas tout dévaster seulement parce que vous avez trouvé que cela fera joli dans votre script.
Un scénario doit obéir aveuglément à la loi de causalité. S’il y a un événement, sa source se trouve dans un événement qui a eu lieu avant. Si vous décrivez un chaos par le fait d’un trickster involontaire, cet événement doit se justifier par ce qui a provoqué chez le personnage ce comportement de trickster.
Le trickster fait tomber les masques
Lorsque vous ressentez le besoin de faire tomber certains masques dans votre histoire, le trickster sera le personnage qui en sera le maître d’œuvre. Ne cherchez pas de complications inutiles, n’alourdissez pas une scène en tentant de rendre légitime les raisons du dévoilement soudain d’un personnage. Utilisez plutôt le trickster et le tour sera joué. Le personnage incriminé sera alors mis au jour pour le restant de votre histoire et de tous les autres personnages y compris ceux qui ne sont pas dans la scène et ceci, avec une économie de moyens impressionnante et salutaire.
Généralement, le trickster surclasse les opposants qui se sentent supérieurs à lui. C’est comme si l’idiot du village prenait sa revanche sur les arrogants et les imbéciles qui le houspillent et se moquent de son état.
Une autre façon de faire tomber les masques est d’utiliser la franchise exacerbée du trickster (dans le sens où il n’a pas de filtre, ni de censure) retranchant ses interlocuteurs dans leurs ultimes limites les forçant à se dévoiler. Un motif qui fonctionne bien et qui peut être régulièrement utilisé sans risque de lassitude ni de manque d’originalité.
Le trickster peut être n’importe quelle entité
Il n’est pas nécessaire que le trickster soit un personnage. Il peut être une entité quelconque qui va venir bientôt profondément bouleverser la vie du héros.
Ce peut être une invasion d’extraterrestre, une attaque de grand requin blanc ou plus simplement la fin d’un amour. il est tout aussi intéressant de travailler sur l’événement que sur le personnage quand il est question de trickster.
Au-delà de l’événement ou des actions d’un personnage, ce qui compte est l’impact sur le héros, les conséquences de leurs actes sur la vie du héros. C’est à l’auteur de voir si un personnage ou un événement s’adaptera mieux à cet exigence selon les situations.
Vous n’avez peut-être pas besoin d’un trickster
Votre histoire ne se prête pas nécessairement à ce que vous incluez un trickster (quelle que soit sa forme) pour qu’elle puisse fonctionner comme un ensemble, un tout.
Par contre, certains traits de caractère spécifique du trickster pourraient vous permettre d’étoffer quelque peu votre protagoniste. La recherche de personnage en trois dimensions est toujours une bonne chose.
Ace Ventura, par exemple, est un bon exemple de cette technique. A la fois le héros de l’histoire mais aussi un sacré gaffeur.
Notez aussi que les comédies ne sont pas les seules à pouvoir intégrer des tricksters. Des thèmes autrement plus sérieux peuvent être concernés. Le trickster est un archétype et malgré toutes les dimensions dont vous pouvez l’affubler, il n’en reste pas moins qu’il a une fonction dans l’histoire. Quel que soit le genre de celle-ci, cette fonction doit s’accomplir.
Dans La couleur des sentiments de Tate Taylor, les bonnes noires peuvent être vues comme des tricksters (sans se référer à cet archétype) parce qu’elles ébranlent les règles d’une société pour finalement se rebeller contre les limites qu’on leur a imposées.
Un mentor utilise les trucs du trickster
Nous avons vu que le protagoniste pouvait s’emparer de quelques traits de la personnalité du trickster pour étoffer sa propre personnalité.
Il s’avère cependant qu’un autre archétype bénéficie lui aussi grandement des traits du trickster. Il s’agit du mentor.
Un mentor est supposé aider et enseigner au héros à être meilleur. Il est un précepteur qui doit montrer la voie au héros, à l’aider à découvrir sa vraie nature, sa destinée. Généralement, lorsque les choses tournent au vinaigre, le mentor n’est pas présent. De même, au moment du climax, le héros devra être seul pour résoudre son problème. Il ne pourra attendre aucune aide de personne.
Cependant, le processus qui permet au héros de mettre en pratique les enseignements du maître, c’est de s’extriquer lui-même des pires situations en mettant en œuvre ce qu’il a appris du mentor.
On peut donc en déduire que le mentor est responsable des situations terribles dans lesquelles se retrouve le héros. Ne croyez pas que cela soit une solution de facilité. Que le mentor crée (sans le savoir la plupart du temps) les situations contre lesquelles il met en garde le héros est toujours une bonne technique de narration pour faire avancer l’intrigue et l’arc dramatique du héros.
Une variante consiste aussi a laisser de côté une information importante et vitale que le mentor oublie (consciemment ou non) de communiquer au héros.