Le pape de la comédie US est de retour avec un nouveau film admirable.
Avec l’inégal mais néanmoins attachant 40 ans : mode d’emploi, on sentait clairement le cinéma de Judd Apatow à la fin d’un cycle, ou en bout de course selon certains. En effet, difficile de l’imaginer arpenter à nouveau les mêmes sentiers, tant ce dernier opus faisait office d’aboutissement final de toutes les thématiques développées au cours de ses précédents films. Crazy Amy (titre français grotesque pour Trainwreck) était donc l’occasion de constater si le réalisateur adulé de 40 ans, toujours puceau allait réussir à se renouveler sans pour autant abandonner ce qui fait le sel de son cinéma. Et on peut dire que le défi est relevé haut la main. Ce nouveau film inaugure ainsi une nouvelle étape dans la carrière du cinéaste, puisqu’il s’agit du premier film sur lequel il n’a pas participé à l’écriture. Cela peut en effet surprendre, dans la mesure où tous les fans du bonhomme sont unanimes sur son talent de scénariste, qui à l’instar d’un John Hughes ou d’un Woody Allen constitue la marque de fabrique de son cinéma. Mais c’était sans compter sur les talents de la géniale Amy Schumer, LA vraie star du film.
Le film suit ainsi le personnage d’Amy (Amy Schumer), une jeune journaliste libre et sans tabou, dont la rencontre avec le charmant mais plutôt coincé Aaron Conners (Bill Hader) va chambouler le quotidien. On est ici en terrain connu (le pitch rappelant immanquablement celui de En cloque, mode d’emploi), mais qui trouve un nouveau souffle en la personne d’Amy Schumer, la comédienne devenue culte aux Etats-Unis avec son show Inside Amy Schumer. Sans forcément être d’une originalité renversante, son scénario se révèle étonnement touchant, efficace, le tout électrisé par le sens du rythme qu’on lui connait. En investissant la mécanique ultra-codée de la « romcom » américaine, l’actrice-scénariste réussit à la dynamiter subtilement de l’intérieur par une vision intéressante et novatrice du couple, et surtout, un humour irrévérencieux qui n’hésite pas à bousculer son spectateur. Si Apatow s’était déjà amusé à flinguer la comédie romantique classique par un humour trash avec des films comme 40 ans, toujours puceau ou En cloque, mode d’emploi, Crazy Amy se différencie par la touche personnelle apportée par sa star, laquelle injecte pas mal d’éléments autobiographiques au récit (notamment le rapport au père). L’énergie folle de la comédienne alliée au savoir-faire du cinéaste pour disséquer les rapports humains donnent souvent lieu à des scènes irrésistibles. Amy Schumer s’impose comme le coup de fouet plein d’énergie dont avait besoin le cinéaste pour s’extirper de schémas dans lesquels il commençait à s’enliser. Néanmoins, si le sang neuf qu’elle apporte permet au cinéaste d’explorer de nouvelles choses, il s’agit bel et bien d’un film de Judd Apatow, s’inscrivant avec une cohérence et une intégrité remarquables dans la continuité de son œuvre.
On retrouve en effet tout ce que l’on aime chez Apatow : personnages cinglés, références en pagaille à la pop culture, répliques qui fusent… Mais par dessus tout, c’est bien la propension du cinéaste à marier aisément potacherie et émotion qui fait mouche une nouvelle fois. En effet, peu de réalisateurs de comédie ont su aussi bien allier un sens du rythme et de la blague à une compréhension absolue de la psychologie humaine. Comme le faisait John Hughes en son temps, Apatow passe aisément du rire aux larmes, sans posture ni distanciation ironique. On pense notamment à cette formidable séquence d’enterrement, qui oppose avec une maîtrise remarquable mort et humour. C’est en cela que Crazy Amy se différencie du tout venant de la production comique actuelle, en dressant le portrait de personnages attachants et plus complexes qu’ils n’en ont l’air à travers une pure mécanique divertissante et généreuse. On retrouve de plus un motif cher au réalisateur, à savoir le portrait décalé d’un individu en marge de la société et ses relations complexes aux autres. Ce qui pourrait paraître pour de la redite étant donné que le cinéaste explore ce thème depuis son premier long-métrage, ce-dernier parvient à se renouveler en le faisant évoluer. En effet, là où ses précédents films se plaçaient toujours du côté des « geeks marginaux » masculins, il inverse ici les rôles en adoptant le point de vue d’une jeune femme anticonformiste. Comme souvent chez Apatow, les seconds rôles hilarants participent grandement à la folie du film, de Tilda Swinton en rédactrice en chef psychorigide à LeBron James en passant par John Cena (ce dernier révélant des talents comiques insoupçonnés). Si l’on peut toutefois regretter un dernier acte plutôt sage par rapport à ce qui précède, Crazy Amy constitue un beau moment de comédie, qui prouve une nouvelle fois que Judd Apatow n’est pas prêt de quitter son trône.
Réalisé par Judd Apatow, avec Amy Schumer, Bill Hader, Brie Larson…
Sortie le 18 novembre 2015.