Pour la seconde fois cette année, Pixar frappe très fort.
Aujourd’hui, l’inventivité de Pixar et son impact ne sont plus à prouver. Mais plus encore qu’à l’accoutumée, Le Voyage d’Arlo s’avère essentiel car il trouve une résonance toute particulière avec notre monde actuel, en proie à l’orgueil et l’intolérance, jusque dans certains événements tragiques récents. De son concept uchronique assez original (l’astéroïde qui aurait dû provoquer l’extinction des dinosaures a évité la Terre), le film nous donne une définition de la conscience et de l’intelligence humaine en la conciliant à une autre espèce. L’homme existe, certes, mais il n’est qu’un animal sauvage suivant son instinct, tandis que les T-Rex, les tricératops et autres ptéranodons ont développé le langage et l’agriculture. Comme La Planète des Singes en son temps, le fait de transposer nos caractéristiques dans un corps non-humain permet de grossir plus facilement nos qualités et nos défauts ; en bref, ce qui fait de nous des hommes, tout en offrant un regard un peu différent sur la question. A l’instar du chef-d’œuvre de Franklin J. Schaffner, Le Voyage d’Arlo appelle donc à une certaine humilité, démontrant les limites d’une humanité au pouvoir fragile, qui relève avant tout du hasard et d’une chance toute darwinienne.
La nature, qui nous accueille tous en son sein, est ainsi l’un des protagonistes de ce nouveau Pixar. Mêlant la forme au fond comme il sait si bien le faire, le studio californien use ici d’une méthode révolutionnaire de photoréalisme des décors, sublimés par une lumière dont les nuances semblent leur donner des émotions. Par contraste, les personnages sont réduits à des formes beaucoup plus simples, eux qui ne sont pas nécessairement en adéquation avec leur environnement, ou qui ne savent pas encore le voyage qu’il leur offre. Arlo, petit dernier d’une famille d’apatosaures, vit dans une peur constante de ce qui l’entoure, accentuée par un drame dont il s’estime responsable. Un jour, se retrouvant loin de chez lui, il va devoir survivre, jusqu’à ce qu’il rencontre un jeune humain : Spot. Si certains jugeront ce scénario simpliste et déjà-vu, il ne faut tout d’abord pas oublier que Le Voyage d’Arlo a été un désastre en matière de production, et que le réalisateur Peter Sohn (dont c’est le premier long-métrage) s’est retrouvé accrédité au projet seulement deux ans avant sa sortie, en pleine réécriture du script. Peut-être que le film reprend parfois trop explicitement Le Roi Lion ou L’Age de Glace, mais il s’inspire avant tout du parcours initiatique de ses personnages, qu’il en vient à transcender. Il ne définit pas tant l’homme par ce qu’il est que par ce qu’il devient. L’enfant apprend à devenir adulte, et cette introspection est universalisée par son schéma digne des meilleurs mythologues (Joseph Campbell en tête). Dès ses premières minutes, Le Voyage d’Arlo traite de l’idée de « laisser son empreinte », mais il s’agit plutôt d’être marqué par son expédition, de revenir à son point de départ changé, dans cet Aller et retour qui sous-titrait Le Hobbit de Tolkien, ou qui construisait L’Iliade et L’Odyssée d’Homère.
Et comme souvent chez Pixar, cette épopée doit être également celle du spectateur. L’écran n’est plus un outil de passivité car il stimule nos émotions pour nous transformer, quitte à ce que nous laissions un bout de nous-mêmes dans la salle de projection. Bien au-delà d’une simple volonté de divertissement, Peter Sohn suit le crédo du studio par une certaine pédagogie de la vie, dont la maturité s’avère aussi bénéfique pour les enfants que pour les parents. Henry, le père d’Arlo, affirme à ce dernier que la peur cache la beauté. En effet, loin d’un optimisme béat, le film nous montre que la nature peut être cruelle, mais qu’elle est aussi indéniablement sublime. Nos yeux, comme ceux du dinosaure et de son compagnon Spot, s’écarquillent pour se nourrir de cette magnificence qui dépasse les mots. A plusieurs reprises, le long-métrage appuie même l’inutilité du langage par les différences entre ses deux héros. Lors d’une scène poignante, Arlo essaie d’expliquer à Spot sa situation familiale par la parole, en vain. Pourtant, il lui suffit de quelques bâtons et d’un marquage dans le sable pour que l’enfant humain comprenne et fasse de même, afin qu’ils puissent ensemble partager leur chagrin. De cette façon, la nature devient un langage en soi, et les épreuves de la vie, ainsi que la façon dont nous les surmontons, décrirait le plus simplement du monde ce qui fait de nous des hommes. Loin de la barbarie à laquelle certains ont succombé, l’émotion est le vecteur premier de notre humanité, celui qui nous permet de naître et de renaître. Métaphoriquement, le cinéaste l’exprime notamment par l’eau, symbole de la vie visible sous la forme d’une rivière qu’Arlo doit suivre pour rentrer chez lui, mais aussi représentation d’un liquide amniotique duquel il ressort grandi, ne serait-ce qu’en apprenant à nager.
Le Voyage d’Arlo pourrait ainsi être résumé comme un magnifique appel à la vie, mais aussi comme l’expression la plus explicite et simple (et non simpliste !) du récit de l’humanité que recherche constamment Pixar. Avec le temps, l’émotion qui est au centre de son processus créatif a été décortiquée, voire disséquée jusqu’à récemment avec le sublime Vice-Versa. Peter Sohn trouve peut-être ici sa forme la plus atomique, la plus pure, ancrée dans un inconscient collectif qui ne demande qu’à être mis à profit. L’art cinématographique revient à ses fondamentaux audio-visuels, servant moins la narration que la sensation. La qualité technique n’en est alors que plus salutaire, permettant une contemplation parfois apaisante, dans laquelle le génie du studio californien manipule encore une fois nos émotions avec une précision et une efficacité folles. Il suffit souvent de quelques secondes pour passer du rire aux pleurs, tel un yo-yo émotionnel révélateur de la compréhension des codes du cinéma par son réalisateur. Le Voyage d’Arlo n’hésite pas à briser certaines barrières, passant du film d’aventures classique au survival plus adulte, ou encore du mélo-drame familial au western (oui oui !). Les ficelles sont parfois grosses, mais elles n’en sont que plus efficaces quand elles sont tirées dans le bon ordre. Nous acceptons alors sans peine de devenir la marionnette, contrôlée par une main nous emmenant vers l’écran pour y pénétrer, et y vivre une incroyable aventure.
Réalisé par Peter Sohn, avec les voix en VO de Raymond Ochoa, Frances McDormand, Jeffrey Wright…
Sortie le 25 novembre 2015.