Diaboliques au pluriel ! Oui diabolique tel est ce film apparu sur les écrans en 1955, obtenant dès sa sortie le statut de film culte.
Quelques mots d'introduction pour planter le décor : vous avez déjà pu le lire dans les portraits de la fine équipe entourant le Patron, je suis l'ancien ! Forcément, ce film fait partie de l'héritage familial... Un jour, je vous parlerai comment l'As des As est devenu le premier film souvenir de Canal+ en 1984, mais pour le moment, je vais vous parler du duo Véra Clouzot-Simone Signoret, deux actrices au panthéon des favorites de mes grands-parents.
Ma grand-mère s'est occupée de moi tout petit, et mon grand-père a connu les joies de la pré-retraite, donc forcément les mercredis après-midi étaient tournés vers le cinéma. Et mes grands-parents ont créé ma culture télé et ciné... et d'aussi loin que je me souvienne, avec Un Singe en Hiver, Les Diaboliques ... qui sont les premiers films qu'ils m'ont expliqué afin que je comprenne les enjeux psychologiques du film.
Oui, je sais, j'ai une chance incroyable !
Que raconte les Diaboliques ?
Synopsis : Dans une institution destinée à l'éducation des jeunes garçons, Christina et Nicole, respectivement épouse et maîtresse du directeur Michel Delasalle, s'associent afin d'assassiner l'homme qu'ells ont fini par haïr.
Mais quelques jours après leur méfait, le corps de Michel disparaît...
Henri-Georges Clouzot est un réalisateur français de talent. Avec le recul, d'ailleurs, il est certain que personne n'osera dire le contraire.
Mais quand on s'intéresse plus attentivement à sa filmographie, il a déjà à son actif : l'assassin habite au 21 (1942), le corbeau (1943) et surtout le salaire de la peur (Ours d'Or à Berlin en 1953 et Grand Prix à Cannes, la même année... correspondant à la Palme d'Or aujourd'hui). Un petit tour s'impose dans cette filmographie incroyable ! Et pourtant mon premier Clouzot est ce film : Les Diaboliques.
Tout est présent : du suspense, de l'amour, de la trahison, de la réflexion. Et puis Clouzot est un conteur : il sait vous captiver et vous prendre par la main dès la première minute pour ne plus vous lâcher.
Oh non, il ne vous lâche plus car vous avez envie de savoir, envie de connaître le fin mot de l'histoire. Qui est coupable ? Sont-elles si pures que cela ? Et si Christina n'était pas si naïve et peureuse voire malingre qu'on ne pourrait le supposer... et si Nicole était plus machiavélique que prévue... ou alors moins manipulatrice... Et finalement, qui est vraiment Michel ?
Si le film fonctionne à merveille, c'est parce que Clouzot offre un scénario ciselé à un casting qu'il dirige à la perfection.
Tout d'abord Simone Signoret, auréolé du succès de Casque d'or, elle montre ici une facette nouvelle de son talent. En machiavélique et vénéneuse Nicole, elle montre à quel point les rôles de femmes déterminées sont pour elles. Elle démontre aussi qu'elle peut mener un film du début à la fin et s'imposer sans pour autant écraser ses acolytes.
Et il faut tout le talent de Simone pour ne pas écraser la prestation nuancée, timide et réservée de Véra Clouzot, alors épouse du réalisateur. Cette fois, on sent à quel point son mari la pousse et la malmène pour l'emmener vers des sommets de composition et lui permettre de révéler le volcan qui couve en elle.
Enfin, il reste Charles Vanel en commissaire coriace et Paul Meurisse en mari et amant brutal et détestable. Et il faut dire qu'il aura souffert durant le tournage (sans doute pour lui faire payer la gifle qu'il donna à Simone et la mauvaise humeur auprès de Véra) car il dut rester une journée complète dans une baignoire d'eau froide pour une séquence qui dure à peine 3 minutes dans le film... et que dire des scènes en extérieur où il fut forcé d'avoir des glaçons en bouche pour éviter que de la buée se forme.
Clouzot, un réalisateur tyrannique ?
Et si il n'y avait que la baignoire, les glaçons... que dire de la malle, des jeunes acteurs (pour l'anecdote que tout le monde connaît désormais, Johnny Hallyday fait ses premiers pas de jeune acteur... à peine 12 ans) qui étaient ingérables ou encore de la scène qui aura fait couler beaucoup d'encre : un repas avec un fameux poisson avarié que vont réellement manger les acteurs !
La réputation de Clouzot n'est plus à faire mais s'ils maltraitent ses acteurs, il en fait de même avec les journalistes. Aucun n'a été invité sur le plateau pour conserver la surprise de l'histoire et des interprétations des acteurs. Enfin, il fut le premier à demander aux spectateurs de ne pas parler du film après l'avoir vu autour d'eux (Hitchcock fera de même en 1960 avec Psychose) : un carton avertissait les spectateurs de ne rien raconter en sortant de la salle. Mais il faut dire que ce silence en vaut la chandelle !
Quel est le résultat des Diaboliques au box-office ?
3 647 680 entrées... cela se passe de commentaires : ce n'est pas un succès mais un carton Et si on veut pousser plus loin, on ajoutera les 1,18 millions de spectateurs rien que sur Paris. Avec une sortie le 26 janvier, le film réussira à conserver pendant un mois la place de numéro du box-office français pour finalement terminer à la 5ème place annuelle.
Le film n'est pas sorti aux USA mais il a été vu et apprécié d'où l'idée (même si elle fut tardive) de remake.
En 1996, Hollywood a la riche idée de confier le remake de la pépite à un réalisateur dont la filmographie se résume à trois petits films dont le mignon Benny & Joon.
De plus, Hollywood a sous contrat : Isabelle Adjani et Sharon Stone... l'une comme l'autre cherchent à travailler ensemble. Si l'histoire est identique, Chazz Palminteri remplaçant Paul Meurisse, le film a perdu en intensité. Pourquoi ? Simplement parce qu'en traversant l'Atlantique, le film a perdu son côté dramatique pour un thriller plat dont le final est tout simplement pathétique. Comme souvent, quand un réalisateur a deux locomotives de talent, il est compliqué de les diriger. Tout en ajoutant que les droits du remake ont été longtemps protégés par la veuve de Clouzot. Raté pratiquement du début à la fin, l'affrontement Adjani-Stone ne tiendra pas ses promesses, l'actrice française le confiera même au journal Première. Aussi, on oublie et on se rue sur l'original !
Un Mot de Conclusion...
En adaptant le livre de Boileau/Narcejac (qu'aurait longtemps convoité Hitchcock et pour qu'ils écriront "D'entre les morts" devenu Sueurs froides), Henri-Georges Clouzot offre un film policier et en même temps un thriller comme la France en produisait beaucoup dans les années 1950. Cependant, même si ce genre est un peu tombé en désuétude, il réussit à captiver ses spectateurs pour offrir une histoire incroyable.
En ancrant son sujet dans un quotidien des plus plausibles et réel, il propose un film haletant dont les rebondissements surprennent à chaque vision. Car là est le secret des diaboliques, savoir toujours surprendre à chaque visionnage pour détecter le petit indice qui... ou admirer la construction narrative qui bluffe et embrouille avec brio le Cinéphile que vous êtes. Une pépite assurément !