[Critique] Strictly Criminal réalisé par Scott Cooper

[Critique] Strictly Criminal réalisé par Scott Cooper
Synopsis : "Le quartier de South Boston dans les années 70. L'agent du FBI John Connolly convainc le caïd irlandais James "Whitey" Bulger de collaborer avec l'agence fédérale afin d'éliminer un ennemi commun : la mafia italienne. Le film retrace l'histoire vraie de cette alliance contre nature qui a dégénéré et permis à Whitey d'échapper à la justice, de consolider son pouvoir et de s'imposer comme l'un des malfrats les plus redoutables de Boston et les plus puissants des États-Unis..."

Cela fait huit ans que la carrière de Scott Cooper en tant que réalisateur a démarré. Et en huit ans, ses plateaux de tournage ont accueilli un nombre incalculable de stars et de producteurs, tombés dans l'oubli ou totalement "bankables". Son dernier long-métrage en date, Strictly Criminal, a pour but de remettre efficacement en selle Johnny Depp, victime depuis quelques années de fours monumentaux au box-office international, sur le marché hollywoodien lucratif et qualitatif. Et, bien que l'acteur parvient à remarquablement se métamorphoser, le film reste quant à lui un échec amer, où le scénario emprisonne inlassablement la mise en scène intelligente de Cooper, dans un systématisme académique perturbant.

Strictly Criminal, ou Black Mass dans sa version originale, est tout d'abord un hymne au film noir qui traverse le temps. Tour à tour porté à l'écran par des esthètes du genre tels que Orson Welles, John Huston, Fritz Lang ou encore Alfred Hitchcock; et sublimé par le regard moderne voire post-moderne Martin Scorsese, il a su se renouveler au fil du temps au travers des partis pris subversifs ou de nouveaux ressorts narratifs qui firent leurs effets. Ici, le film évoque la descente aux enfers parallèle d'un flic du FBI, John Connolly, et de son ami d'enfance James "Whitey" Bulger, qu'ils ont eux-mêmes hélas orchestrés. Le célèbre principe du "Rise & Fall", appelé en français "gloire et déchéance", est à l'honneur ici, et malheureusement c'est déjà son premier gros défaut: le film de Cooper voit sa narration sombrer dans les conventions dès les premiers instants du film.

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Bien qu'il ne tire volontairement jamais sur les petites piques humoristiques, habituelles aux films actuels, le scénario est d'une banalité impensable, oscillant entre une intrigue accumulant les poncifs du genre sans sourciller, et diverses scènes de meurtre qui perdent progressivement de leur intérêt au vu de la mécanique générale instaurée dès le départ. Cela pourrait s'expliquer probablement par le fait que de nombreux scénaristes ont avoué s'être librement inspirés de la vie de "Whitey" Bulger pour d'autres films de gangster antérieurs, mais ça n'excuse pas la paresse incroyable de l'écriture. Même les artifices narratifs rapidement vains, en particulier le fait que le film est une analepse linéaire racontée par trois personnes différentes, n'arrivent à rompre avec le systématisme académique dont il transpire par tous les pores de sa trame, épuisant ses ressources au bout d'une demie-heure de pellicule, sans jamais parvenir à provoquer un frisson tellement cela devient très rapidement prévisible et déjà vu.

Malgré tout, Scott Cooper n'a lui pas grand chose à se reprocher. A travers le prisme de sa mise en scène et de ses personnages, il parvient à générer une forme d'interrogation sur son classicisme vis-à-vis du genre, comme l'avait fait Foxcatcher en encore plus visible et intéressant. En témoignent son rythme lent et très couillu qui posent une ambiance intéressante, et ses milliers de plans fixes, qui éloignent esthétiquement son projet d'une quelconque ressemblance avec un film de gangsters "pur", tels que Les Affranchis ou Mean Streets de Scorsese, et le rapprochent plus d'un Pakula. Ses multiples surcadrages, et le peu d'air laissé lors des champs/contre-champs tous effectués avec les personnages au centre du cadre, restent dans l'idée habile de resserrer le monde dans lequel gravitent les personnages, afin de laisser place à la fatalité. Plastiquement difficile à réfuter, il insuffle un charme très "eighties" qui fait son effet lors de quelques fulgurances. Cependant, à force de répéter les meurtres, Cooper s'embourbe lui aussi dans la répétition gênante. Il est également dommageable que, là encore, les dialogues souvent sur-écrits ou la bande originale - peu originale - très (trop ?) présentes éclipsent les possibilités de silence ou de non-dits, qui auraient pu être agréables et auraient pu créer un étage de tension supplémentaire et empêcher le film de tomber trop rapidement dans l'évidence.

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Strictly Criminal, cependant, n'est pas qu'une histoire de criminels sur le papier. Comme dit plus haut, c'était également le retour promis par les studios de Johnny Depp au premier. Maquillé à la truelle, il parvient néanmoins à tirer son épingle du jeu en être démoniaque, sadique et incontrôlable dans la peau de Jimmy "Whitey" Bulger. Mais l'inconvénient est que son personnage tourne lui aussi en rond, et les histoires de famille qui se brodent progressivement autour de lui ne semblent jamais avoir l'impact attendu sur sa personnalité. Mais la (face)palme de ce long-métrage revient à Joel Edgerton, absolument désastreux dans son rôle de policier coincé entre les valeurs de sa "famille", celles de la rue; et les valeurs formelles du FBI. Son jeu d'acteur n'est qu'une caricature, presque risible, du flic ripoux qu'on a déjà vu un milliard de fois au cinéma, et en mieux joué ou plus nuancé. Il ne provoque aucun attachement ni d'empathie.

Le reste du casting est en sous-régime, jouant "comme dans...", totalement éclipsés par les deux têtes d'affiche: Adam Scott n'a aucun intérêt; Rory Cochrane et Jesse Plemons tirent la tronche pour montrer que ce sont bien des vilains méchants, et on leur en demande pas plus; Kevin Bacon ne semble pas très concerné; Benedict Cumberbatch fait du Benedict Cumberbatch; Dakota Johnson fait du Dakota Johnson... Juno Temple a néanmoins le mérite d'être dans la scène la plus intéressante du film cela dit, mais malgré son léger importance dans le prolongement du récit, elle apparaît aussi vite qu'elle est arrivée.

En Conclusion :

Strictly Criminal est l'une des déceptions les plus atroces de ce cru 2015, tiraillée entre son idéal classique dans la direction artistique et son objectif à Oscars dans son écriture. Un échec... strictement criminel.