Une bonne petite surprise anglaise.
1997. L’industrie musicale repose sur la domination de la Britpop avec des groupes comme Blur, Radiohead, Oasis ou encore les Chemical Brothers. Un joli contexte sonore qui enjolive d’ailleurs nombreuses scènes de Kill your friends et la vie rock n’roll de Steven Stelfox (Nicholas Hoult), producteur et chercheur de talents prêt à tout pour gravir les échelons. Cynisme, mensonges, plans machiavéliques, voix-offs et autres quatrièmes murs brisés, le film s’accroche solidement aux codes de la comédie/thriller prônant le cool de l’immoralité façon American Psycho. Le réalisateur Owen Harris s’amuse alors à nous impliquer dans cette escalade à la violence dont nous finissons (honteusement) par jouir. Nous nous étonnons parfois de penser exactement les mêmes atrocités que le protagoniste, qui nous les crache à la figure pour mieux les banaliser. Il nous rappelle même par instants, au travers de quelques idées ingénieuses de montage, que le cinéma possède, à sa manière, ce pouvoir de sonder les âmes comme la littérature, afin de permettre une connivence plus forte, bien que dérangeante, avec les personnages.
Toutefois, ce parti-pris s’avère être aussi la limite de Kill your friends, tant il rappelle par moments les modèles (même récents) du genre, du Loup de Wall Street à Nightcall en passant par la série House of Cards. A la comparaison, le rejeton d’Harris (dont il s’agit du premier long-métrage, soyons cléments !) manque d’agressivité, et se révèle presque standard pour une production dont le but reste de choquer (un peu) son public. Néanmoins, l’ensemble captive tout du long, d’une part grâce à un rythme bien mené, d’autre part par le fraîcheur des noms de son générique. Outre l’équipe technique majoritairement jeune, le casting est constitué en grande partie d’inconnus, amenant un sang neuf bienvenu dans un contexte narratif lui-même en pleine transformation (les producteurs de musique ne perçoivent pas alors la portée croissante du téléchargement). Mais Kill your friends est surtout l’occasion de prouver une fois pour toutes le talent immense de Nicholas Hoult, jusque là surtout cantonné à des seconds rôles (bien que cela lui ait permis de jouer dans Mad Max : Fury Road !). Portant l’hypocrisie du monde au travers de son personnage, l’acteur fascine par ses expressions corporelles et sa gestion des émotions, qui ne demandent qu’à éclater pour exprimer toute leur antipathie de la race humaine.
Après tout, le long-métrage fonctionne avant tout par son aspect cinglant, se traduisant la majorité du temps par un montage qui sépare les personnages, prisonniers de leur simple visée du pouvoir, et aveugles à ce qui les entoure. Les manipulations et autres trahisons sont souvent à chercher dans la profondeur de champ, un jeu de lumière ou le hors-champ. Il est alors amusant de constater comment Harris appuie le néant artistique de ces sociétés tournées vers l’argent, comme si l’espoir avait disparu. Par contraste, Steven possède une niaque qui n’est autre que celle de l’équipe de tournage, s’efforçant de montrer l’art qui se cache derrière ce petit film indé pour malins cyniques. Tout n’est pas toujours très réussi ou très original, mais on ressent de vraies intentions et une réelle envie de bien faire qui se rapportent à l’efficacité de la structure. D’une certaine manière, il est simple de corréler l’anti-héros à son cinéaste, tous deux en quête de reconnaissance mais acceptant une patience parfois insoutenable. Reste à savoir jusqu’où sera prêt à aller Owen Harris…
Réalisé par Owen Harris, avec Nicholas Hoult, Craig Roberts, James Corden…
Sortie le 2 décembre 2015.