Sorti le 25 novembre 2015, directement en DVD, nous avons pu visionner Chloé & Théo, le premier long-métrage d’Ezna Sands. L’occasion de revoir Dakota Johnson après le pitoyable 50 nuances de Grey et de s’apercevoir qu’elle sait jouer, finalement. L’occasion, également, de piquer une gueulante devant toute cette bien-pensance de classe visant à culpabiliser les particuliers tout en donnant une vision idillyque du monde des affaires et de l’investissement vert. D’autant plus que Chloé & Théo accompagne cette démarche d’une essentialisation forcené des inuits pour mieux faire jouer la carte d’une civilisation supérieure à l’occident là où l’Homme reste l’Homme.
Théo (Théo Ikummaq), un inuit, est envoyé par ses anciens pour compter une ancienne légende aux dirigeants du Sud. Fraîchement débarqué à New-York, il fait la rencontre d’une sans-abris, Chloé (Dakota Johnson que l’on a vu, donc, dans 50 nuances de Grey) qui lui promet de l’aider à rentrer en contact avec les élites du monde industrialisé. Théo (Theo Ikummaq)
Chez Une Graine dans un Pot, nous ne sommes pas les derniers à parler du réchauffement climatique quand nous le pouvons et nous sommes très loin des climato-sceptiques aveugles. Depuis que je suis né, j’ai vu disparaître l’automne et le printemps que l’on ne retrouve qu’en s’enfonçant dans l’arrière-pays montagneux. Nous passons de chaleurs étouffantes à un grand froid. Récemment, dans ma région, l’incurie des pouvoirs publics en matière d’urbanisme à dramatiquement montré les limites des constructions irraisonnée en occasionnant plusieurs morts dans une tempête très rare dans les Alpes-Maritimes. C’est une expérience de l’ordre du sensible et du concret que personne ne peut nier. Nous étions donc ravi qu’une star montante d’Hollywood s’associe, à l’approche de la COP 21, à un projet de film éducatif sur les changements à venir. Quel déception nous avons eu devant tant de mièvrerie et de faux-semblants ! Théo (Theo Ikummaq), Chloé (Dakota Johnson) et Tyler (Ashley Springer)
Premier irritation, Chloé & Théo tombe rapidement dans l’essentialisation la plus outrancière. Si il y a une chose dont nous sommes convaincus, c’est certes que l’humanité est capable de grandes et belles choses mais également qu’elle est très homogène. Il n’y a pas de civilisation supérieure à une autre, il n’y a que des modes de vies sociétaux différents. Des ethnologues de carton ont voulus nous faire avaler la pillule que les sociétés les plus primitives, au sens où elles vivent au plus proche de la manière de vivre de leurs origines, sont aussi les sociétés les plus pures. Mais qu’est-ce donc que cette pureté ? Dans Chloé & Théo, Théo est constamment défini selon le champ lexical de l’innocence. Cette ingénuité est une fable pour culpabiliser les humains vivants dans les sociétés modernes. De toutes les sociétés, pour construire un monde meilleur, il y a à prendre et à laisser. On n’accusera pas les inuits d’être responsable du réchauffement climatique mais leur préter une aura immaculée de sagesse est une erreur fondamentale. Quid des mariages forcés, par exemple. A ce propos, nous avions vu le très beau film russe Le lichen des caribous qui raconte la vie d’un nenets dans une société similaire du grand froid. La même grossière simplification est effectuée tantôt par les admirateurs de l’Afrique animiste, des papous et des tibétains. Les solutions sont malgré tout à rechercher en commun et non pas en opposant les cultures, certaines étant nécéssairement pensé comme plus vertueuse que d’autre. Et ce n’est pas tout, le long-métrage d’Ezna Sands essentialise même la sans-abri en en faisant une ingénue au bon cœur et en gommant fortement le caractère indigne de sa situation. Monica (Mira Sorvino)
Dans cette optique, le second point faible de Chloé et Théo réside dans les solutions apportées par le récit. Tenez-vous bien mais vers qui doit-on se tourner pour sauver la planète ? Vers des sociétés côtés en bourse bien sûr… Je vous vois écarquiller les yeux devants votre écran mais c’est belle et bien la solution proposée. Comme si le capitalisme, même rebaptisé « vert », pouvait porter en lui des réponses à la crise climatique alors que son fonctionnement intrinsèque est basé sur la surproduction et le gaspillage des matières premières. Et on voit aussi les limites des belles paroles. Chloé & Théo part du principe qu’il faudrait que n’importe quel illuminé monte à la tribune des Nations-Unis pour convaincre les dirigeants mondiaux d’infléchir leurs politiques de profits. Dans l’état actuel de nos démocraties, c’est tout bonnement un compte de fée parce que nos gouvernants sont tenus par des lobbys puissants (pétrolier, pharmaceutique et financier en tête) qui ne sont capables de voir qu’à court-terme. Et que, malheureusement, les prolétaires comme les classes moyennes, de plus en plus appauvris sont nécessairement tenus de penser également à courts-termes. Sauf qu’il s’agit pour les premiers d’un jeu cinique de pouvoir et d’influence, tandis qu’il s’agit pour les deuxièmes de finir les fins de mois avec un tant soi peu de dignité. Si l’on peux débuter à apporter des solutions à titre personnel comme réduire sa consommation de viande, prendre les transports en communs, trier ses déchets, etc… il faudra une véritable révolution démocratique nous débarrassant de la corruption, donnant le pouvoir aux peuples si l’on veut pouvoir agir efficacement et collectivement sur le climat. C’est se bercer de douces illusions que de croire que trois technocrates dans leur tour d’airain pourront faire bouger les lignes. La dernière raison d’être exaspéré par Chloé& Théo est ce moment d’anthologie où leur bienfaitrice Monica (Mira Sorvino) explique à Chloé, SDF depuis des années, qu’elle n’est pas la seule à souffrir puisqu’elle souffre elle-même beaucoup, en tant que médecin, de ne pas avoir pu sauver une petite fille africaine du VIH. On admet que hiérarchiser les souffrances est parfois malvenu mais tout de même, on ne recule ici devant aucune indécence. Chloé (Dakota Johnson)
Pour conclure, hormis et ce n’est pas une boutade que Dakota Johnson est ici huit fois que dis-je dix fois plus expressive et vivante que dans 50 nuances de Grey, Chloé & Théo est une sombre farce culpabilisante où aucune solution n’est envisagée concrètement et qui se terre encore derrière la possibilité de changer les choses sans repenser intégralement le système politique. Une vaste blague.
Boeringer Rémy
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