Avec Isabelle Carré, Karin Viard, André Dussollier,
Sergi López, Laurent Poitrenaux, Denis Lavant, Philippe Rebbot,
, parisienne et mère de famille d'une quarantaine d'années, débarque dans un petit village du sud de la France. Elle doit organiser dans l'urgence les funérailles de sa mère, , avocate volage, qu'elle ne voyait plus guère. Mais encore vendre la belle demeure dont elle était propriétaire
une femme de ménage amie de sa mère , qui aime raconter à qui veut bien l'écouter ses aventures amoureuses avec les hommes du coin.
Alors que toute la vallée se prépare pour les fameux bals du 15 août, le corps de la défunte disparait mystérieusement.
: Nous avons commencé à écrire le scénario durant l'été 2013 à Castans, dans l'Aude, petit village très isolé du sud du Massif Central. C'est notre deuxième lieu d'origine avec les Pyrénées, un lieu d'adoption. La vraie Pattie, que nous connaissons depuis longtemps, était présente cet été-là.
: Un soir, au cours d'un dîner, elle s'est mise à raconter sa vie amoureuse. Ou plutôt... sexuelle.
: L'idée du film est née ce soir-là. Nous avons entamé un travail d'écriture assez fidèle à son style, avec digressions, parenthèses... Nous avons finalement développé un scénario et inventé la situation de Caroline, qui arrive ici parce que sa mère est décédée... Puis le corps de sa mère disparaît...
: D'un certain point de vue, le film dresse le portrait de deux mortes : la mère mais aussi Caroline, sa fille. Elle n'est pas très en vie non plus, comme éteinte, séparée d'elle-même.
: Quand le corps de la mère disparaît, on n'entre pas dans un film policier. L'important, c'est la trajectoire de Caroline qui arrive dans la maison, se nourrit des récits de Pattie, puis affronte peu à peu son problème avec le désir.
: Nous voulions adopter le point de vue de celle qui écoute. Caroline.
: Très rapidement, nous nous sommes rendu compte que nous écrivions un film sur la parole. Nous avons développé un érotisme parlé, sans nudité ou presque. Les images sexuelles sont d'abord dans le texte. Ce n'est pas si simple, c'est même encombrant : les mots de Pattie suggèrent de l'image.
Pattie parle du sexe des hommes comme d'une obsession. Elle reste fixée sur une idée...
: La pénétration.
: Ce qu'elle produit dans le film, c'est le langage comme pénétration.
: Nous voulions que Caroline soit pénétrée par ses récits.
: C'est la raison pour laquelle nous avons mis plusieurs univers en parallèle, tous guidés par l'idée de narration. Il y a les récits de Pattie mais aussi cet écrivain potentiel avec le personnage d'André Dussollier que Caroline prend pour Jean-Marie Le Clézio. Tout tourne autour du langage.
Pour vous, ce film est l'occasion d'un retour aux origines. Votre premier long-métrage, Fin d'été (1997), a été tourné au même endroit.
: La maison de la mère est celle que nous avons connue lors de nos premières vacances, dans cet endroit. Des amis de nos parents la louaient. Le sol était en terre battue, il y avait une seule pièce aménagée avec une cheminée. Une quasi ruine...
: On y a débarqué par une nuit d'été en 1974. Tout faisait peur, elle était entourée d'une forêt très profonde... Y revenir quarante ans plus tard par le biais du cinéma a été une grande émotion. Les acteurs l'ont forcément ressentie. La pente que descend Isabelle Carré au début du film, nous la descendions gamins en vélo... L'Aude cristallise notre enfance, plus que les Pyrénées. Le film est nourri de cela, comme ce bal que nous avons connu dès l'âge de sept-huit ans, où les gens viennent de toute la région. Nous connaissons bien l'endroit, sa géographie, ses lacs... Sa sauvagerie.
: Le retour en enfance de Caroline s'est nourri de nos propres sensations.
: Nous ne voulions pas que Caroline apprenne des informations sur sa mère de manière linéaire, comme dans une dramaturgie classique. Elle n'a pas de rapports avec elle. Quand son corps disparaît, elles renouent, mais d'une certaine manière... Cela se produit par l'intermédiaire du personnage d'André Dussollier, l'inconnu qui arrive et sur lequel elle peut fantasmer comme sur un possible père... alors qu'il est peut-être nécrophile ! Dès que nous avons commencé à penser à André Dussollier pour ce rôle, tout s'est déclenché à l'écriture, y compris la confusion possible avec Jean-Marie Le Clézio... C'est par les mots que Jean "pénètre" les autres et en particulier Pattie. Pour la première fois, elle est en situation d'écoute... Et tombe amoureuse. Avec sa précision, son implication hors pair, André nous a comblés. Il parvient à jouer plusieurs personnages à la fois.
: Pour en revenir à la mère, nous avons éliminé ses mystères biographiques. Quelques mots sont prononcés au début du film pour la définir : volage, libertine... Mais dès qu'elle se "réveille", on oublie cela.
: Nous voulions une présence forte et corporelle, ce qui nous a mené à aller chercher du côté des danseuses-chorégraphes. Avec Mathilde, nous avons imaginé trois vrais moments. L'un où elle commence à se "réveiller". Un autre où elle réapparaît à sa fille. Un autre enfin autour de la piscine. Nous avons travaillé sous forme d'atelier, au moment même du tournage. Mathilde inventait sous nos yeux sa propre chorégraphie.
: L'expression que nous utilisions pour la guider était celle d'"apprenti fantôme". Cette mère décédée est un apprenti fantôme. Et une danseuse sait faire cela... Redécouvrir des actes aussi élémentaires que marcher, échanger un regard, sourire...
: À l'image, nous tenions à l'idée de la représentation du fantôme à l'ancienne, du temps du cinéma muet, avec la classique surimpression. Pour la scène où elle danse sur la table, nous avions à notre disposition la musique du bal et seulement une heure de tournage possible à cause de la lumière. Mathilde a improvisé, cela fait partie de sa méthode. La chorégraphie ne préexiste pas à la danse... À ce moment-là, en découvrant sa liberté de fantôme, son personnage transmet quelque chose à sa fille, par de pures sensations... Le renouveau ? Il n'y a rien de psychologique. Et Caroline peut alors enfin se rendre au bal.
: Nous avons souvent l'idée de mettre des rêves dans nos films. La plupart du temps, on se dit que ce serait mieux qu'il n'y ait pas de rêves, mais que le film lui-même bascule dans une frontière où le réel se mélange avec l'onirique. C'est toujours dans le but d'éviter les explications psychologiques. Dans
Les derniers jours du monde et L'amour est un crime parfait , nous avions déjà joué avec cela. Nos premiers films Super 8 étaient des films d'horreur et d'épouvante.
: Avec la nuit, la nature, ces ambiances viennent vite. Je ne sais pas si nous avons voulu faire du fantastique, mais il y a ces yeux qui apparaissent dans la nuit quand Caroline traverse la forêt...
: Dans cette scène, nous mélangeons un orage réel que nous avons filmé et un éclairage par flashes. Nous y sommes allés franchement, dans une direction techno et fantastique. D'une manière générale, nous jouons avec le féminin, la forêt, l'enfance, ce bal que nous transformons en quelque chose de mythique... L'aspect fantastique est arrivé au tournage plus qu'au scénario.
: Pour le bal de village, nous avons collaboré avec les musiciens d'. Dans une séquence de sept à huit minutes, nous voulions qu'ils enchainent le paso doble, quelque chose de plus dansant inspiré par la disco, et enfin un slow. Tout un bal résumé en trois morceaux. Ensuite, il fallait pouvoir glisser naturellement vers une musique de film. Nous avons fait appel à
Nicolas Repac. Ce musicien utilise des enregistrements très anciens, parfois des années 1920-1930, de musiques noires ou de Jazz, qu'il sample et remixe. Nous avons utilisé ses disques mais aussi ce qu'il a réalisé à partir de la musique de bal, avec cette même méthode.
: Nous avons tenu à ce qu'il vienne sur le tournage, qu'il s'imprègne de "l'esprit des lieux".
: Finalement, sa musique a parfois un côté "bayou", qui rejoint l'esprit de Vaudou, le film de Jacques Tourneur.
: C'est une actrice toujours prête à apporter quelque chose. C'était d'autant plus important que
: Isabelle a un visage où il faut chercher la sexualité, la séduction, qui ne se donnent pas immédiatement. C'est intéressant.
: Nous avons lu récemment un texte de Virginie Despentes qui s'appelle La femme et l'écran où elle évoque le "test Bechde", qui vient d'une BD. Ce test concerne tous les récits et notamment les films. Il cherche d'abord à savoir si dans un film au moins deux personnages importants sont des femmes, puis si les femmes parlent entre elles d'autre chose que des hommes. Eh bien, quasiment aucun ne passe la barre ! Dans , il y a deux femmes. Elles se parlent. Parfois des hommes. Mais est-ce que Pattie, au fond, n'évoque pas davantage la jouissance ? Il y a quelque chose de quasi-mystique dans son discours, c'est pourquoi nous évoquons le 15 août... Pattie incarne la puissance féminine
: Quand on connaît la vraie Pattie et que l'on voit Karin, on a affaire à deux personnes très différentes. Et pourtant... Karin a beau être une bobo parisienne comme elle le dit elle-même, elle y est arrivée. Nous avons lancé un pari renoirien avec elle, celui de l'énergie particulière à chaque comédien. Les premières lectures du texte, qui est très érotique, voire obscène, n'avaient rien d'évident.
: Au début, c'était un peu trop "interprété". Nous voulions simplement de sa part une exubérance de la parole, de la joie, de l'amour, sans provocation ou connotation morale liée au mal ou à la manipulation. Nous étions tendus, car chaque récit de Pattie était tourné en plan séquence, pour en préserver la tension. Mais le résultat correspond totalement à ce que nous espérions. Karin a lâché prise. Au montage, nous avons aussi constaté à quel point ce que fait Isabelle Carré est incroyable, sa capacité à écouter, des plans de trois minutes où il se passe beaucoup de choses alors qu'elle ne dit rien. Leur duo fonctionne très bien, presque comme un personnage dédoublé...
: Nous avions envie que Caroline retrouve son mari à la fin, dans une situation qui fait penser à Belle de jour de Buñuel : elle arrive à faire entrer tout l'imaginaire qui a été le sien dans une relation conjugale. Pour nous, la vraie provocation et l'ouverture se trouvent là.
: Caroline se laisse envahir plutôt que de passer à l'acte...
: Elle glisse autour de la question... Elle avance dans le territoire du désir comme dans un monde nouveau. Nous avons choisi de faire un film assez lumineux, dionysiaque, tout en regardant ce qu'il est possible de réaliser avec des forces noires, morbides. Une sorte de conte, lucide par rapport à la psychanalyse. L'histoire de la mère, c'est vraiment l'éveil d'un fantôme qui trouve sa maison et commence à habiter les vivants. On peut refuser que les fantômes nous habitent, mais ils sont présents malgré tout.
: Nous tenions à ce que le film se termine sur une sorte de spectacle d'harmonie, certes fragile et provisoire, non dénué d'ironie, dans lequel la famille et la communauté retrouvées sont louées autant que les délices de l'amour physique.
: Le point de vue exclusif de Caroline s'est brusquement et enfin élargi.
D'emblée la très belle photographie de Yannick Ressigeac nous plonge dans le "deuxième lieu d'origine avec les Pyrénées, un lieu d'adoption." déclarent les réalisateurs. Des hameaux en plein cœur le la Montagne Noire comme décor.
Des personnages, pour le moins farfelus, vont entraîner le spectateur dans un univers plein de gaieté, de rires, d'insouciance et de savoureuses fêtes de villages. "Il y avait aussi l'idée d'une inversion, avec un discours sur la sexualité qui peut être perçu comme masculin, mais par une femme. Nous aimions cette provocation. La vraie Pattie parle du sexe des hommes comme d'une obsession. Elle reste fixée sur une idée..." a déclaré Jean Marie Larrieu.
À l'écran, la formidable Karin Viard incarne cette femme libérée. Les dialogues frappent fort et donnent, dès le début du film, un élan débridé, joyeux aussi. Face à Pattie, Isabelle Carré, beaucoup plus silencieuse, écoute, découvre, et nous séduit. Autour de ces deux femmes André Dussolier rayonne. Mathilde Monnier offre de très poétiques et beaux moments dans quelques silencieuses apparitions. Sergi López, Laurent Poitrenaux, Philippe Rebbot et le toujours excellent Denis Lavant, sont de la fête pour notre plaisir.