Comprendre l’horreur

Il est indispensable pour un auteur qui verse dans l’horreur de comprendre que  la nature de ce genre est un moyen d’atteindre au tréfonds le plus sinistre de l’histoire qu’il souhaite raconter. Il devra aussi s’assurer que l’horreur suinte du monde qu’il décrit et des thèmes qu’il aborde.
L’horreur est une conséquence de nos peurs. Elle engage consciemment ou inconsciemment nos peurs de tous ordres : notre intégrité physique, notre équilibre psychologique ou bien encore des peurs sociétales ou culturelles.
Ces peurs peuvent être associées à la mort (une infection, la maladie, la souffrance), à notre vulnérabilité corporelle (les blessures, la violence, les traumas), à la folie et à la  démence (la mutation, la possession), l’inconnu (le mal, l’autre, l’insécurité), l’isolement (le confinement, un bouleversement émotionnel) et à l’oppression (la répression, l’asservissement).
Ces associations sont certes parfois subtiles mais n’en restent pas moins des sources de véritables peurs. L’horreur manipule aussi nos angoisses devant notre manque ou notre perte de contrôle dans certaines conditions ou situations.

Pourtant et c’est cela qui intéresse les auteurs, bien que la peur s’accompagne d’inquiétude, d’effroi ou de terreur, de stupeur, de dégoût et de répulsion, nous éprouvons un désir d’aller au devant de nos peurs, de tester nos seuils de résistance et nos limites. Le frisson ou la sensation de se sentir effrayé sont source de plaisirs. C’est ainsi que l’écriture horrifique fournit un exutoire original, puissant et significatif en permettant la dramatisation de nos plus profondes peurs et de nos sombres désirs.
Cette mise en forme dramatique nous permet aussi de prendre plaisir à observer nos peurs et comme l’écrivait Aristote, peut-être aussi à nous purger de nos peurs et de nos angoisses avant qu’elles ne nous submergent.

Les auteurs peuvent aborder deux types d’horreur différents dans un script.
Il y a d’abord l’horreur qui confrontent directement nos peurs actuelles (qui sont donc différentes selon les époques dans lesquelles se situe l’histoire). Les angoisses et les désirs sont alors symptômatiques du moment et de ses conditions politiques, sociales, culturelles et économiques. Par exemple, la crise de 1929 ne véhiculait pas les mêmes peurs, angoisses et désirs que ceux au moment de la guerre froide. Elles peuvent aussi toucher à la psychologie et manifester l’inconscient à travers les fantasmes et les cauchemars abjects et étranges d’une période.

Un autre type d’horreur est celui qui achemine une certaine forme d’agressivité. Il s’agit pour l’auteur de s’en prendre au statut quo du monde actuel. Cela peut prendre alors la forme d’une critique acerbe des institutions, de défier les figures de l’autorité, de remettre en cause les normes sociales, de questionner notre éthique (ou notre conditionnement moral, si vous préférez), de briser les tabous ou de transgresser les limites de l’acceptabilité.

L’auteur a aussi la possibilité de créer de l’horreur pure (il recherche à provoquer la terreur) et de jouer sur une sorte de suspense horrifique : l’horreur pour l’horreur sans chercher à la justifier ou l’expliquer : du gore pur et visuel.
Par ailleurs, l’auteur peut tenter de créer un univers horrifique constitué de mythologies, de traditions et d’un passé. L’horreur est alors justifiée, socialement motivée ou même peut s’expliquer sur un plan psychologique. C’est l’histoire qui se charge d’apporter du suspense, de la tension. On peut aller jusqu’à dire que l’horreur pure ne se raconte pas, elle se montre seulement alors qu’un univers mythologique où l’horreur suinte naturellement non seulement se montre mais se raconte aussi.

Ecrire l’horreur peut parfois dérouter l’auteur. Il est indéniable qu’en évoquant nos peurs, les auteurs communiquent sur l’horreur. C’est par nos peurs que le suspense et la tension s’installent et fleurissent comme autant de dards d’adrénaline dans notre corps ou notre esprit.
Cependant, pour clore son histoire, l’auteur peut tenter d’expliquer l’horreur en apportant toutes les réponses au cours du climax ce qui lui permet de terminer son histoire en récupérant dans le même mouvement une satisfaction émotionnelle de son lecteur et même provoquer un sentiment de plaisir en lui.
Par ailleurs, l’auteur peut préférer laisser une fin ouverte, ne pas résoudre le problème soulevé par l’histoire, laissant planer une ambiguïté qui peut certes servir son propos mais qui risque de frustrer son lecteur.

Il y a aussi une question peut-être un peu plus abstraite que devrait se poser un auteur de l’horreur, c’est de savoir s’il veut débarrasser son monde de tous les monstres et menaces qui le détruisaient et de restaurer l’équilibre d’avant l’horreur. Nous avons donc là une attitude réactionnaire qui vise à rétablir le statut quo (et ce n’est pas nécessairement une bonne chose).
Ou alors de laisser son horreur questionner et détruire la normalité en laissant libre passage aux menaces et en ne faisant pas disparaître les monstres. Ce faisant, et même s’il ne prend pas l’option d’une fin ouverte, l’auteur adopte politiquement ou idéologiquement une attitude progressiste (vers un monde meilleur, peut-être).
Selon la sensibilité de l’auteur, donc, cette vision des choses se retrouvera non seulement dans le monde décrit, mais aussi dans les thèmes retenus, les relations entre les personnages et dans la fin de son histoire (qui déploie ouvertement le message de l’auteur).