Lors du 35ème Festival International du Film d’Amiens, qui a eu lieu au mois de novembre 2015, nous avons pu rencontrer le jeune réalisateur roumain Andrei Cretulescu. En effet, il était le protagoniste de la deuxième édition de « Pygmalion », après Carlos Conceição l’année dernière, et les festivaliers ont pu découvrir trois de ses courts-métrages. Ce nouveau procédé permet aux jeunes réalisateurs d’avoir une place à la villa Médicis à Rome, afin de pouvoir avancer dans leurs projets, et de voir l’intégralité de leur oeuvre éditée en DVD. Avec Kevin Halgand de CinéCinéphile, nous avons interviewé Andrei Cretulescu sur son travail, ses futurs projets et sa vision du cinéma.
Ma Semaine Cinéma : Pour vous, Pygmalion, qu’est-ce que cela représente dans votre parcours ? Qu’en attendez-vous ? Qu’est-ce qui vous a fait venir ?
Andrei Cretulescu : Premièrement, je suis ravis que l’on m’est invité. Je trouve que c’est une très belle initiative. C’est assez formidable d’avoir un réalisateur, au début de sa carrière, qui peut venir présenter ses films : son œuvre intégrale … c’est un peu rigolo mais c’est la vérité (rires). Donc oui, partager ses films avec des spectateurs inconnus … Je trouve que c’est très, très utile. J’aimerais beaucoup que d’autres festivals fassent la même chose.
CinéCinéphile : Tout d’abord, par rapport à « Bad Penny », votre premier court-métrage, que vous n’avez pas écrit : qu’est-ce que vous sortez de ce scénario ? Par exemple, moi, j’y ai vu une représentation de l’art, à la fois détruite mais qui va se reformer par la suite. Qu’est-ce que vous avez perçu à la première lecture ?
Andrei Cretulescu : C’est exactement ce que vous dîtes. Ce sont des gens que l’on ne comprend pas et si on ne les comprend pas, on les tue. Ce que j’ai rajouté à ce film, à part avoir changé les dialogues pour un soucis d’approche plus personnel, c’est la fin. Dans le scénario original, les deux mecs partent, le magicien ouvre les yeux … et c’est tout. Moi, j’ai rajouté le dernier acte où les deux tabasseurs tombent sur un autre groupe de cinq ou six « copains » du magicien. D’ailleurs, on l’appelle le magicien, mais il n’est peut-être pas magicien … il est juste pas de chez nous, il peut être ce que l’on veut.
CinéCinéphile : Une représentation, un personnage allégorique …
Andrei Cretulescu : Exact ! Une sorte d’alien mais pas d’alien comme « La guerre des mondes », mais dans le sens où il n’est pas comme nous.
Ma Semaine Cinéma : Justement, après avoir vu vos trois courts-métrages à la suite, il y a vraiment cette construction en triptyque où ils se répondent. Le personnage de Ramona qui revient tout le temps, le personnage de « Bad Penny » qui revient dans « Kowalski », et ainsi de suite … Et en plus de tout cela, cette thématique du tabasseur qui finit par se faire tabasser …
Andrei Cretulescu : C’est ça ! Il y a toujours quelqu’un de plus fort … En plus, ce sont les mêmes acteurs dans les trois courts-métrages. J’ai construit ces trois histoires pour eux, pour moi aussi bien sur, mais pour eux d’abord. Je voulais changer le rapport de force à chaque nouveau court-métrage et surtout je me posais la question à chaque fois : « qui a le droit de décider ? ». C’est ça qui m’intéresse. Qui a le droit de décider que c’est noir ou blanc ? Que c’est vide ou plein ? … C’est pour cela qu’il y a ce roulement dans le rôle de chaque acteur, sur l’ensemble des projets. À part cela, on a beaucoup aimé jouer avec des conventions de films de genre, et, plus important, personne ne nous a demandé de faire ces films. On les a fait parce qu’on en avait envie !
Ma Semaine Cinéma : Pour revenir à l’aspect de triptyque, c’est quelque chose qui était présent dès « Bad Penny » ou, au contraire, cela s’est construit au fur et à mesure ?
Andrei Cretulescu : Il s’agit davantage de la deuxième solution. On a fait le deuxième film parce qu’on a fait le premier. On a fait le troisième, parce qu’on a fait le deuxième. Justement, à la fin du deuxième « Kowalski », on s’est dit si on fait un troisième : « qui on tue ? ». Et là, je me suis dis : « On tue tout le monde ».
CinéCinéphile : Si les trois courts-métrages sont bien différents sur un élément : c’est la technique. Sur le premier, on a quelque chose de très stable, fluide. Le second est un tableau, un plan-séquence fixe. Tandis que le troisième est plus mouvementé et brutale à l’image. Pourquoi ces choix ?
Andrei Cretulescu : Premièrement, le plus gros défi était pour « Ramona », car quand on a fait « Kowalski », il s’agissait d’un plan fixe de dix-huit minutes très bavard, où tout le monde parle. Alors je me suis dit, pour le prochain, pourquoi pas essayer de raconter une histoire sans dialogue. C’était un test pour moi, afin de voir si je pouvais rendre une histoire crédible sans dialogue. Je ne voulais pas que l’image soit fixe, je voulais faire un seul plan-séquence mais c’était trop compliqué. De plus, je ne voulais aucun effet spécial. Tout dans ce film est vrai. L’accident est vrai. La face du mec qui se fait écraser est vrai, c’est un effet de maquillage. Tout le film à un faux-air de rétro. C’est ce qu’on voulait depuis le début. La maison, où on a filmé, est des années 60. La voiture date des années 80. Les musiques sont aussi des années 60 et 80. Tout est rétro. Je voulais être pas trop stylisé, ne pas trop jouer avec des couleurs, … Je voulais un film qui ressemble à des films un peu Euro Trash, franco-italien des années 70. Et c’est ce qu’on a essayé de faire.
[Petite coupure dans l’interview. Andrei Cretulescu doit prendre la pose pour un photoshoot dans la même salle, avec John Landis. On partage ce moment à la fois troublant et fort sympathique, où durant quelques minutes, les deux cinéastes se prêtent au jeu du photoshoot.]
Ma Semaine Cinéma : Du coup, on parlait d’influence. Quels cinéastes vous ont marqué dans votre cinéphile ? Car il faut rappeler également que vous êtes critique et producteur, avant de vous essayer à la réalisation. Donc, on s’imagine qu’il y a un vrai passé de cinéphile qui se cache en vous …
Andrei Cretulescu : Pour moi, franchement, mon réalisateur préféré c’est Billy Wilder. Et pour « Bad Penny », je ne me suis inspiré de personne … C’est un premier film, et je ne voulais pas dire à mes techniciens : « Bon alors fais ça comme untel … ». Pour « Kowalski », j’adore la peinture de Edward Hooper et je voulais la même palette de couleurs. À part cela, on m’a fait un beau compliment. Un réalisateur roumain m’a dit que cela lui rappelait le cinéma de David Mamet. Je pense qu’il a pensé à l’écriture d’abord. J’avais pas pensé à David Mamet quand j’ai réalisé « Kowalski », mais quand mon ami m’a fait la réflexion, je lui ai dit qu’il avait raison. « Ramona », c’est un peu particulier. J’ai l’habitude de ne jamais regarder de film avant de tourner. Six mois après le tournage de « Ramona », je revois « Lost Highway » de David Lynch. Et je vous promets que je ne me rappelais pas que la voiture était rouge, le feu sur la plage et toutes ces images … Et je me suis dit : « Merde, j’ai un peu volé David Lynch ! ». Après dans le ton du court-métrage, c’est Fabien (ndlr. Fabien Gaffez, directeur du Festival International du Film d’Amiens) qui m’a dit que cela lui faisait penser à Brian De Palma. Alors oui, je pense toujours à Brian De Palma, même quand je ne pense pas à lui, parce que je l’adore ! Je trouve qu’il est un réalisateur incroyable. Et puis, un peu de Paul Verhoeven, les premières années avant qu’il parte à Hollywood. Des films durs, des films pas très plaisants … Voilà, c’est ce qu’on a voulu faire. Un film qui peut te plaire bien sur, mais c’est pas un film qui est fait pour plaire. C’est pas joli, c’est pas sympa, c’est pas drôle …
CinéCinéphile : On peut aussi penser à ce que fait Nicolas Winding Refn, avec sa trilogie « Pusher » …
Andrei Cretulescu : Là encore vous êtes très, très gentils … (rires) ! Vous n’êtes pas le premier à me le dire, et je prends cela comme un compliment énorme.
Ma Semaine Cinéma : Et du coup, la suite ? Il y a un quatrième court-métrage en route c’est bien cela ?
Andrei Cretulescu : Le quatrième court-métrage sera complètement différent, même si ce sera la même équipe et les mêmes acteurs. C’est une histoire très simple. Il n’y a pas de sang, de violence, on ne dit même pas « merde » … C’est un homme et une femme qui aimeraient avoir un bébé. Après tout le monde m’a dit que j’avais fais une trilogie, c’était pas prévu mais je l’ai fais … Et j’ai deux idées pour compléter le quatrième court-métrage. Une sorte de deuxième trilogie sur les relations hommes-femmes. Ce ne sera pas des films de genres, pas des films violents … même si j’y revient dans la fin de cette future trilogie.
Ma Semaine Cinéma : Lors de la présentation de vos courts-métrages, vous avez également évoqué un projet de long-métrage …
Andrei Cretulescu : Oui, le long-métrage est déjà écrit. J’ai le financement que l’on a gagné auprès du CNC Roumain. On cherche un co-producteur et normalement, on doit tourner à l’automne prochain, en 2016. Et après ça, un long-métrage sur le personnage de Kowalski, qui donne son nom à mon deuxième court-métrage, est en développement. On reprendrait l’environnement du court-métrage, cet esthétisme là, et cela serait assez violent. Et on verra ce que ça donne …
Ma Semaine Cinéma : Pour conclure, est-ce que par curiosité vous avez vu les courts-métrages de Carlos Conceição ?
Andrei Cretulescu : Non, j’ai complètement raté cela. Mais on m’a donné le DVD ! Donc, je rattraperais cela à la maison (rires). Et on retrouvera encore l’utilité d’un programme tel que Pygmalion : l’édition DVD de nos courts-métrages. Je me répète, mais c’est formidable !
Ma Semaine Cinéma & CinéCinéphile : On se procura le vôtre comme on s’est procuré celui de Carlos Conceição cette année. Merci de nous avoir accordé de votre temps, et à l’année prochaine, donc !
Interview de Andrei Cretulescu réalisée avec Kevin Halgand de CinéCinéphile, le 15 novembre 2015, lors du 35ème Festival International du Film d’Amiens.