Ron Howard était de passage à Paris pour la promotion de son nouveau film Au Cœur de l’Océan. Nous avons été quelques privilégiés à assister à sa conférence de presse en toute intimité. Retour sur les réponses à nos questions :
Qu’est-ce qui vous a attiré à la lecture du scénario ? Est-ce l’aventure humaine, la source de l’inspiration de ce roman mythique, l’opportunité de faire un grand film épique ou le challenge cinématographique ?
Les quatre en fait. C’est la combinaison de toutes ces valeurs qui en fait quelque chose de frais. Il y a aussi la surprise de ce personnage mythique de Moby Dick et de réaliser que c’était des évènements réels. Il y avait donc l’élément humain, l’élément épique, mais aussi politique qui fait que cela nous concerne encore aujourd’hui.
Êtes-vous un grand fan du roman Moby Dick d’Herman Melville ?
Non, mais je respecte le roman bien sûr et j’ai vu deux fois le film de John Huston. J’ai toujours été fasciné par les comédies dramatiques qui se déroulent dans l’océan. Il y a quelque chose d’effrayant et de mystérieux. L’océan me fait peur.
Pourquoi ?
Lorsque j’étais enfant, à 8 ans, j’ai joué dans le film Raod 66 et je devais sauter dans l’océan. Je savais nager, mais c’était la première fois que je sautais dans le véritable océan. Sous l’eau, j’avais l’impression que ça n’en finissait plus, que c’était éternel. Il n’y avait même plus de bulles, j’étais encore sous l’eau et je voyais tout le bleu de l’océan. Finalement, lorsque je suis remonté à la surface, j’ai crié « papa ! » et heureusement, dans le film, mon personnage en avait effectivement un. J’ai dû refaire cela plus tard et tout s’est bien passé, mais par la suite il y a eu beaucoup d’excitation autour du lieu de la scène. J’ai vu des personnes tirer quelque chose de l’eau. C’était un requin qu’ils sortaient de l’eau. Il était donc tout à côté de moi. C’est de là que vient ma peur.
Puis j’ai réalisé le film Splash au début des années 80. Le film se passait au milieu de l’océan. j’ai dû apprendre à faire de la plongée sous-marine, car je devais filmer la sirène. C’est cela qui m’a permis de dépasser ma phobie. Depuis j’ai fait plusieurs films sur l’océan, mais ce n’est pas quelque chose que je n’admirai pas par plaisir.
J’ai donc compris quelque chose en réalisant Splash et Cocoon. Je voulais réaliser un film qui se passerait entièrement sur l’eau. En 83 et 84, j’ai tenté de faire un film sur Greenpeace et le Rainbow Warrior. Tout était planifié et préparé, mais je n’ai pas obtenu les finances nécessaires. Il y a quinze ans, j’ai voulu réaliser une aventure maritime au XIXe siècle avec Jack London, mais le projet était beaucoup trop cher. Le projet a donc disparu. C’est pour cela que lorsque Chris Hemsworth, sur le tournage de Rush, est venu me proposer le scénario d’Au Cœur de l’Océan, je me suis dit que c’était le moment. J’avais l’expérience, le personnage de Owen Chase puisque la relation avec Chris se passait très bien et l’histoire réunissait les valeurs de ces films avortés.
Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la personnalité d’Owen Chase ?
C’est sa transformation qui m’intéressait, le fait qu’il gagne en humilité. C’est une chose très dure pour lui au départ, car c’est un homme extrêmement fier et c’est cela qui le pousse dans tout ce qu’il fait. Mais là, à cause de sa confrontation avec la baleine, il va se sentir tout petit, insignifiant, et cela va rééquilibrer la pensée de cet homme et son attitude.
Qu’avez-vous en commun avec lui ?
Je comprends l’ambition, la frustration et le fait qu’il faille dépasser les préjugés que l’on peut avoir sur vous. Enfant, quand j’étais acteur, je rêvais déjà de faire des films et quand j’ai commencé à l’exprimer, on me prenait pour un effronté. Les gens me disaient « toi réalisateur ? C’est mignon. À 30/35 ans tu pourras peut-être commencer à le faire ». J’avais alors 18 ans et voulais le faire tout de suite. Sinon je ne fonctionne pas comme cela, ce n’est pas dans ma façon de faire.
Quelles ont été les plus grandes difficultés pour ce film ?
C’est le film le plus compliqué que j’ai fait. Bien plus que Apollo 13 ou Backdraft. Il y avait les problèmes, les défis techniques et logistiques extrêmement difficiles. Il fallait équilibrer tout cela, trouver les différentes couches de l’histoire, pouvoir les mélanger entre elles, le tout de façon non conventionnelle. Il y avait donc un gros défi à relever. Tous les jours, il y avait d’énormes problèmes à résoudre et cette intensité n’a pas molli durant les 78 jours de tournage.
Melville n’aurait apparemment pas rencontré Thomas Nickerson. Pourquoi avez-vous décidé de faire ce face à face ?
Cette décision avait été prise en amont par l’écrivain bien avant mon implication dans le projet. J’étais d’accord avec cette idée parce que je trouvais que cela exprimait un peu toute cette recherche de la vérité. Melville a découvert cette histoire dans des conditions compliquées et complexes et a rencontré par la suite Pollard et Nickerson. Le parcours de Melville dans l’écriture de ce livre a été très long. Il y a eu plusieurs écritures, réécritures et à chaque fois, entre chacune d’elles, il a relu des notes, est retourné vers le journal de bord. Il a même lu le livre que Owen Chase avait écrit sur le naufrage de l’Essex. Lors de la seconde écriture du roman, je pense que c’est là qu’il a introduit le personnage d’Achab. J’ai donc trouvé que c’était une bonne manière de planter le décor et d’expliquer tout le contexte.
Un autre exemple. Peter Morgan, le scénariste de Frost/Nixon et Rush, m’avait expliqué que la séquence du coup de fil dans la nuit entre Frost et Nixon n’avait jamais existé, mais que c’était une bonne astuce dramatique, très expressive, qui en disait très long sur ce qu’il fallait exprimer. Tout comme dans le film Rush, il n’y a jamais eu cette conversation entre Niki Lauda et James Hunt par rapport à la relation. J’ai appris au cours des années qu’il fallait quelquefois créer un élément de fiction qui permet d’exprimer et parler d’une plus grande vérité.
Grâce à vous, on remarque pour la seconde fois que Chris Hemsworth est un bon acteur dramatique et non juste un grand blond musclé. Qu’elle est votre relation avec lui ? L’envisagez-vous pour un troisième rôle ? Comment travaillez-vous avec lui ?
Il n’y a rien de planifier pour l’instant, mais j’adorerai pouvoir faire un autre film avec lui. Pour son rôle dans Rush, Chris a fait une audition qu’il a créée lui-même. Il était sur le tournage d’Avengers et dans son hôtel, il a rédigé un monologue à partir du scénario. Il a trouvé une sorte d’interview sur internet et a créé ce dialogue avec James Hunt. Quand je l’ai découvert avec Morgan, nous étions subjugués par sa capacité à s’exprimer avec son corps. Dans ce film ce n’est pas du tout sa personnalité, il a vraiment construit son personnage. C’est au cours de ce travail qu’il a gagné énormément ma confiance et c’est pour cela que je l’ai inclus et que j’ai beaucoup plus collaboré avec lui sur ce film, comme je fais avec Russel Crowe et Tom Hanks.
Quels sont ses atouts d’après vous ?
Son atout majeur c’est son charisme, la présence qu’il a à l’écran, un peu comme les grands acteurs classiques. Ce qui lui permettra de durer dans ce travail c’est son appétit pour le travail et sa volonté de vouloir être au mieux de lui même dans tous les genres, quel que soit le genre de films qu’il fait.
Une chose que l’on apprécie dans le film, c’est le soin apporté à la reconstitution de la ville et de la chasse à la baleine. Comment avez-vous procédé pour trouver tout cela, où avez-vous cherché ?
Il y a des musées à Nantucket et New Bedford où l’on trouve énormément de détails sur la chasse à la baleine et sur le processus de fabrication. Comme l’agriculture, la chasse à la baleine était le moteur économique des États-Unis à l’époque. Il y a donc beaucoup de livres sur le sujet, de photos. Nous avons même retrouvé des films muets des années 20, très précis, qui montrent la manière très classique de la chasse à la baleine. Même si, à l’époque, on ne parle pas du fait d’exterminer cette espèce, on y retrouve certaines allusions sur ce dilemme moral que semble partager certains naufragés dans leur journal de bord. Certains parlent même d’une punition de l’homme par l’animal, et même Melville y fait allusion dans le livre.
Pourquoi ne pas avoir tourné le film en Cinémascope ?
A cause de la hauteur des bateaux. On a senti que l’on avait surtout besoin de hauteur dans l’image. Si on avait pu, on l’aurait même fait en 4/3. Mais je ne crois pas que le studio aurait apprécié l’idée ! (rires) C’était vraiment le format le plus adéquat aux types d’images que l’on voulait créer.
Qu’est-ce que ce film vous a apporté en terme de mise en scène, dans votre travail de réalisateur ? C’est un film tourné dans un espace très restreint, avec beaucoup d’effets spéciaux, un monstre qui n’existe pas physiquement et en plus, en 3D…
La moitié du film a été filmé en mer. Tout ce que l’on pouvait tourner sur le bateau ou dans l’océan, on l’a fait dans de vrais décors. C’est simplement quand les contraintes de sécurité nous en empêchaient, que l’on ne l’a pas fait. Car on ne peut pas contrôler l’océan. On a essayé de faire en sorte à ce que cela ne se voit pas à l’écran. Une fois, il y a eu une prise, pour la séquence qui se passe sur la plage volcanique, où l’on avait le droit le filmer sur la plage, mais pas dans l’eau. On allait faire la scène dans un bassin en studio, mais Chris Hemsworth m’a dit : « Attends, je suis un surfeur et je peux te garantir que ce n’est pas dangereux. On peut le faire. » Je lui ai répondu que non, on nous avait imposé des règles très strictes et je ne voulais pas y déroger. Et pendant qu’on préparait la scène, j’ai vu Chris avec le chef op, qui s’y connaissait bien en matière de photo sous-marine, en train de tourner la scène ! Et c’est comme ça qu’il a permis au film d’avoir plus d’authenticité dans ce passage.
Pourquoi avoir choisi de faire le cachalot blanc ?
Il y a des baleines albinos qui avaient d’ailleurs inspiré Melville quand il a écrit Moby Dick. Ce n’était pas seulement une comme ça qui avait coulé l’Essex, mais Melville avait combiné plusieurs sortes de cachalots pour créer Moby Dick. Nous avons découvert aussi que certains cachalots, en vieillissant, développent une maladie qui blanchit leur peau. On s’est dit que l’on pouvait utiliser ça tout en restant fidèle à l’histoire vraie. On reste quand même proche du mythe. Et puis je trouve ce look assez cool.
Pourquoi avoir permis aux acteurs de perdre autant de poids alors que vous auriez pu le faire avec des effets spéciaux ?
En fait, c’est vrai qu’on peut le faire en CGI, mais c’est extrêmement cher et assez difficile. On n’avait pas les moyens de le faire, mais de toute manière, on voulait un résultat qui fasse authentique. Et pour les acteurs aussi, c’était important qu’ils s’impliquent complètement dans leurs personnages. Tout s’est fait sous la surveillance de médecins, coaches et nutritionnistes. J’ai aussi demandé des conseils à Tom Hanks car il l’avait fait une fois tout seul, et il avait eu des problèmes de santé après. Quand il avait fait Seul au Monde, il était surveillé et tout s’est bien passé.
La lumière est très importante dans le film. Vous avez travaillé avec Anthony Dod Mantle, qui a collaboré avec des cinéastes tels que Danny Boyle ou Lars von Trier. Pourquoi l’avoir choisi lui précisément ?
J’avais travaillé avec Anthony sur Rush et j’avais été très impressionné par son travail et notre collaboration. On était tous les deux totalement en phase. Pour moi, l’aspect graphique doit exprimer l’état émotionnel des personnages. Pour cette histoire, il y avait cet aspect classique de l’histoire, mais je voulais aussi lui donner une touche moderne et esthétique. C’est là qu’Anthony a pensé à mélanger l’ancien et le nouveau sur le plan cinématographique, tout en donnant aux acteurs, la possibilité d’être en relation totale avec la mer et le cachalot. On voulait une sorte d’osmose. Aussi, l’intimisme et l’intensité étaient des choses très importantes pour moi. Et Anthony a une énergie incroyable, il va prendre une caméra, aller dans des recoins inhabituels auxquels on ne penserait pas, pour trouver des angles particuliers et créer une énergie visuelle qui aide énormément.
De nombreuses séries deviennent des films en ce moment. Seriez-vous intéressé pour faire un film Happy Days ? Qui verriez-vous en Richie ?
Je n’ai aucune ambition personnelle de revisiter Happy Days en tant que réalisateur ! C’était de bons souvenirs mais c’est tout. Pour l’acteur, je ne sais pas… Justin Bieber ! (rires). Mais je préfère laisser tout ça derrière, ce sont juste de bons souvenirs. Et même en tant qu’acteur. On me demande souvent de venir jouer la comédie, mais je suis déjà très pris par ma carrière de réalisateur.
Où en est votre projet sur les Beatles ?
Maintenant que mes enfants ont grandi, j’ai plus de temps. J’avais déjà fait un documentaire sur Jay-Z qui s’appelle Made in America, et j’y avais pris beaucoup de plaisir. Pendant Rush, les producteurs m’ont parlé de ce projet et je me suis senti comme invité à le faire. J’ai très envie de le réaliser, je vois cela comme une grande odyssée. J’espère être à la hauteur de ce groupe, de leur histoire. Pour l’instant, j’apprends énormément du parcours de ces génies.
Il semblerait que l’on va enfin voir l’adaptation de The Dark Tower (le roman de Stephen King – ndlr) en 2017 mais vous n’allez pas le réaliser. Pourquoi donc ?
Je n’ai pas vraiment le droit d’en parler mais on a aux commandes, un très bon réalisateur danois (Nikolaj Ancel – ndlr) et ça s’annonce prometteur. Si vous êtes un fan comme je le suis, vous allez adorer, je pense.
Pourriez-vous nous parler de la 3D ? Le film a t-il été pensé ainsi dès le début ?
Non, nous n’avions ni le temps ni le budget pour le tourner en 3D. Et si le film a été repoussé de cet été à cet hiver, ce n’est pas pour des raisons techniques par rapport à la 3D, mais juste pour des raisons marketing. Le film était complètement fini, déjà cet été. J’étais d’accord d’ailleurs avec ce choix. Je pense que la période de fin d’année est plus propice pour ce genre de films. Mais du coup, avec ce décalage, nous avions le temps de songer à une éventuelle post-conversion. Quand Warner l’a proposé, j’ai pensé que ça pouvait apporter de la profondeur, de la texture. Je suis très content du résultat. Si vous aimez la 3D, allez-y. Mais dans tous les cas, le film avait été conçu pour être une expérience immersive déjà en 2D.
A travers votre filmographie, on voit que vous explorez différentes formes de courage, sous différents angles. Est-ce que c’est quelque-chose que vous recherchez vraiment, et si oui, est-ce qu’il y a d’autres angles que vous aimeriez encore explorer ?
J’ai toujours été intéressé par la façon dont un personnage peut être testé et défié par des évènements inhabituels. Certains ont un courage naturel, d’autres non, et vont devoir relever le challenge. C’est une thématique qui m’intéresse. J’aime le fait qu’à travers mes films, on se pose la question de savoir si personnellement, on aurait le courage de faire telle ou telle chose. Je ne sais pas si je suis courageux moi-même, mais j’aime m’inspirer dans ma vie personnelle, des histoires que je peux voir, qu’elles soient fictives ou non, au cinéma ou dans l’actualité. Cela dit, je ne cherche pas à tout prix à injecter ça dans mes histoires, à le fabriquer pour m’en servir. Mais si ça se présente, je vais l’explorer.
Les scènes entre Ben Whishaw et Brendan Glesson dégagent beaucoup d’émotion. Comment les avez-vous convaincu de venir sur ce projet et comment avez-vous travaillé ces scènes ?
Le scénario les a attiré à la base. Ces scènes ont représenté un temps de tournage assez court mais intense. Ils ont tous les deux fait énormément de recherches à tel point, qu’il y avait même des répliques totalement authentiques, qu’ils ont tiré de certains écrits. Il y avait aussi ce livre, Why Read Moby-Dick ?, qui révèle beaucoup de choses sur Melville et met en relation les deux aspects de l’histoire. Pendant les répétitions, on se rendait parfois compte qu’il y avait deux voire trois niveaux de lecture dans ces scènes. On a continué à explorer toutes les différentes facettes qu’elles présentaient, sur le plan émotionnel ou personnel.
On vit une époque pas vraiment formidable aujourd’hui, truffée de remakes, reboots, sequels etc… Que feriez-vous si la Fox venait vous voir un jour, avec l’envie de faire un remake de Willow ?
J’en suis à une époque de ma vie où je n’ai pas envie de revenir en arrière et de faire des remakes de mes propres films. J’adore Warwick Davis ou George Lucas, ce sont devenus des amis. Peut-être éventuellement s’il y avait la possibilité de faire évoluer le personnage en utilisant la technologie d’aujourd’hui. Mais même si c’était le cas, je pense que j’y réfléchirai à deux fois. Après, je suis très content d’avoir la possibilité de faire ce troisième film avec Dan Brown (Inferno, troisième volet de la série Da Vinci Code). Mais la différence, c’est que je sens que chaque film a son propre mystère, chaque film a vraiment une histoire à lui. Dans Inferno, il y a une situation de crise que je trouve très moderne. Et puis j’aime tourner avec Tom Hanks. Cela dit, j’aimerai faire un test : Aimeriez-vous voir une suite à Willow ? Levez la main, ceux qui le souhaiteraient…
Personne ne lève la main, et le non est collectif.
Ok. Voilà. J’ai ma réponse.
Retranscription Mondociné.
Merci à toute l’équipe Warner Bros. France.