Un voyage spectaculaire que l’on aurait aimé plus éprouvant.
Se rêver en maîtres du monde, voilà le malheur des Hommes et l’apanage des mythes fondateurs. Herman Melville ne s’y est pas trompé avec son roman Moby Dick, en contant l’histoire vraie d’un double naufrage, celui du baleinier Essex mais aussi celui de son capitaine, lancé de façon obsessionnelle à la poursuite du cachalot ayant éventré son navire. Un récit mémorable que chaque lecteur, de génération en génération, a investi de son propre imaginaire. Dans ces conditions, il semblait difficile voire impossible de transposer à l’écran les visions homériques qu’inspirait une telle aventure. Pourtant, qui mieux que Ron Howard à la barre pour s’y essayer ? Au regard de sa filmographie, l’évidence s’impose. Citons Apollo 13, Un Homme d’Exception ou Rush comme exemples, qui partagent avec Moby Dick ce même rapport à l’adversité et au sacrifice. Cela étant, le projet du cinéaste s’inscrit moins dans le sillage de l’épopée melvillienne que dans celui de l’ouvrage de Nathaniel Philbrick, In the Heart of the Sea, censé être la véritable histoire et non une version romancée. La nuance est à prendre en considération tant l’intrigue dépeinte dans Au Coeur de l’Océan déjoue les attentes du spectateur, pour un résultat à double tranchant.
D’abord, reconnaissons la beauté picturale des images. Le souci du détail, la patine des décors, tout évoque les tableaux romantiques du XIXe siècle, avec en tête Le Radeau de La Méduse. Au large, l’équipage de l’Essex doit faire face à une Nature indomptable et caractérielle, que la mise en scène valorise et icônise. C’est un plan d’ensemble sur une tempête qui surgit à l’horizon, ou des vues aériennes surplombant l’effroyable baleine (créature numérique dont on se souviendra encore longtemps). Pour autant, l’impuissance des pêcheurs éclate aussi très nettement dans les cadres serrés, là où les visages se font et se défont au rythme d’un combat perdu d’avance. En conjuguant gigantisme des paysages marins et proximité immédiate avec les corps, le réalisateur et son chef opérateur, Anthony Dod Mantle, relativisent judicieusement la place de l’individu au sein de son environnement. Voilà le vrai parcours initiatique des héros du film, voguant sans scrupules au début puis s’échouant humblement à la fin. « Nous ne sommes pas des rois terrestres » rétorquera Owen Chase, interprété par le toujours charismatique Chris Hemsworth, à son capitaine, encore plein d’arrogance. Pour que cette évolution s’accomplisse dans l’action, il faudra attendre l’ultime confrontation avec le cachalot, où un simple échange de regards suffira à aplanir le conflit.
Malgré toutes ces qualités, Au Coeur de l’Océan manque d’une plus franche radicalité. C’est d’ailleurs là que l’on regrette l’absence de certains arcs narratifs du roman de Melville. Exit donc la cruauté et la folie humaines, expédiées ou éludées de manière embarrassante. Howard s’en tient à la surface au lieu de plonger dans l’abîme, alors qu’il y avait des trésors de noirceur à explorer. Quand bien même les acteurs ont donné physiquement de leur personne, rien ne vient catapulter le récit vers le climax psychologique tant attendu. Dès lors, on a moins l’impression d’une volonté de suggérer les événements que de coupes malheureuses au montage. Peut-être une version longue viendra développer le supplice de ces pêcheurs qui, en l’état, n’ébranle que très moyennement le spectateur. Si l’émotion n’est pas totalement compromise, c’est grâce au casting (en une scène, Cillian Murphy nous harponne en plein coeur) et aux moments de poésie pure où la baleine rôde alentour, telle une divinité mystique.
Réalisé par Ron Howard, avec Chris Hemsworth, Benjamin Walker, Tom Holland…
Sortie le 9 Décembre 2015.