Sa Majesté des Mouches (Les enfants sauvages)

sa majesté des Mouches

Genre : drame, survival, inclassable
Année : 1963
Durée : 1h32

L'histoire : Pendant la Seconde Guerre mondiale, un avion transportant des garçons issus de la haute société anglaise, envoyés par leurs parents en Australie pendant le Blitz, s'écrase sur une île déserte. Seuls les enfants survivent. Livrés à eux-mêmes dans une nature sauvage et paradisiaque, les enfants tentent de s'organiser en reproduisant les schémas sociaux qui leur ont été inculqués. Mais leur groupe vole en éclats et laisse place à une organisation tribale, sauvage et violente bâtie autour d'un chef charismatique. 

La critique :

Professeur d'anglais et de philosophie, William Golding est également écrivain à ses heures perdues. Son oeuvre littéraire se focalise essentiellement sur notre civilisation et le retour à ses instincts les plus primitifs dans des conditions toujours particulières. Sa Majesté des Mouches reste évidemment le roman le plus connu de William Golding. L'oeuvre touche et choque plusieurs générations de cacographes, mais aussi le noble Septième Art. En 1963, le réalisateur et scénariste Peter Brook décide de transposer le livre au cinéma. Essentiellement spécialisé dans le théâtre et la dramaturgie, Peter Brook souhaite réaliser une production indépendante et donc éloignée de l'esprit hollywoodien.
Peter Brook réalise Sa Majesté des Mouches avec une grande économie de moyens.

Pourtant, à l'origine, le film doit être financé par l'illustre Scott Spiegel, producteurs de films pharaoniques, entre autres, Lawrence d'Arabie et Le Pont de la Rivière KwaïHélas, les mois s'écoulent et Scott Spiegel souhaite à nouveau produire une oeuvre standardisée à grands renforts d'effets spéciaux, de publicités et de marketing. Or, Peter Brook préfère réaliser un film qui soit le plus fidèle possible au roman homonyme de William Golding.
Finalement, Scott Spiegel abandonne le projet. Peter Brook doit se résigner et se débrouiller par lui-même. 
Avec sa petite équipe, il repère deux petites îles sur la côte de Porto Rico : Aguadilla et Vieqes deviennent alors les lieux d'un tournage teinté de nombreux rebondissements. Peter Brook doit composer avec un budget impécunier, plusieurs techniciens amateurs et un photographe novice dans le domaine du cinéma.

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Pour la petite anecdote, l'oeuvre originale de Golding connaîtra une seconde adaptation en 1989 sous le nom de L'Île OubliéeLe film de Peter Brook ne réunit pas des acteurs très connus. A la rigueur, seuls James Aubrey et Nicholas Hammond (dans un rôle très secondaire) font figure d'exception. Par conséquent, inutile de citer le reste du casting à moins que les noms de Tom Chapin, Hugh Edwards, Roger Elwin, Patrick Burguete et Roger Allan vous disent quelque chose. Mais j'en doute.
Attention, SPOILERS ! Pendant la seconde guerre mondiale, un avion emmène des enfants anglais vers l’Australie où leurs parents les envoient trouver refuge. Mais l’avion s’écrase sur une île déserte de l’Océan Pacifique et aucun adulte ne sort rescapé de l’accident. Les enfants sont livrés à eux-mêmes.

Ralph et Piggy se rencontrent sur la plage, se demandant s’ils sont les seuls survivants. Ils y trouvent une conque dans laquelle Ralph se met à souffler. De nombreux enfants, attirés par le bruit, se regroupent autour de celui qui devient leur nouveau leader. Un peu plus tard, un groupe en uniforme d'écoliers se joint à eux, groupe mené par Jack qui conteste très vite l’autorité de Ralph.
Pour éviter que la communauté ne se scinde en deux parties, Ralph est nommé dirigeant tandis que Jack devient le chef des chasseurs. Mais très vite, la situation dégénère... 
En l'occurrence, Peter Brook souhaite réaliser un long-métrage qui sorte des conventions habituelles et traditionnelles. C'est probablement pour cette raison que Sa Majesté des Mouches est filmé comme une sorte de documentaire. 

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A travers ce long-métrage, Peter Brook revisite à la fois les mythes de l'enfant sauvage (Victor de l'Aveyron) et de Robinson Crusoé. L'introduction du film se compose essentiellement d'images fixes narrant le périple aérien d'un avion contenant à la fois des adultes et des enfants. Hélas, l'appareil se crashe dans l'immense océan. Par miracle, seuls les enfants survivent. Le film peut enfin commencer.
Peter Brook se concentre alors sur deux personnages essentiels du roman de Golding : Ralph et le bien nommé Piggy. Les deux enfants retrouvent rapidement la trace des autres garçons survivants. Le clan s'organise. Les rapports de force s'installent entre Ralph, auto-proclamé chef de la nouvelle bande ; et Jack, un blondinet à la fois omnipotent et charismatique. Pourtant, très vite, le groupe se scinde en deux.

D'un côté, Ralph représente le côté pacifiste. Nanti d'une conque, le jeune marmot transforme l'énorme coquillage en outil de débat, d'échanges houleux et de communication. De l'autre, Jack, nouvelle figure autocratique et atrabilaire, représente les chasseurs, donc le côté belliciste. En l'espace de peu de temps, probablement quelques semaines, Jack et ses complices se transfigurent en sauvageons vindicatifs, à la recherche d'une "bête" qui hanterait les terres isolées de l'île.
De retour à l'état animal, cette civilisation juvénile redevient archaïque. 
Jack et ses comparses prédatent, glosent, ripaillent, admonestent, invectivent et rudoient Piggy, leur nouvelle cible. Les pulsions les plus barbares et primitives ne doivent plus être réfrénées. Plus jamais. Telle est la dialectique du film de Peter Brook. 

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Ainsi, les hurlements de nos petits sauvages noient littéralement la caméra du cinéaste. Lors d'une nuit de tintinnabulations en tout genre, les garçons attaquent et assassinent par "mégarde" (un terme vraiment à guillemeter...) un autre enfant de la troupe. Ce qui devait être à la base une opération de survie se transforme en boucherie et en dictature meurtrière.
Ralph et Piggy sont condamnés à l'opprobre, à la mort et aux gémonies. Ce n'est pas hasard si l'action du film se déroule pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le film interroge (entre autres) sur la notion de civilisation, mais aussi sur cette barbarie humaine, ce fléau qui semble dicter les lois intrinsèques de notre Humanité. Peter Brook parvient non seulement à retranscrire (magnifiquement) l'opuscule de Golding, mais aussi à se l'approprier. Sur la forme, Sa Majesté des Mouches ressemble à la fois à un conte et à une tragédie grecque version insulaire. Peter Brook réalise un film poignant, tragique, coup de poing et finalement inclassable. Bref, un authentique monument du cinéma !

Note : 18.5/20

sparklehorse2 Alice In Oliver