STAR WARS – LE RÉVEIL DE LA FORCE : La quête de la transe ★★★★★

J.J. Abrams réveille avec panache le plus gros héritage cinématographique de l’histoire. Magistral. [ATTENTION, CETTE CRITIQUE COMPORTE QUELQUES SPOILERS !!!]

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Nul besoin de revenir en détail sur l’attente démesurée provoquée par ce nouveau volet de la saga Star Wars, que l’on pourrait considérer comme la conclusion pétaradante d’une année de blockbusters grandement focalisée sur la renaissance de franchises iconiques de la fin du XXème siècle. Une sorte de passage de flambeau hollywoodien amorcée en 2014 avec les Matt Reeves (La Planète des Singes : l’Affrontement) et autres Gareth Edwards (Godzilla), capables de manipuler à leur tour les univers qui les ont eux-mêmes inspirés. Demeure alors un défi imposant à relever : ne pas hésiter à défier l’œuvre modèle pour ne pas rester dans son sillage, et ainsi chercher à la transcender. Si les deux cinéastes précédemment cités s’en sont très bien tirés, 2015 a été un peu plus frileux, nous offrant des longs-métrages bien souvent sympathiques, mais dotés d’une ambition moindre quant au traitement du matériau d’origine, quitte à s’agenouiller devant lui sans même qu’un coup ne lui soit porté (Jurassic World, Terminator Genisys). Devant ce déni existentiel un peu couard, les meilleurs films de l’année sont clairement ceux qui sont partis avec une certaine assurance, une connaissance des codes qui leur ont permis de mieux les dépasser (Mad Max : Fury Road, bien évidemment, mais aussi, dans d’autres domaines, Le Pont des Espions ou Crimson Peak, qui ont exploité des imaginaires prédéfinis pour mieux aller au-delà). Le problème, c’est que face à cet héritage gargantuesque et monstrueux que représente Star Wars, on aurait pu craindre qu’il tombe dans la première catégorie : un fan-film de luxe raillant à longueur de temps son existence dans un élan post-moderne qui l’aurait plutôt rapprocher de la parodie, desservant par là même l’œuvre de George Lucas.

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Fort heureusement, ce difficile équilibre entre hommage et renouveau est assuré par J.J. Abrams, probablement l’homme le mieux placé de la galaxie pour se soumettre à l’exercice. Car le réalisateur de Super 8 est avant tout un spectateur qui a grandi aux côtés de la saga, faisant de lui un parfait représentant des fans. Et comme pour appuyer ce rapport particulier que Star Wars tient avec son public, le choix de son cinéaste engendre une proximité d’autant plus grande avec le monde qu’il a entre les mains. L’universalité affirmée des films provient en grande partie de parallèles entre la fiction et la réalité, notamment dans le domaine historique (le Premier Ordre, le nouveau système dictatorial hérité de l’Empire, renvoie encore plus explicitement à l’Allemagne nazie). Mais Abrams va encore plus loin en incluant sa propre réalité, celle d’un admirateur à qui l’on donne les clés du musée. Les événements de la trilogie originale, qui se sont déroulés il y a plus de trente ans, sont désormais devenus des légendes, au point pour Rey (la révélation Daisy Ridley), une pilleuse d’épaves de la planète Jakku, de jouer les groupies lorsqu’elle rencontre le mythique Han Solo (Harrison Ford, toujours au top).

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Le cinéaste reprend alors la structure en cycles qui constituait déjà les deux précédentes trilogies, afin de souligner la répétitivité d’une Histoire que l’homme façonne également au travers de son imaginaire, de ses récits et de ses mythes. A partir des théories campbelliennes qui sont le fondement de Star Wars, Abrams s’inspire des grandes lignes d’Un nouvel espoir et de L’Empire contre-attaque, avec ce droïde en possession d’une information capitale (BB-8, la trouvaille du film) échoué sur une planète désertique et recueilli par une jeune femme (Rey donc), qui se retrouve embarquée dans une incroyable aventure. Mais il ne construit pas son récit sur la seule base du fan-service, et tend d’ailleurs à remettre en question le canevas archétypal influencé par Campbell, en transcendant la fonction habituelle des personnages. Au fond, la saga n’a jamais parlé que de cela : d’une évolution, voire d’une transformation radicale de figures qui ne pensaient pas être ce qu’ils ont fini par devenir. La mécanique de l’écriture, si elle demeure bien huilée, est rendue plus ambigüe par la profonde humanisation de ses nouveaux héros et méchants, plus fragiles et moins monolithiques. Il suffit des premières séquences dans un village de Jakku pour s’en convaincre. Durant une invasion du Premier ordre, nous voyons enfin les Stormtroopers vivre derrière leurs casques. C’est même au travers de cette armure que nous est introduit Finn (John Boyega, revigorant), un soldat dissident, qui assiste au décès de l’un de ses collègues. Toute la force de la mise en scène et du montage d’Abrams réside dans sa manière d’identifier cet homme perdu dans la bataille et de traduire ses émotions, sans avoir besoin de montrer son vrai visage. En somme, la sensibilité du cinéaste touche au pouvoir de l’effet Koulechov, permettant au spectateur de deviner ce que cachent les masques par un contexte, le placement de la caméra ou l’assemblage de deux plans. Outre l’empathie immédiate que l’on ressent pour BB-8 (dont le brillant design reflète toute la bonhomie), ce procédé offre également l’opportunité de déchiffrer Kylo Ren (Adam Driver, impeccable), jeune sith torturé par l’appel de la lumière et effrayé à l’idée de ne pas être aussi puissant et emblématique que Dark Vador.

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Ce doute qui assaille et humanise ce nouvel antagoniste retourne les codes que l’on avait l’habitude de voir dans Star Wars. Ainsi, les personnages ont beau être inspirés de ceux de l’ancienne trilogie, ils ne sont pas pour autant un décalque parfait de Luke, Han, Obi-Wan, Yoda ou Vador, même s’ils aimeraient leur ressembler. Abrams va au-delà de nos attentes pour leur écrire un nouveau destin, quitte à ce que l’intrigue, en comparaison, manque parfois d’originalité. Mais si l’on oublie la Starkiller Base, la nouvelle Étoile Noire sous-exploitée du récit, l’effort du cinéaste pour se rapprocher de l’utopie de plaire à tous les spectateurs est rapidement perceptible. Et tout comme son traitement de la Force avec Rey, son processus de création atteint une forme de transe, telle une symbiose l’enrichissant en même temps que son matériau d’origine. Les codes de la génération Abrams et le classicisme de Star Wars se marient parfaitement pour mieux dépasser leurs limites respectives. L’écriture de la saga, opératique et fondatrice du blockbuster moderne, s’accorde avec celle du réalisateur de Mission : Impossible 3, héritée de la télévision. Mais l’auteur se canalise grâce à son co-scénariste Lawrence Kasdan (qui a notamment signé le script de… L’Empire contre-attaque) pour ne pas abuser des twists et cliffhangers à gogo qui relancent l’intrigue toutes les cinq minutes. L’ensemble, malgré les passages obligés et son rapport à la mythologie, gagne en naturel et jouit d’une incroyable fluidité, rendant d’autant plus fascinante et logique l’évolution des personnages. Et pour accompagner ce dynamisme, la mise en scène du cinéaste se permet moult travellings et autres mouvements complexes, afin de magnifier sa scénographie et l’action (à commencer lors de la poursuite avec le Faucon Millenium). Il ne dénature pas non plus la fixité de la réalisation de Lucas, dont il conserve la classe, mais il lui insuffle une part de l’héritage qu’il a engendré, dans une constante recherche d’immersion accentuée par des choix de cadres audacieux. Désormais, nous ne voyons plus simplement les X-Wings passer dans le champ, la caméra s’embarque sur leur coque ou dans leur cockpit, nous transformant temporairement en pilote, comme nous en rêvions étant gosses (et rêvons encore d’ailleurs).

Star Wars: The Force Awakens

Le respect de la nostalgie n’est donc pas une fin en soi, et J.J. Abrams ne reste pas uniquement braqué vers le passé. Tout est une question d’équilibre, parfaitement représenté par le parti-pris technique du film, voulant mêler effets spéciaux mécaniques et numériques. Loin d’une désuétude capricieuse pensée pour une fidélité maladive à la trilogie originale, il expérimente au mieux le réalisme de l’univers. Soudainement, ce dernier semble vivant et palpable, enrichi de multiples détails visuels et sonores. Dès lors, la transe du cinéaste avec son sujet devient celle du spectateur, de nouveau happé par ce monde avec lequel il ouvre une nouvelle forme de dialogue. Depuis la revente de Lucasfilm à Disney, George Lucas n’hésite pas à évoquer la difficulté de se séparer de sa création en la comparant à une ex-femme dont il assisterait au mariage. En ce qui nous concerne, nous préférons y voir un amour de jeunesse passionné, que nous reconnaissons de nombreuses années plus tard en nous disant que tout n’est pas terminé. C’est d’ailleurs le rôle que semblent tenir Han et Leïa (Carrie Fischer) lors de leurs retrouvailles, le contrebandier affirmant même à son amour d’antan que « certaines choses ne changent jamais ». Abrams a assimilé cet aspect fédérateur de la franchise, qui confère à son humanisme. La relation que le public se construit avec le long-métrage est comme mise en abyme par celles des protagonistes, souvent touchantes, à l’instar de l’amitié développée entre Finn et Poe Dameron, le meilleur pilote de la Résistance (Oscar Isaac, brillant de charisme).

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Ainsi, au-delà de ses qualités indéniables de divertissement, Le Réveil de la Force est surtout le reflet d’une merveilleuse compréhension de son héritage. Son cinéaste a embrassé son impact sur le monde, magnifiant ses fondements tout en en remettant certains en question. L’innovation n’empêche à aucun moment la pureté de l’entreprise, chorégraphiant avec une grâce folle durant plus de deux heures cette transition d’une génération à une autre, symbolisée par le sabre-laser de Luke Skywalker (et d’Anakin avant lui). Il passe entre de nouvelles mains pour qu’une autre partie de son histoire s’écrive, retrouvant ce rôle d’attribut sacré que la prélogie avait quelque peu démythifié (Lucas en détruisait à longueur de temps). Mais la plus belle idée de ce Star Wars VII revient sans nul doute au traitement de R2-D2, mis en veille depuis l’exil de Luke. De cette manière, Abrams accentue la valeur de son hors-champ, primordial pour la saga. Il nous suggère que ces personnages que nous aimons tant ont vieilli et évolué, mais qu’ils continuent d’exister avant tout grâce à leur public. Sans nous, ils meurent, attendant qu’on les réveille pour leur donner une nouvelle vie. C’est cette immortalité fragile qu’il nous décrit, imprimant sur la pellicule cette importance de l’imaginaire collectif autant que ses images. Il atteint alors cette transe qui dépasse les limites de l’écran, les métaphores, les allégories ou encore les liens avec l’histoire, et qui fait de Star Wars un appel à l’aventure ancré dans notre quotidien, sincère et universel. Il atteint cette transe prouvant que le film… est bien plus qu’un film.

Réalisé par J.J. Abrams, avec Daisy Ridley, John Boyega, Harrison Ford, Adam Driver

Sortie le 16 décembre 2015.