Une réussite majeure, qui prouve à ceux qui en doutaient que le cinéma populaire italien est loin d’avoir dit son dernier mot.
A n’en pas douter, Stefano Sollima marche bien dans les pas de son père, le regretté Sergio, qui fut l’une des figures majeures du cinéma populaire italien des années 60 et 70 avec des films comme Le dernier face à face ou Colorado. Après A.C.A.B : All cops are bastards, Sollima démontre une nouvelle fois que le cinéma européen peut lui aussi être ambitieux et populaire tout en restant d’une intégrité artistique qui force le respect. En relatant les manigances politiques et criminelles autour d’un important projet immobilier, Suburra se présente comme une œuvre tentaculaire, dessinant le portrait d’une Rome corrompue et en plein déclin.
Le principal tour de force qu’accomplit le film réside en effet dans la manière dont Sollima fait exister sa multitude de personnages. Véritable film choral, Suburra parvient à développer une bonne dizaine de personnages sans jamais ne faire perdre le fil à son spectateur, en les caractérisant par des enjeux émotionnels clairs et consistants. Qu’il s’agisse d’un couple de camés, d’un homme politique véreux ou d’un ponte de la mafia à son crépuscule, Sollima présente ses personnages efficacement en prenant soin de ne jamais tomber dans la caricature, pour les rendre de plus en plus complexes et ambigus à mesure qu’ils se confrontent à des dilemmes moraux importants. On arpente ainsi les différentes strates de la société, liées entre elles par la même soif de pouvoir, la même corruption qui les gangrène de l’intérieur. Il n’y a ainsi pas de bons ou de mauvais, mais seulement des êtres qui se définissent par leurs actes dans un monde violent et corrompu. Entraînés dans un engrenage infernal de criminalité, certains personnages se révèlent même étonnement émouvants au fil de l’intrigue. C’est le cas notamment de Numéro 8, d’abord caractérisé comme une brute instable et sans cœur, qui finalement se révèle être le seul à avoir un rêve, le seul qui refuse de réduire sa condition à la simple survie. Au détour d’une scène sublime dans laquelle il décrit son rêve, à savoir faire de Rome le nouveau Las Vegas, Sollima déploie toute la puissance émotionnelle de ce personnage. On peut dire la même chose de sa copine, Viola, qui dans l’adversité va se révéler être la seule à agir pour des raisons humaines. Si le récit brille par ses multiples enjeux dramatiques, c’est bien la force de la mise en scène qui en décuple le potentiel.
Ce qui rend ainsi Suburra si dense et fascinant est bien la dimension mythologique et quasi-biblique que le cinéaste injecte à son histoire. Dès son titre, qui renvoie à un quartier malfamé de la Rome antique, le film plonge le spectateur dans un univers fortement symbolique. Rythmé par un compte à rebours annonçant l’apocalypse, le tout est en effet soutenu par un solide projet de mise en scène, qui assume pleinement sa dimension allégorique sans jamais en faire trop. On retient notamment cette scène où le sénateur (brillamment interprété par Pierfrancesco Favino) urine littéralement sur la ville depuis le balcon de sa chambre d’hôtel après une soirée bien arrosée en compagnie de deux prostituées, ou encore la discussion autour d’une probable démission du pape. Sous les torrents de pluie prédisant l’arrivée inévitable de l’apocalypse, Sollima dépeint un monde violent et chaotique, où des êtres lâches et sans repères luttent pour exister. En ce sens, le long-métrage est autant le tableau d’une Italie post-Berlusconi qu’une parabole universelle de la condition humaine. Tous ces symboles visuels sont intelligemment distillés par le cinéaste, et ne prennent jamais le pas sur la mécanique codée mais maitrisée d’un récit haletant et viscéral. C’est justement la capacité du cinéaste à allier un récit populaire à une vraie réflexion sur son pays et sur la nature humaine qui fait de Suburra un film ample, riche et puissant.
Réalisé par Stefano Sollima, avec Pierfrancesco Favino, Elio Germano, Claudio Amendola…
Sortie le 9 décembre 2015.