La Vie très privée de Monsieur Sim

Par Cinealain

Mathieu Amalric, Valeria Golino, Isabelle Gélinas,

Linh-Dan Pham, Vimala Pons, Félix Moati, Vincent Lacoste

Quant à la prestation de Jean-Pierre Bacri, l'auteur confie : "Au départ, j'étais un peu inquiet par la différence d'âge entre le Sim du livre et Jean-Pierre, mais je me suis rendu compte que cela ne se voyait pas à l'écran. De toute évidence, Jean-Pierre Bacri est l'un des plus grands acteurs de cinéma et je n'arrivais pas à croire qu'il s'apprêtait à camper l'un de mes personnages. Sa prestation est tout simplement fascinante."

C'est alors qu'il reçoit une proposition inattendue : traverser la France pour vendre des brosses à dents qui vont "révolutionner l'hygiène bucco-dentaire".

Il fait ainsi la connaissance de Poppy, . Celle-ci lui fera rencontrer son oncle Samuel , qui d'une certaine manière, contribuera à bouleverser sa vie en lui prêtant le livre qu'il a écrit sur un navigateur "L'étrange voyage de Donald Crowhurst".

Entretien avec le réalisateur Michel Leclerc, relevé dans le dossier de presse.

Comment avez-vous découvert le livre de Jonathan Coe dont s'inspire le film ?


Baya Kasmi, ma compagne et co-scénariste, l'a lu en premier et m'a dit que cela me correspondait et qu'elle y retrouvait beaucoup d'éléments de mon univers et de mes obsessions. Elle m'a encouragé à le lire à mon tour, mais j'ai mis du temps à accéder à sa demande : je traversais moi-même une période très difficile, de deuil, d'intense remise en question et de départ vers d'autres horizons. J'ai fini par lire le livre dans l'avion qui nous emmenait à Florence où nous avions décidé d'aller vivre (où le scénario a d'ailleurs été écrit). Ce livre avait donc un écho très particulier avec ma propre vie, et découvrir cet homme qui avait tout perdu et qui était en plein questionnement, m'a bouleversé : je me suis totalement identifié à lui à ce moment. Puis, j'ai eu la chance de pouvoir rencontrer directement Jonathan Coe et de le convaincre d'accepter cette adaptation.

Ce qui m'a convaincu, c'est que le protagoniste est certes un dépressif mais il désire ardemment remonter la pente : il ne cherche pas à s'enfermer en lui-même mais à se tourner vers les autres, il a un vrai désir de vie. C'est un genre de dépressif joyeux, ce qui est assez rare. Il y avait là matière à susciter des scènes de comédie dans son rapport aux autres. Sim annonce à qui veut l'entendre qu'il est en pleine dépression avec un grand sourire comme s'il disait
"j'ai adoré ce que j'ai mangé ce midi".

Il a une candeur, une franchise qui me bouleversent. Par ailleurs, il y a une vraie évolution dans le roman qui commence dans un registre de comédie sociale pour parvenir à une dimension plus métaphysique.

C'est un roman sur le désir de fuite, la tentation de Venise. On a tous envie de s'échapper, de quitter la civilisation pour aller vers des contrées désertes, d'être confronté au vide, à la nature, à son destin. On a besoin de métaphysique. Et j'y ai vu bien sûr une possibilité de cinéma.

Pas tout à fait. En général, notre écriture est le fruit de nos ruminations : l'un a une envie qu'il couche sur le papier
(comme Baya avec Je suis à vous tout de suite), et puis on développe l'idée en ferraillant ensemble. Pour ce projet, j'ai commencé par effectuer un premier travail d'adaptation consistant simplement à mettre en exergue ce que je voulais garder du roman. Par la suite, on a beaucoup discuté ensemble des éléments qui rendaient le récit plus ou moins cinématographique : Baya a par exemple proposé certaines idées qui ne sont pas dans le livre et que j'ai intégrées au film (comme celle de l'épave du bateau à la fin).


J'ai naturellement tendance à orienter la dramaturgie vers la comédie et, donc, je me suis autorisé à orienter certaines séquences du roman vers l'humour, néanmoins déjà très présent dans le texte initial. Dans le livre, le protagoniste est beaucoup plus seul qu'il ne l'est à l'écran : la partie du dialogue avec son GPS y est plus développée et je me suis dit que cela risquait d'être difficile de la transposer telle quelle, car il pouvait y avoir là quelque chose de mécanique. J'avais davantage envie de développer les relations de Sim avec son ex-femme et sa fille : nous avons ajouté des scènes, comme l'escapade avec sa fille, ou la séquence avec le dentiste, qui n'existent pas dans le livre. De même, s'agissant du flash-back sur le père dans les années 50, le film garde le squelette de l'intrigue, le thème de la grande histoire d'amour ratée, mais la narration et le contexte s'en éloignent. Dans le livre l'histoire se passe dans le milieu de la banque à Londres. Pour autant, j'ai voulu préserver la sensibilité du livre, le ton tragi-comique et la construction en puzzle : il s'agit de l'histoire d'un homme qui prend des chemins de traverse et qui finit par retrouver sa route en se perdant. D'où ma volonté, dans la seconde moitié du film de désorienter le spectateur comme le personnage l'est.


C'est un roman de la deuxième ou de la troisième chance et j'y suis très sensible. Au bout du compte, comme je le disais, Sim, à force de se perdre, finit par se trouver : on a le sentiment que le film se clôt sur un personnage qui va mieux qu'au début, après être passé par de très sales moments. Il n'est jamais trop tard, semble suggérer le film, et il parvient à se libérer des névroses familiales : Sim a de grandes difficultés de communication avec son père, dont on comprend peu à peu l'origine, et qu'il parvient à dénouer. C'est évidemment la clé de cette histoire qui parle des échos d'une génération à l'autre, des secrets et des non-dits, mais également des erreurs familiales que Sim parvient à ne pas reproduire. Il n'y a donc pas d'âge pour se libérer d'un poids inexplicable qui pèse sur nos épaules. C'est pour cela que l'image de la carte routière est importante dans le film puisqu'il est question de chemins de traverse, d'itinéraire bis : toute l'éducation de Sim lui a dicté de suivre une voie qu'il a scrupuleusement empruntée jusque-là et à un moment donné, parce qu'il est en rupture avec son travail et avec sa femme, il décide de ne pas suivre le GPS de sa vie. En prenant cette décision, il trouve son chemin.

L'itinéraire de Donald Crowhurst, qui se laisse dériver, fait bien entendu écho à celui de François.


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Je ne connaissais pas cette histoire avant de lire le roman. En finissant le livre, je n'étais pas sûr que ce soit une histoire vraie : j'ai vérifié et je me suis rendu compte qu'elle était assez connue.

Une de mes surprises a été de m'apercevoir qu'il existait beaucoup d'images d'archives de ce navigateur et que la BBC lui avait confié une caméra 16 mm pour qu'il se filme à bord. On disposait donc d'un matériau brut extraordinaire qui constituait un parallèle cinématographique inouï avec le parcours de Sim.

Le film parle aussi de l'ultra-moderne solitude, en ce sens là, il a une dimension politique. Sim est au fait des moyens de communication actuels : il parle de ses amis sur Facebook, il dialogue sur Skype, il est constamment connecté. C'est une époque où on a multiplié les moyens de communication et, très paradoxalement cela semble favoriser l'isolement de chacun. Au fond, ce personnage est d'une extrême solitude, ce qui rend le parallèle avec ce navigateur au milieu de l'océan, qui lui était vraiment dépourvu de tous moyens de communication, très fort. On vit tous dans une sorte d'océan de communication et on se retrouve seul face à nos écrans. Et puis l'obsession des marques, on est tous cerné, suivi, envahi par les marques, et nous avons tous un rapport ambivalent à elles. Sim
(comme moi d'ailleurs) est d'un côté rassuré de retrouver les mêmes marques où qu'il aille, les mêmes menus dans les mêmes chaînes de restaurants, les mêmes chambres dans les mêmes hôtels... mais d'un autre côté cette uniformité est aussi une source diffuse d'angoisse, l'impression d'être dans une prison à ciel ouvert, quel que soit le nombre de kilomètres parcourus, on a le sentiment d'être au même endroit, entre un Léon de Bruxelles et un Hôtel Ibis. Et le monde finit par ressembler à une gigantesque zone commerciale.

Le protagoniste tient un peu du
"raseur", et j'ai une vraie tendresse pour les raseurs. Sim est le premier à se persuader qu'il est un type ennuyeux (au point de croire qu'il est capable de tuer quelqu'un en lui parlant). Mais en fait, il est moins ennuyeux qu'il ne le pense, il est curieux, il a un esprit d'observation, il peut se passionner pour des choses dérisoires aux yeux des autres, comme d'une cloche en plastique pour garder les plats chauds. Ses interlocuteurs ont une certaine bienveillance à son égard : Caroline, son ex-femme l'engueule quand il embarque sa fille, mais on sent qu'elle garde une tendresse pour lui, Samuel (Mathieu Amalric) est ému par lui, tout comme Luigia, le personnage de Valeria Golino, qu'il n'a pas revu depuis des décennies. Il rate tout ce qu'il entreprend mais on ne lui en veut pas.

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On a le sentiment que chacun lui chuchotte à l'oreille : "ça va aller, cherche ta voie" en tâchant de le consoler, comme un enfant perdu qu'on a envie de prendre dans ses bras.

À cet égard, le film est vraiment une tragi-comédie, l'humour comme politesse du désespoir : on a constamment peur que le personnage ne fasse les mauvais choix et ne s'en sorte pas et, du coup, on a envie de le sauver.

Maintenant, quand j'écris un scénario, je m'astreins à ne penser à aucun comédien, car quand on écrit avec quelqu'un en tête, cela peut s'avérer trop déceptif si le comédien refuse le rôle, et faire le chemin à l'envers pour retrouver du désir pour un autre comédien est très difficile. Cela dit, comme tout le monde ou presque, j'adore Jean-Pierre, depuis très longtemps et ce n'est d'ailleurs pas la première fois que je lui propose un rôle dans un de mes films, ce qu'il avait refusé jusque-là. Il a d'un côté cette pudeur et de l'autre cette fragilité, cette part d'enfance qui affleure, et plus il vieillit, plus on lit la moindre émotion sur son visage, son moindre battement de cil parle. Par ailleurs, j'ai le sentiment que ce rôle-là pouvait l'amener vers autre chose : le film commence sur un Bacri plus habituel et évolue vers un personnage courtois, affable avec les autres, et surtout vulnérable. Je crois que dans ce rôle il a livré une vulnérabilité qu'on n'avait pas vraiment vue jusque-là. Certes, il avait déjà joué des dépressifs, mais Sim est un homme sur le fil du rasoir, parfois aux confins de la raison et je sens que Jean-Pierre a du chercher loin pour jouer certaines scènes. Dans le film, Jean-Pierre est présent dans la quasi totalité des plans et il nous fallait un comédien qu'on ne s'ennuie jamais de regarder : pour moi,
La vie très privée de Monsieur Sim est une sorte de documentaire sur le visage de Jean-Pierre Bacri. Et j'ai pris un plaisir énorme à le filmer.

Il est évidemment très sensible au texte, et pendant la préparation, j'ai senti que le choix des mots était capital pour lui, à la virgule près. Par exemple, dans le journal de bord de Crowhurst, la dernière phrase était
"It is the mercy" et j'avais indiqué dans le scénario "Soyez miséricordieux". Jean-Pierre préférait "Ayez pitié" car pour lui le terme "miséricordieux" était trop connoté religieusement par rapport à son désespoir. Il m'a convaincu. Une fois ce travail de préparation effectué, il est très souple sur le plateau et constamment à l'écoute, notamment de ses partenaires. Je crois qu'il s'est produit un déclic, quand, ensemble, on s'est dit que ce personnage était sans défense, candide comme un enfant qui a envie de se faire aimer : cela a résonné chez lui et à partir de là il a trouvé la ligne du personnage.


Dès lors qu'il s'est senti en confiance, il était prêt à aller très loin. Par exemple, dans la scène où il chante une chanson de marin, on sent que Sim est aux confins de sa propre raison : je lui avais demandé de chantonner quelque chose et c'est lui qui a eu l'idée de cette chanson de marin. De même, jouer avec un GPS n'était pas évident : donner la réplique à une machine en nous faisant croire qu'il parle à quelqu'un est très complexe. Jean-Pierre est un être pudique et élégant, et tout le travail a consisté à lever ses réserves pour l'amener vers un peu moins de pudeur mais toujours autant d'élégance.

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De cette adaptation du roman éponyme de Jonathan Coe, Michel Leclerc réalise un film à la fois original, tendre, émouvant et surprenant.

Au sujet de l'œuvre qui inspire son scénario, subtil et parfaitement écrit avec Baya Kasmi, le réalisateur déclare : "C'est un roman sur le désir de fuite, la tentation de Venise. On a tous envie de s'échapper, de quitter la civilisation pour aller vers des contrées désertes, d'être confronté au vide, à la nature, à son destin. On a besoin de métaphysique."

Tous les virages que s'autorise le scénario apportent un intérêt particulier qui monte crescendo. L'ensemble est accompagné par une bande son particulièrement réussie signée Vincent Delerm.

Aussi courtes soient leurs participations, d'Isabelle Gélinas à celle de la belle Valeria Golino, ou encore Vimala Pon et Linh-Dan Pham, les actrices sont toutes excellentes. Le duo, composé par Félix Moati, et Vincent Lacoste pour cette "grande histoire d'amour ratée" est très convaincant. Mathieu Amalric, parfait.

Jean-Pierre Bacri, enfin, dans un rôle totalement inattendu est, comme toujours, remarquable.

Ce film restera un très bon moment de cinéma.