Jia Zhang-Ke a reçu le Carrosse d'Or pendant la cérémonie d'Ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs le 14 mai 2015.
Société des réalisateurs de film s rendent hommage à un de leurs pairs en lui remettant un prix, Le Carrosse d'or, pendant le Festival de Cannes. Ce prix est destiné à récompenser un cinéaste choisi pour les qualités novatrices de ses films, pour son audace et son intransigeance dans la mise en scène et la production.
Jia Zhang-Ke est né en 1970 à Fenyang, province de Shanxi. Il est diplômé de la Beijing Film Academy et a réalisé son premier film,
Xiao Wu, artisan pickpocket en 1998. Il vit à Pékin et est très impliqué avec la jeune génération de réalisateurs à travers la Chine.
En 2006, son film Still Life remporte le Lion d'Or du 63 ème Festival de Venise.
Zang, heureux propriétaire d'une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que travaille dans une mine de charbon.
Tao choisit d'épouser Jinsheng. En 2014, Liangzi vit dans une autre ville. Toujours employé par une mine de charbon. Il apprend qu'il a un cancer.
Tao a divorcé de Jinsheng. Elle vit seule, tandis que Dollar, est élevé par son père.
Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l'Australie comme promesse d'une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin.
Entretien avec J
Propos recueillis par Jean Michel Frodon et relevés dans le dossier de presse.
Il y a eu un temps de maturation très long,
Mountains May Depart vient en partie de séquences accumulées durant le tournage des films précédents. Depuis 2001, lorsque j'ai eu ma première caméra numérique, mon chef opérateur Yu Lik-wai et moi avons beaucoup circulé, en filmant un peu au hasard. Nous avons tourné des images qui n'étaient pas exactement des tests, plutôt des notes, sans savoir ce qu'on en ferait. Il y a 4 ans, nous avons fait plus ou moins la même chose avec une nouvelle caméra, beaucoup plus perfectionnée, l'Arriflex Alexa. La mise en relation de ces deux ensembles d'images, à 10 ans d'intervalle, m'a donné l'idée du film. J'ai été frappé à quel point les images de 2001 me semblaient lointaines, comme venues d'un monde disparu. Je me suis demandé comment j'étais moi-même à cette époque, et si j'étais capable de renouer avec celui que j'ai été il y a si longtemps... dix ans qui semblent un gouffre.
Bien sûr, je suis un homme différent moi aussi, j'ai 45 ans et une expérience de la vie qui faisait défaut alors. J'ai trouvé intéressant, à partir de cette distance parcourue, de poursuivre la trajectoire au-delà du présent, dans le futur. Quand on est jeune on ne pense pas à la vieillesse, quand on se marie on ne pense pas au divorce, quand on a ses parents on n'envisage pas qu'ils vont disparaître, quand on est en bonne santé on ne pense pas à la maladie. Mais à partir d'un certain âge, on entre dans ce processus, qui est celui du présent mais aussi de projections dans l'avenir. Le sujet du film est la relation des sentiments avec le temps : on ne peut comprendre vraiment les sentiments qu'en prenant en compte le passage du temps.
Fenyang est une petite ville de la province centrale du Shanxi, c'est là que je suis né et que j'ai grandi. J'y ai tourné mes deux premiers films, et
Platform, et une partie de . C'est un point d'ancrage affectif, j'y ai mes amis et une partie de ma famille, mais aussi un point d'ancrage esthétique et social : pour moi, Fenyang représente ce que vit le commun des mortels en Chine. Cette région est aussi très attachée à une notion qui est le sujet du film, et qu'on exprime en chinois par les caractères Qing Yi. Cela désigne une notion très forte de la loyauté envers ses proches, qu'il s'agisse de sa famille, de la personne qu'on aime ou de ses amis. Cette idée, qu'on peut comparer à ce qu'on a appelé en Europe au Moyen Âge la "foi jurée", est centrale dans les romans de chevalerie. Elle est incarnée dans la mythologie chinoise par Guan Gong, le dieu de la guerre. Son attribut traditionnel est cette longue hallebarde avec un plumet rouge, cet objet qu'on voit réapparaître dans chaque partie du film. Il est porté par quelqu'un qui semble errer sans but, comme s'il ne savait plus que faire de cette vertu.
Oui, mais pas seulement entre les personnes, cela peut être avec des lieux, et surtout avec des souvenirs. Dans la vie quotidienne des Chinois d'aujourd'hui, je constate une perte profonde de cette relation d'engagement réciproque, et elle affecte aussi les souvenirs. Même si une relation entre des personnes se défait, il ne devrait y avoir aucune raison pour ne pas continuer de respecter ce qui a été partagé. Si on abandonne cela, tout peut se défaire, même
"les montagnes peuvent s'en aller".
Littéralement, le titre chinois veut dire
"les vieux amis sont comme la montagne et le fleuve", ils sont immuables. La formulation est l'inverse du titre en anglais, mais c'est la même idée, la même interrogation.
La plupart des Chinois qui émigrent vont aux États-Unis et au Canada, surtout sur la Côte Ouest, mais l'Australie me semblait bien plus lointaine. Le choix de l'Australie tient au fait que c'est dans l'autre hémisphère, quand c'est l'hiver en Chine, là-bas c'est l'été. Quand il fait très chaud en Australie, il neige dans le Shanxi. Le succès international de m'a amené à circuler dans de nombreux pays, je m'y suis intéressé à la présence d'immigrés chinois, et notamment du Shanxi. J'étais particulièrement attentif au sort des jeunes, et à leurs rapports avec leurs parents. J'ai découvert dans de nombreux endroits, à Los Angeles, à Vancouver, à Toronto ou à New York, des ruptures dans le langage, avec des conséquences profondes. Dans beaucoup de familles chinoises émigrées, seul un des deux parents parle anglais, l'enfant, lui, ne parle que l'anglais. Il y a donc un des deux parents avec lequel il ne peut pas dialoguer. C'est une rupture majeure.
Ce n'est pas un problème pour moi, je connais le texte que disent les acteurs puisque je l'ai écrit, et ensuite c'est affaire de rythme. Dans ces conditions, je peux diriger des scènes en anglais sans problème.
La chanson de
Pet Shop Boys a été extrêmement populaire en Chine dans les années 90, quand j'étais à l'université, à une époque où des discothèques ouvraient un peu partout. Dans les boîtes de nuit et dans les soirées, Go West était la chanson qui passait systématiquement à la fin, et qui réunissait tout le monde dans une danse collective. On ne se demandait pas trop ce que désignait l'Ouest, ça pouvait être la Californie (qui pour nous est à l'Est) ou l'Australie comme les personnages du film. Quant à la chanson en cantonais, Take Care, c'est un morceau de la chanteuse Sally Yeh. Elle est une star de la cantopop, mais la chanson elle-même est peu connue. Je l'aime beaucoup, je l'écoute souvent. La musique populaire m'a toujours beaucoup intéressé, ces chansons m'ont aidé à comprendre la vie et elles sont un très bon témoignage de la mentalité collective, elles racontent la société. A nouveau, je suis frappé par la disparition, dans les chansons récentes, des sentiments forts, de l'engagement fidèle envers quelqu'un ou quelque chose qui était si présent auparavant. J'ai d'ailleurs publié un article sur le sujet : on a toujours des chansons d'amour, mais qui s'attachent plus au physique, et à l'instant. Au contraire, Take Care porte sur l'idée qu'une séparation est sans doute en cours mais que ce qui été vécu de fort ne sera pas effacé.
Ce n'est pas moi qui lui ai demandé, cela vient d'elle,et elle m'a beaucoup étonné. On se connaît bien puisque nous sommes mariés, et qu'on travaille ensemble depuis longtemps, mais avec ce film j'ai découvert des aspects d'elle que j'ignorais, un monde intérieur qui m'était inconnu. Au début de la préparation, elle m'a demandé si je pouvais lui donner des indications sur le personnage, je lui ai donné seulement deux mots :
"explosif" pour la première partie et "océan" pour la deuxième. À partir de là, elle a énormément travaillé de son côté, elle a rempli plusieurs cahiers de notes sur le personnage, sur tout ce que je n'avais pas écrit dans le scénario, qui comme d'habitude est surtout constitué de grands repères, en laissant beaucoup de place à l'initiative durant le tournage. Elle a fait une véritable création littéraire. Elle a par exemple cherché à expliquer, pour elle-même, comment cette femme avait accepté de laisser son fils partir avec son mari. Elle a aussi pris beaucoup d'initiatives, par exemple pour la scène finale, elle porte des habits qui appartiennent à ma mère, c'est son idée. Elle a également beaucoup travaillé le langage corporel, pour chaque époque. Son expérience de danseuse l'aide pour cela.
Zhang Yi, qui joue le mari, a souvent joué à la télévision, il est connu en Chine. Je l'ai vu dans Dearest de Peter Chan, qui était à Venise en 2014, et j'ai beaucoup aimé son jeu. Liang Jing-dong, qui joue l'autre homme, était déjà dans Platform, il n'avait pas joué depuis longtemps. Dollar est interprété par Dong Zi-jang, qui vient de l'Académie d'art dramatique. Et Sylvia Chang, bien sûr, est la star de dizaines de films signés Li Hanxiang, Ann Hui, Tsui Hark, Edward Yang, Johnnie To, Mike Newell, Ang Lee, Tian Zhuang-zhuang... Elle est aussi cinéaste, mais surtout il me fallait une très bonne actrice chinoise qui parle parfaitement anglais.
Non, le Shanghai Film Group a aimé le scénario et était partant pour m'accompagner. Avec ce film, j'espère leur permettre de récupérer l'argent qu'ils ont perdu à cause de l'interdiction de : celle-ci s'est fait à la dernière minute, quand ils avaient engagé des frais importants pour la sortie du film. Parmi les coproducteurs, aux côtés de ma société, Xstream, et d'Office Kitano, allié indéfectible depuis 15 ans, nous avons reçu le soutien de MK2, grâce aux récents accords de coproduction franco-chinois.
Dans ce pays, au milieu duquel le modernisme côtoie les traditions ancestrales, le réalisateur déclare avoir utilisé "des séquences accumulées durant le tournage des films précédents". "J'ai trouvé intéressant, à partir de cette distance parcourue, de poursuivre la trajectoire au-delà du présent, dans le futur." a t-il confié.
Pendant un quart de siècle qui nous amènera dans un éventuel, et proche futur, il suit le parcours de ses personnages allant d'une jeunesse plus ou moins insouciante à un âge plus avancé. La recherche d'un eldorado pour certains. L'enracinement dans la terre natale pour d'autres.
La langue reste un barrage pour la communication. Dès le début du film, et plus exactement à Fenyang dans la province reculée du Shanxi, son héroïne ne comprend pas les paroles d'une chanson populaire cantonaise. La fin du film met en opposition un fils qui a grandi face à son géniteur avec un barrage supplémentaire, celui de la langue.
Des heures après avoir ce film, certaines images restent prégnantes, autant de situations, souvent d'une grande tristesse, qui ne s'effacent pas de la mémoire. Un peu comme ses notes de musique, autant de rengaines accrochée à nos souvenirs et qui reviennent sans que l'on sache exactement pourquoi.
Après des gestes habituels à la confection de raviolis, dans un décor sans vie, les dernières images de cette mère vieillissante qui retrouve les pas de danse de sa jeunesse sont bouleversantes.