Run And Kill (Tout ça pour une cuite !)

Par Olivier Walmacq

Genre : thriller, action (interdit aux -16 ans)
Année : 1993
Durée : 1h30

L'histoire : En rentrant chez lui, un homme tranquille découvre l'infidélité de sa femme. Pour oublier, il se saoule dans un bar et sans s'en rendre compte, commande l'assassinat de son épouse auprès d'un redoutable tueur. Le lendemain, alors qu'il a tout oublié, il se voit réclamer l'argent du contrat par le gangster. Pour sortir de cette impasse et faire face aux gangs lancés à ses trousses, il n'aura pas le choix.

La critique :

Là, nous tenons un très bon film. Si vous vous intéressez un tant soit peu à ce genre cinématographique très particulier que sont les Catégories 3, vous n'êtes pas sans ignorer que le genre est dominé par les deux références absolues que sont The Untold Story et Ebola Syndrome. Pour le reste, c'est un peu comme pour la boîte de chocolats de Forrest Gump... on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Cependant, force est de constater que la catégorie est, la plupart du temps, infestée par d'ignobles navets ou au mieux quelques nanars sympathiques. Run and Kill, réalisé par Hin Sing Tang en 1993, fait donc figure d'exception notable au point de pouvoir soutenir la comparaison avec les références précédemment citées.
Hyper rythmé sans être bourrin, hyper violent sans être insoutenable, doté d'une solide intrigue et bénéficiant d'une interprétation sans faille, ce film hongkongais mérite une place de choix dans votre vidéothèque. Il faut dire que Run and Kill bénéficie de la présence de Kent Cheng, acteur charismatique et véritable icône à Hongkong au même titre que l'autre méga star, Anthony Wong.

Cheng, dont la silhouette enrobée le cantonne souvent à des rôles comiques, sort ici le grand jeu et éclabousse le film de son talent remarquable, en passant de la comédie pure au drame le plus noir en un claquement de doigts. Attention spoilers: Cheung, homme jovial et bien en chair, est propriétaire d'un petit magasin. Le jour de son anniversaire de mariage, tandis qu'il rentre du travail, il trouve sa femme dans les bras d'un bellâtre. Dépité, il erre au hasard dans les rues et atterrit dans un bar où il entreprend de se saouler. Une fois ivre mort, il rencontre alors Fanny, une fille exubérante, à qui il fait part de son désir de vengeance. Celle ci le met en relation avec un tueur avec lequel, involontairement, Cheung passe un contrat sur la tête de sa femme pour le montant astronomique de 800 000 HK$.
Le lendemain, à nouveau lucide, il revient chez lui mais à peine a-t-il franchi le palier que deux inconnus font irruption et abattent froidement sa femme et l'amant de celle ci. Un temps suspecté par la police, Cheung est relâché mais il assiste, impuissant, à l'incendie de son magasin par des truands. Les mafieux le retrouvent peu après et exigent des sommes de plus en plus importantes. 

Il reçoit inopinément le soutien intéressé d'un autre gang dont fait partie Wah, son voisin. Alors que Cheung reprend quelque peu espoir, les deux groupes, s'affrontent violemment au cours d'une rixe dans laquelle plusieurs membres des deux gangs seront tués. Capturés, Cheung parvient à s'échapper, mais Wah est torturé et succombe à ses blessures. Fung, son frère aîné et psychopathe notoire, tient alors Cheung personnellement responsable de sa mort. En représailles, il enlève la mère et la fille de l'honnête commerçant... Dans ce polar très sombre, le réalisateur explore tous les côtés de l'âme humaine et en particulier les moins reluisants. Haine, vengeance, cupidité et surtout cette culpabilité qui ronge le héros tout le long du film. En effet, Cheung ne cesse de s'en vouloir car sa vie a basculé à la suite d'une beuverie anodine. Un moment d'égarement qu'il croyait sans conséquences mais qui l'entraînera dans une spirale meurtrière irréversible et dans une descente aux enfers cauchemardesque. 

Kent Cheng déploie ici toutes les facettes de son art. Tantôt débonnaire, tantôt fou furieux, l'acteur réalise une grande performance. D'ailleurs, Cheng etait considéré comme un monstre sacré dans le Hongkong cinématographique des années 90 et même s'il s'est fait plus discret depuis, son prestige reste intact dans sa contrée d'origine. Mais Cheng n'est pas le seul à tirer son épingle du jeu. Ses partenaires ne sont pas en reste puisque la distribution comprend aussi les excellents Simon Yam (Une balle dans la tête) et Danny Lee (Dr Lamb), impeccable dans le rôle du flic tenace.
Run and Kill débute sur le ton d'une comédie légère mais, très rapidement, on comprend pourquoi le film appartient à la Catégorie 3. Les dix premières minutes passées, l'ambiance se fait beaucoup plus sérieuse et on bascule soudain dans le thriller noir. Le scénario tient parfaitement la route et le film ne s'égare pas dans ces petits moments de comique ridicule qui ponctuent régulièrement les oeuvres asiatiques.

La violence, omniprésente, ne donne pas dans les débordements extrêmes sauf dans les dernières minutes qui atteignent un paroxysme malsain que j'ai rarement vu au cinéma. Réalisé en 1993, c'est à dire encore à l'époque de la colonisation anglaise, le film reflète bien cette présence européenne. On remarque, en effet, que le barman de l'établissement où se saoule Cheung est anglais, et que l'endroit est fréquenté par de nombreux non chinois. Avec Run and Kill, Hin Sing Tang relève considérablement le niveau de la Catégorie 3. Ce sous genre, devenu un genre à part entière, a connu ses heures de gloire dans les années 90 avant de sérieusement décliner. Reste que ces films représentant un cinéma outrancier et transgressif sont devenus l'objet d'un véritable culte par les amateurs. 
Moins sanglant que The Untold Story, moins trash que Ebola Syndrome, moins pervers que Daughter of Darkness, Run and Kill ne fait pas pour autant dans la dentelle. Mais sa violence, savamment dosée, n'est jamais gratuite et s'adapte aux nécessités d'un scénario en béton. Pour conclure, adressons nos félicitations au réalisateur qui a su trouver le parfait équilibre entre le thriller survolté et le drame glauque, le tout agrémenté par de nombreuses scènes chocs. Pour cela, Run and Kill me paraît être le meilleur baptême du feu pour ceux qui désireraient se lancer dans la Catégorie 3. Nerveux, désespéré, parfois même hystérique mais tout simplement excellent. 

Note : 16/20

 Inthemoodforgore