Pour que le timing soit parfait, il aurait sans doute fallu attendre les grandes gelées du plein hiver plutôt que les timides frimas de décembre pour la sortie du film en salles. Néanmoins, le choix reste judicieux en cette période de fêtes, durant laquelle la notion de partage est évidemment dans tous les esprits. Un hiver particulièrement rigoureux sert de prétexte à une décision socialiste des plus charitables : faute de place dans le parc HLM, l'attribution d'un ou de plusieurs espaces pour les travailleurs sans abris dans les logements privés dont la superficie se révèle excédentaire par rapport à la composition du foyer. Le calcul se révèle aussi limpide qu'une demande d'allocation logement déposée à la CAF. Exception faite qu'il ne décortique pas les besoins des locataires aux revenus les plus modestes, mais les non-besoins des ménages les plus favorisés. Qu'il s'agisse de petits bourgeois idéalistes ou de nantis purs et durs. On passera outre le fait qu'une telle directive gouvernementale provoquerait très certainement un tollé général, qui virerait probablement à un affrontement protestataire dans les rues, le français étant tout sauf docile lorsqu'on lui colle des bâtons dans les roues... ou un pensionnaire pas bienvenu dans son petit chez-soi. Plutôt que de s'interroger sur une probable réaction de masse, le film préfère se concentrer sur une ironie générée par lui-même : la mesure d'urgence ne concernant QUE les travailleurs ne parvenant pas à se loger, et non les sans-abris au chômage. Et le fait, très réducteur, que les réfugiés concernés sont tous noirs, ou originaire des Balkans... mais étrangement ni arabes, ni blancs. Il y aurait indéniablement beaucoup à débattre concernant cette mesure illusoire sur un plan politique et social, mais là n'est pas le propos. Le Grand Partage s'attache avant tout à tailler un costard aux culs serrés de droite, et aux connards bien-pensants de gauche. Autrement dit : tout le monde peut aller se rhabiller.
C'est là qu'est toute la saveur de cette comédie grinçante qui n'épargne personne. Pas dans son casting, efficace mais sans surprise, la galerie de personnages ultra stéréotypés nous permettant sans peine de remporter notre partie de Qui est qui ? en un temps record, faute de contre-emplois. Ni dans sa morale niaiseuse, et encore moins dans son happy-end pourrave (qui ne laissera sur le carreau qu'un sexagénaire homosexuel livré à son immense solitude). Mais bien dans la dénonciation caustique des travers de tous bords au beau milieu d'une lutte partisane. En vrac, on nous déballe la facho qui orchestre de la traite de pensionnaires étrangers, la bourgeoise au foyer mal baisée en pleine crise existentielle, la fifille révolutionnaire avec deux de tension, l'écrivain populiste ultra moralisateur et humaniste convaincu, la bobo révolutionnaire adepte du " faites ce que je dis, pas ce que je fais " et le chef d'entreprise cynique qui se découvre une conscience. On peut le déplorer, mais ce sont précisément ces stéréotypes outranciers qui font le sel du film. Ça castagne à tout-va, ça s'envoie des fions à plus savoir qu'en faire, égratignant au passage le mythe du capitaliste sans cœur ou du gauchiste exemplaire, et toutes ces vacheries font du bien. On sourit beaucoup, on s'indigne aussi, sincèrement ou par jeu, on s'esclaffe franchement deux ou trois fois, et on rit jaune, de temps à autre.
Le Grand Partage part d'une bonne intention, mais l'Enfer en est pavé, et le film n'évite pas l'écueil du grand fourre-tout nettement biaisé par un prisme trop réducteur, pas assez crédible, et largement trop caricatural. Si les vannes partisanes font mouche, l'ensemble pêche par frilosité, écrasé par trop de " bons " sentiments et une histoire qui s'éparpille trop dans de vaines réflexions sur la déco d'appart' hype ou le mariage après vingt ans de vie commune. Une semi déception donc.
Titre Original: LE GRAND PARTAGE
Réalisé par: Alexandra Leclère
Genre: Comédie
Sortie le: 23 décembre 2015