Un thriller brutal et dérangeant… mais trop sur l’instant.
Adapté d’un roman de Mo Hayder, The Beast pourrait n’être qu’un best-of du néo-polar européen, fortement inspiré de la froideur suédoise à laquelle Millenium a donné ses lettres de noblesse. Et si le film n’est pas sans défauts, notamment à cause de ses inspirations qu’il manie avec plus ou moins de finesse, il est essentiel de lui reconnaître un certain courage. En effet, Hans Herbots décide de s’atteler à la représentation de la pédophilie, sujet ô combien délicat, avec une âpreté assez dérangeante. A la manière d’un bon meuble à tiroirs, le film cherche à se dévoiler de plus en plus pour nous livrer chacun de ses secrets, mais surtout pour nous montrer toutes les horreurs qu’il abrite. Le long-métrage accumule alors, non sans une certaine confusion, plusieurs intrigues qui finissent inévitablement par se rejoindre. Après la torture d’une famille, suivie du viol et du meurtre de leur enfant, l’inspecteur Nick Cafmeyer (Geert Van Rampelberg) semble déceler un mode opératoire, qui pourrait bien être lié à un traumatisme personnel : la disparition de son jeune frère…
Tourné en Belgique par contraintes budgétaires, The Beast y gagne néanmoins la connaissance que son réalisateur a du décor, dont il exploite les moindres détails. Épaulé par une photographie désaturée et poisseuse, le cinéaste décrit la normalité d’un milieu urbain, qui nous semble familier, alors qu’il cache en réalité un monde que nous pouvions même pas imaginer. Car au fil des suspects et des mœurs révélées, c’est bien un réseau entier qui se construit sous nos yeux, mettant en lumière la proximité effrayante de la monstruosité. Face à cette évolution de l’environnement, qui atteint autant le spectateur que les protagonistes, le cadre se resserre, emprisonne et contraint à revenir à de bas instincts. Le film s’attarde sur les corps et les visages pour finalement les priver de substance, les rendre comme illisibles et incompréhensibles. Herbots s’emploie à une réification qui mène directement son long-métrage dans les profondeurs d’un nihilisme dont on ne ressort pas indemne. Il manie alors avec parcimonie le hors-champ, outil essentiel du thriller, pour mieux nous jeter en pleine face la cruauté imaginative de l’homme. Nous savons alors que tout est possible, ce qui rend le montage alterné que met en place le réalisateur encore plus insoutenable (l’enquête de Cafmeyer avance, tandis qu’une autre famille se fait torturer à son tour par le serial killer). Il en vient même à interroger notre résistance à l’attente et à l’ignorance de la situation. Notre voyeurisme dépasse l’empathie, et nous ne souhaitons que voir cette mère de famille, seule prisonnière dans une chambre à l’étage de sa maison, parvenir à faire un trou dans le sol pour voir ce qui se déroule au rez-de-chaussée.
L’efficacité de The Beast est ainsi évidente. Cependant, celle-ci est peut-être trop immédiate, et peine à perdurer. Si la brutalité du sujet méritait d’être traitée de manière brutale, il manque néanmoins à la mise en scène une certaine finesse dans la suggestion ou dans le choix de ses images. Il manque ce petit terreau vierge et fertile laissé au spectateur pour que son esprit y dépose ses traumatismes, et qu’en retour, le métrage y reste gravé. On sent pourtant cette volonté de la part de Hans Herbots, principalement dans la connivence qu’il crée avec son personnage principal, un simple homme en quête de vérité, cherchant à se libérer d’un poids qu’il traîne depuis trop longtemps. The Beast n’est alors jamais aussi flippant que quand son héros s’apprête à trouver un indice, lorsque l’horreur s’offre à lui. On pensera notamment à cette pile de VHS remplies de pornos pédophiles, avalées par un magnétoscope obligé d’envoyer leur contenu sur l’écran de la télévision. Le problème, c’est de se dire que le film n’a pas grand-chose d’autre à offrir. Au-delà de sa violence, l’ensemble remplit trop à la lettre le cahier des charges du thriller psychanalytique, alors qu’il lui aurait sans doute fallu sortir des sentiers battus pour embrasser toute la puissance de son propos. Reste un objet sans espoir rondement mené, qui nous décharge sur nos épaules toute la crasse du monde.
Réalisé par Hans Herbots, avec Geert Van Rampelberg, Ina Geerts, Johan Van Assche…
Sortie le 30 décembre 2015.