Un grand merci à Pathé pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le bluray du film « Goupi Mains rouges » de Jacques Becker.
« De mon temps, on pouvait cracher où on voulait. On n’avait pas encore inventé les microbes »
Dans un petit village de Charente vit la famille Goupi, dirigée avec fermeté par Mes-Sous et Tisane, et dont chaque membre est doté d'un surnom correspondant à son caractère et à ses petites manies. Goupi-Mes-Sous a décidé de marier son fils Eugène, dit Goupi-Monsieur car il travaille à Paris, à sa cousine Goupi-Muguet, fille de Goupi-Dicton. Goupi-Mains-Rouges, le braconnier, qui vit totalement à l'écart du reste de la famille, dans une cabane perdue au fond des bois, s'en va à la gare chercher Eugène, dont l'arrivée coïncide avec la mort brutale de Tisane, retrouvée assassinée en plein coeur de la forêt. Dix-mille francs ont également disparu...
« L’argent n’est pas fait pour s’amuser. Mais quand on n’en a pas on s’ennuie »
Passionné de littérature, Pierre Véry est d’abord libraire, dans le quartier latin. Pour ce charentais de naissance, cela ne suffit pas à satisfaire pleinement sa passion. Aussi devient-il dès les années 30 un auteur reconnu et à la mode. Au point d’inspirer très rapidement les cinéastes de son époque, qui adapteront ses œuvres sur grand écran. Il y aura d’abord Christian-Jaque avec « Les disparus de Saint-Agil » (1938) puis « L’assassinat du Père Noêl » (1941), puis Jean Delannoy avec « L’assassin a peur la nuit » (1942) ou encore Louis Daquin avec « Madame et le mort » (1943). Et puis, il y a Jacques Becker qui décide, en 1941, d’adapter le roman « Goupi Mains Rouges ». Comme il l’avait déjà fait sur « L’assassinat du Père Noël », Pierre Véry participe lui-même à l’écriture du scénario et des dialogues du film, qui sera un important succès public.
« Les affaires de Goupi se règlent entre Goupi »
« Goupi Mains rouges » est un film à tout points de vue étonnant. Tout d’abord, de par son sujet : les chroniques rurales des années 30 et 40 sont rares au cinéma et il s’agit donc là d’un témoignage précieux. Mais plus encore, le film étonne par son traitement : il commence ainsi comme une comédie (à l’image de la blague de potache que Mains Rouges et Tonkin réservent à Monsieur en guise d’accueil) avant de glisser progressivement vers l’intrigue policière (avec la mort de Tisane) et le drame. Certes, la tonalité du film reste légère, réservant ça et là quelques moments particulièrement amusants (l’enfermement de Monsieur dans la grange, le front des Goupi face à la maréchaussée venue enquêter sur la mort de Tisane) ou solaires (les deux amoureux qui contemplent la prairie). Il n’en demeure pas moins que le film est entrecoupé de vrais moments dramatiques (la fuite fatale de Tonkin dans l’arbre). Mais plus encore, on s’étonne de la liberté de ton affichée par le film alors même qu’il est tourné et produit en pleine période d’occupation. En effet, Becker et Véry usent à merveille d’un second degré assumé pour dresser le portrait peu reluisant de cette famille de paysans isolés, repliés sur eux-mêmes, et semblant davantage liés par le même appât du gain que par les sentiments (personne ne pleure ainsi la défunte Tisane, pas même son mari). D’ailleurs, à l’exception des jeunes amoureux et du pragmatique Mains Rouges, les Goupi apparaissent comme des personnages peu sympathiques (Tisane qui bât son commis simplet). Et que dire de leur façon de rejeter en bloc l’incursion des gendarmes dans les affaires de famille ? Une gentille amoralité qui va clairement à l’encontre de la devise vichyssoise « Travail, Famille, Patrie ». Difficile donc de comprendre la présence au générique du très collaborateur Robert Le Vigan, qui livre pourtant une prestation de haut vol, à peine éclipsée par celle, magistrale, de Fernand Ledoux.
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