Robocop - 1988 (Le "Jésus" américain)

Par Olivier Walmacq

Genre : science-fiction, action (interdit aux - 12 ans)
Année : 1988
Durée : 1h42

L'histoire : A l'aube de l'an 2000, Detroit est la proie du crime et de la corruption. Pour pallier ce terrible état, les services de police inventent une nouvelle arme infaillible, Robocop, mi-homme, mi-robot, policier électronique de chair et d'acier qui a pour mission de sauvegarder la tranquillité de la ville. Mais ce cyborg a aussi une âme

La critique :

Cinéaste néerlandais, Paul Verhoeven signe son premier succès en 1973 avec l'excellent Turkish Délices. Le réalisateur devient alors le roi de la provocation et de la polémique, statut qu'il confirme avec Le Choix du destin en 1977. Dans les années 1980, Paul Verhoeven décide de s'expatrier aux Etats-Unis. Une fois chez l'Oncle Sam, il confirme son goût pour l'irrévérence, notamment à travers des thrillers sulfureux, Basic Instinct (1992) et le très médiocre Showgirls (1995).
Au milieu des années 1980, la firme Orion Pictures lui propose un script au titre étrange et amphigourique. Son nom ? Robocop. Ou l'histoire d'un policier de Detroit qui se transforme en robot. Dans un premier temps, Paul Verhoeven répudie le scénario qu'il juge grostesque et ridicule.

Puis, le cinéaste décèle dans cette histoire plusieurs sujets et mythes captivants. A travers Robocop, sorti en 1988, Paul Verhoeven y voit aussi l'opportunité de dénoncer la société américaine et un capitalisme à la fois hégémonique et "reaganien". L'idée du film vient d'Eward Neumeier qui a activement participé au tournage de Blade Runner (Ridley Scott, 1982), dans lequel il était aussi question d'androïdes qui se fondent dans notre société humaine.
Le projet est proposé à plusieurs réalisateurs de renom : David Cronenberg et Jonathan Kaplan, qui rejettent poliment l'invitation. Parallèlement, Paul Verhoeven sort du tournage de La Chair et le Sang, un film épique d'une violence inouïe. Passionné par les thèmes de la religion et de sa parfaite antithèse (donc le mal), Paul Verhoeven veut transformer son cyborg en "Jésus" américain.

Certes, l'idée peut paraître loufoque et extravagante. Mais le cinéaste considère le personnage de Robocop comme le digne épigone de Maria, la femme métallique et mécanique du superbe Metropolis (Fritz Lang, 1927). L'être humain serait-il destiné à se transfigurer en machine ? L'avenir du capitalisme est-il de nous transformer en marionnettes indolentes et appâtées par la technologie ?
Autant de questions qui taraudent Paul Verhoeven. La distribution du film réunit Peter Weller, Nancy Allen, Dan O'Herlihy, Ronny Cox, Kurtwood Smith, Miguel Ferrer et Ray Wise. Pour le rôle de Murphy (aka Robocop), plusieurs acteurs seront envisagés : Rutger Hauer, Michael Ironside et Tom Berenger sont invités à effectuer plusieurs batteries d'essais. Hélas, leur physique ne s'adapte guère au costume conçu par Rob Bottin.

Paul Verhoeven fait alors appel à Peter Weller. L'acteur l'ignore encore. Il vient d'accepter le rôle de sa carrière cinématographique. Pourtant, ce dernier va connaître un tournage houleux et difficile. Il perd plus de dix kilos pour endosser l'armure. Il ne parvient pas non plus à se mouvoir dans ce costume corseté. De surcroît, Paul Verhoeven se fâche avec Rob Bottin, le concepteur des effets spéciaux.
Le réalisateur dépasse le délai et le budget impartis. Les producteurs fulminent. Le tournage de Robocop devient un véritable cauchemar pour le cinéaste. D'autant plus que le film est attendu par la presse... Robocop doit devenir le digne successeur de Terminator (James Cameron, 1984), un autre film de science-fiction (et de robots), sorti quelques années plus tôt. Heureusement, le long-métrage obtient un immense succès dans les salles.

Le public exulte et certains fans parlent déjà du phénomène "Robocop". Plusieurs suites, un remake, une série télévisée, un dessin animé et des produits dérivés seront réalisés dans la foulée ou plusieurs années après. Paul Verhoeven vient d'inventer un nouveau parangon du héros américain, Alex J. Murphy, alias Robocop. Hélas, ce dernier est condamné à appliquer une justice inique et expéditive dans une Amérique déboussolée. Attention, SPOILERS ! Abattu sauvagement durant l’exercice de ses fonctions, l’officier Alex Murphy est, dans un futur proche, réanimé en un cyborg mi-homme mi-machine, appareil vivant destiné à endiguer le crime dans la ville de Detroit alors qu’on s’apprête à reconstruire celle-ci entièrement à destination de ses cadres de l’industrie de l’armement.
La police perd le contrôle du robot quand ce dernier, assailli de souvenirs, part enquêter sur sa propre mise à mort.

Certes, en apparence, le scénario de Robocop peut paraître simpliste et laconique. Pourtant, à travers l'histoire de ce policier probe et transmuté en cyborg, Paul Verhoeven signe une véritable diatribe contre un système capitaliste noyé par la corruption. Désormais, la police et la sécurité appartiennent à une société privée, l'OCP, un cartel militaire aux mains de dirigeants fallacieux et autocratiques.
Autrement dit, l'univers de Robocop ressemble étrangement à notre société consumériste, à la fois gangrénée par le crime et l'appât du gain. Les prolétaires se divisent désormais en deux catégories de citoyens : ceux qui tentent de survivre dans cette société en décrépitude et ceux qui se sont fourvoyés dans la drogue et la criminalité. Par conséquent, Robocop est conçu comme un produit sous garantie, surtout comme celui qui doit appliquer les moralines et les vulgates de l'OCP : lutter contre le crime et protéger l'innocent.

Ce n'est pas un hasard si l'action du film se déroule dans la ville de Detroit, une cité en déshérence et en proie à la paupérisation. Comme un symbole. Robocop doit affronter un autre ennemi robotique : ED 2009, une machine de guerre qui applique une justice aveugle. Sur ce dernier point, Paul Verhoeven fustige, vilipende et se gausse de ce système néo-conservateur, ultra libéral et mercantile.
En parfait justicier de la loi, Robocop va même se retourner contre ses propres créateurs. C'est le retour du mythe de Frankenstein. Lui aussi démembré et sauvagement atrophié par ses propres démiurges, le cyborg se regimbe contre cette logique irréfragable. C'est le thème principal du film : la résurrection. Paul Verhoeven multiplie les symboles christiques et transforme son androïde en "Jésus" américain.

La mort atroce de Murphy se déroule sous les balles, les effusions sanguinaires et presque dans la crucifixion. Pas de résurrection sans sacrifice charnel ni spirituel, semble nous dire Paul Verhoeven, très inspiré pour l'occasion. Dans Robocop, la question identitaire est toujours en filigrane. D'un vulgaire produit fabriqué par l'OCP, Robocop affirme peu à peu son humanité.
Il est et il reste toujours Alex J. Murphy, ce policier et père de famille abattu froidement par quelques mercenaires psychopathes. De retour chez lui, il découvre une demeure en déshérence. Son passé humain ressurgit. "Murphy, c'est vous" claironne Anne Lewis, son équipière. Au détour de plusieurs séquences jubilatoires, Paul Verhoeven s'ébaudit de ses divers protagonistes.
Clairement, le cinéaste réalise une parodie science-fictionnelle à l'humour noir, licencieux et égrillard. Paul Verhoeven affectionne tout particulièrement les prothèses et les effusions sanguinaires. Ainsi, chaque mort se déroule dans les déflagrations et l'indifférence générale. Paul Verhoeven signe un long-métrage totalement désinvolte. Les épisodes suivants, remake y compris, ne retrouveront jamais la force, la fougue, l'humour ni la complexité de ce premier chapitre.
Bref, Robocop version 1988 a bien mérité son statut de film culte et de classique du cinéma. 

Note : 18.5/20

 Alice In Oliver