Deux histoires en une

Par William Potillion @scenarmag

Les scénarios racontent très souvent deux histoires :
– une histoire extérieure toute consacrée à l’objectif du protagoniste. On y fait souvent référence comme à un voyage extérieur. C’est en effet la trajectoire du personnage sur un plan physique dans l’histoire.
– une histoire intérieure qui se développe sur le plan émotionnel. Dramatica la désigne comme une Relationship Story car elle est menée par le besoin que manifeste le personnage. Ce besoin est l’expression de la problématique liée à votre personnage. On la considère comme le cœur de l’histoire ou comme un voyage intérieur, un parcours émotionnel que va suivre le personnage au cours de son aventure.
Notre préférence va bien entendu vers ce schéma où le protagoniste devra d’abord résoudre son problème personnnel avant de pouvoir solutionner le problème extérieur soulevé par l’histoire. Bien sûr, ce voyage intérieur, tout basé sur les émotions, ne figure pas dans toutes les histoires. Dans les histoires de pure action ou bien dans les films d’horreur de la série B, il n’y a pas de passé qui vient perturber le comportement des personnages, pas de failles dans les personnalités qui doivent être corrigées et pas de besoin à satisfaire pour des personnages en manque de quelque chose.
Par contre, si vous ressentez la nécessité de créer une histoire intérieure pour vos personnages, vous pourriez la dénicher du côté de la relation la plus importante de l’histoire qui selon Dramatica est la relation qui unit le personnage principal à un Influence Character c’est-à-dire un personnage qui a le pouvoir de fortement influencer votre personnage principal ou votre protagoniste (ils sont en fait souvent confondus, c’est à ce moment-là qu’on peut parler de lui comme le héros de l’histoire – un héros qui n’est pas obligatoirement un héros mythique, bien entendu).

Si votre histoire ne contient pas une relation aussi spécifique que celle que nous venons de décrire, cherchez alors dans toutes les relations possibles que votre protagoniste pourrait se créer au cours de son aventure. Par exemple, dans Retour vers le futur, le besoin de Marty (qui vu d’en-haut est comme un second objectif) est que son père et sa mère se remettent ensemble comme une famille unie et aimante.

Si votre histoire ne recèle pas une telle relation, vous pourriez vous pencher alors sur l’arc dramatique de votre personnage. En effet, il est tout à fait normal que votre personnage évolue entre le début et la fin de votre histoire. S’il évolue, c’est que quelque chose change dans sa personnalité. Même 007 depuis Daniel Craig vit dorénavant un voyage intérieur. Et avant Daniel Craig, James Bond qui n’avait pas besoin d’évoluer puisqu’il était parfait (c’était d’ailleurs lassant, à la longue) parvenait à faire changer un autre personnage.

Chacun de ces voyages (une trajectoire physique toute orientée vers le but, la mission conférée au héros et l’évolution intérieure, le changement majeur dans la personnalité du héros) possède sa propre structure et ses propres nœuds dramatiques. Considérez le nœud dramatique comme un changement de direction irréversible de l’histoire ou du personnage.
D’un point de vue pratique, vous aurez une intrigue principale et une intrigue secondaire. Ces deux intrigues cependant se répondent mutuellement. Comme nous l’avons mentionnée précédemment, il est presque obligatoire que le héros résolve sa problématique personnelle avant d’espérer s’en sortir lors du climax (chargé d’apporter une réponse au problème de l’histoire).

Dans Jumeaux d’Ivan Reitman, toute l’action extérieure est menée par les 5 millions de dollars, c’est l’objectif de Julius. C’est cette action qui capte notre intérêt.
Cependant, le besoin de Julius est d’avoir une famille. C’est cette aspect émotionnel du personnage qui nous touche le plus. C’est sur cette facette intime que nous pouvons reporter notre empathie. Le voyage émotionnel du héros est en fin de compte ce dont parle exactement l’histoire. C’est ainsi que la relation aux autres devient d’une importance capitale dans les histoires.

La trajectoire émotionnelle du protagoniste n’aura cependant aucune valeur en elle-même si elle n’est pas soutenue par un objectif puissant c’est-à-dire un objectif avec des enjeux importants.
Dans A la poursuite du diamant vert de Diane Thomas, Joan Wilder a un objectif dont l’enjeu est crucial puisqu’il y va de la survie de sa sœur. Elle est parfaitement consciente de cet objectif clairement exprimé. De plus, celui-ci est contrecarré à la fois par le Colonel Zolo, les kidnappers qui détiennent sa sœur et même Jack Colton qui veut le diamant pour s’acheter un bateau et faire le tour du monde.
Ainsi la vie de sa sœur est un enjeu fort qui rend légitime et crédible et passionnant l’objectif de Joan.

Quel est le besoin de Joan Wilder ? C’est une romancière qui vit ses fantasmes à travers ses romans. Et c’est là que se situe son point faible. Ce qu’elle a besoin, c’est de vivre une véritable romance comme celle qu’elle a maintes fois dépeintes dans ses propres histoires mais sans que jamais l’une d’entre elles n’ait été vécue.
En s’engageant dans cette aventure avec Jack Colton, elle comblera ce besoin en s’acharnant sur sa mission et en surmontant cette problématique personnelle de vivre par personne interposée.
Ainsi le diamant vert illustre le voyage extérieur tandis que cette romance est le voyage intérieur que décrit son arc dramatique. Cette romance qu’elle vit personnellement lui permet enfin d’être l’être complet tant rêvé, de  s’accomplir pleinement.
Alors que cette évolution de Joan est le véritable sujet de cette histoire, celui-ci n’aurait pu être exprimé sans qu’un objectif spécifique et clairement défini (récupérer le diamant vert) ne l’embarque avec lui. L’objectif extérieur est ainsi l’assise nécessaire pour que le voyage intérieur puisse s’accomplir.
Si l’on prend un peu de recul, on peut constater que Joan souffre d’une psychose puisqu’elle construit son expérience à partir de celle d’un autre (ses propres personnages de fiction) et que cette psychose ressemble à une schizophrénie car elle trouve refuge dans un monde intérieur imaginaire. Son arc dramatique illustrera donc comment Joan réussira à se soigner.

Dans le célèbre Sixième Sens, nous avons deux personnages :
Malcolm Crowe et Cole.
Cole est le protagoniste de cette histoire ; quant à Malcolm Crowe, il en est le personnage principal car c’est vers lui que doit s’orienter l’empathie du public.
Malcolm et Cole ont tous deux une trajectoire interne à accomplir. Ils doivent compléter leur développement psychique pour s’accomplir pleinement en tant qu’individu.
Malcolm veut certes aider Cole mais il doit aussi et peut-être surtout accepter la séparation d’avec sa femme. Au moment où nous découvrons Malcolm, c’est ce passé de Malcolm qui nous est présenté. Comme les autres morts de cette histoire, il ne voit seulement que ce qu’il veut voir. Pourtant, il parvient à aider Cole donc à réussir son objectif extérieur mais il rencontre aussi son besoin interne de communiquer avec sa femme et enfin d’ouvrir les yeux sur la vérité (occultée tout au long de l’histoire).
L’objectif de Cole est ne de plus se sentir effrayé par les fantômes parfois aggressifs. Mais son véritable besoin est de pouvoir communiquer avec eux et avec sa mère. Et c’est cela la faiblesse de Cole : il ne peut partager son secret avec sa mère de peur que celle-ci ne le considère comme un monstre. Vous noterez que le problème de Cole ne prend pas sa source dans son passé contrairement à Malcolm. Il est aussi intéressant de noter que c’est en satisfaisant son besoin de communiquer avec les morts qu’il parvient à réussir son objectif extérieur et de ne plus avoir peur d’eux.