Toy story : la sequence, unite structurelle (1)

Si le script de Toy Story n’avait pas été aussi bon, il est absolument certain que l’exploit des Computer Generated Graphics (CGI) serait passé inaperçu. Analysons en séquence Toy Story et en particulier dans cet article la séquence A.
Dans le cadre d’un essai sur la structure, nous pouvons aller au-delà des trois actes et penser Toy Story selon le paradigme des 8 séquences. Evidemment, la force des personnages et du thème est aussi pour beaucoup dans le succès de ce scénario.

A lire :
LE PRINCIPE DES 8 SEQUENCES
POURQUOI DES SEQUENCES ?
SEQUENCE ET SCENE

Prologue et Séquence A

Le prologue (ou Opening Image) et la séquence A sont tous deux consacrés à l’exposition des personnages et à la mise en place des aspects plutôts banals du monde de cette fiction, c’est-à-dire ce à quoi ressemble le quotidien des personnages avant que tout soit bouleversé.

L’immersion dans le monde de la fiction
La plupart des histoires situent leurs prologues à l’extérieur. L’idée est que l’immersion du lecteur dans cet univers fictionnel commence par lui permettre de s’orienter dans ce monde fictif. Un extérieur aide à donner immédiatement des réponses sur les lieux de l’action (sommairement, le prologue indique parfois à gros traits là où l’histoire va se dérouler).
Montrer les extérieurs d’une histoire, c’est comme si vous proposiez une rampe pour permettre à votre lecteur de se tenir pendant son transfert dans votre histoire. S’il ne parvient pas à s’immerger dans celle-ci, votre lecteur n’accrochera pas du tout à ce que vous voulez lui raconter et il refermera vite le script ne voulant pas être frustré par une histoire dont il soupçonne qu’elle va le decevoir.
Décrire les extérieurs dès les premières pages permet de rassurer le lecteur.

Toy Story s’ouvre avec un intérieur. Est-ce une faute ? Non, car cet intérieur est en fait un extérieur travesti : c’est ce que nous disent les nuages boursouflés du papier peint de la chambre de Andy.
Cette séquence A tout comme un Acte Un n’est pas l’intrigue. On ne démarre pas l’histoire au début de celle-ci. Il y a d’abord une phase de découverte et d’exposition des personnages.
Toy Story utilise un ressort bien naturel : la curiosité que l’on éprouve tous lorsqu’on est amené à découvrir quelque chose pour la première fois. Nous pénétrons dans l’univers de Toy Story en plein milieu ou à la fin d’un jeu imaginaire impliquant tous les jouets.
Une tension dramatique est présente dans ce jeu puisque Monsieur Patate a pris en otage d’autres jouets. Mais nous n’avons pas encore fait connaissance avec les personnages. Nous n’avons pas encore mis en place un lien d’empathie avec n’importe lequel d’entre eux donc, nous restons somme toute assez indifférents à ce qui se passe pour le moment dans l’histoire.

Pourtant, il faut qu’il y ait une dramatisation des événements pour que le lecteur accroche à l’histoire. Malheureusement, beaucoup d’auteurs contournent cet écueil en faisant usage de lignes de dialogue destinées à exposer les personnages ou leurs biographies, tentant de relier les situations actuelles au passé des personnages, en insufflant dès l’acte Un du conflit pour tenter de dessiner à gros traits les contours des personnalités présentes dans l’histoire pour expliquer les raisons de leurs comportements au cours de l’intrigue (c’est-à-dire l’acte Deux). Donc l’auteur brûle les étapes, autrement dit il condamne son script à être refermé prématurément.

L’Opening Image, ce prologue de Toy Story est très malin parce qu’il parvient à dramatiser la situation en créant chez son lecteur un questionnement. Il pose une énigme : Où sommes-nous exactement ? Qui joue à ce jeu ? Et pourquoi ?
La recette est simple : si vous voulez intéresser un lecteur, faites-le se poser des questions dès le départ. Excitez sa curiosité !
Lorsque la curiosité de votre lecteur vous sera acquise, lorsque vous l’aurez accroché en suscitant chez lui une curiosité bien naturelle (vous ne forcez absolument rien), vous n’avez plus qu’à commencer votre histoire.

La séquence A commence alors en répondant à quelques questions. Elle tient sa fonction d’exposition des personnages non seulement par l’escapade des jouets à travers les pièces de la maison mais en insistant aussi sur la relation qui unit Woody à Andy et sa position sociale parmi les jouets.
Si l’on se réfère à Dramatica, la séquence A devrait décrire trois types de relations pour que l’exposition fonctionne, pour qu’on ait une idée de qui est qui, qui fait quoi, qui aime qui, qui est subordonné à…
C’est-à-dire tout ce qui permet d’établir clairement les personnages que nous avons devant nous et qui se passe en temps réel comme si nous les rencontrions pour la première fois dans la vie réelle. C’est donc davantage à notre intuition, à nos expériences de vie auxquelles s’adresse l’exposition à travers cette séquence A.
Les relations structurelles ou fonctionnelles ou encore archétypales comme celles du protagoniste et de l’antagoniste sont décrites dans cette séquence A de Toy Story. On sait qui est le héros et qui est le méchant de l’histoire.
Les relations émotionnelles c’est-à-dire ce que pense les personnages les uns des autres. La révélation la plus importante de cette séquence A est bien sûr la relation qui unit sur un plan émotionnel Woody et Andy.
Le dernier type de relations que met en avant Dramatica au cours de l’exposition (notez que toutes ces relations évoluent au fil de l’histoire) est la relation situationnelle des personnages c’est-à-dire qui aime qui, les éventuelles relations de subordination, qui n’apprécie guère qui…
Concernant Toy Story, ces relations sociales sont légèrement appréhendées au cours de l’exposition.

Il existe une technique narrative que les scénaristes outre-atlantiques dénomment telegraphing. Cette astuce narrative indique ce qui se passera dans le futur que ce soit par les dialogues ou par des scènes spécifiques. Vous pouvez utiliser cette technique pour créer une attente vers des événements attendus ou bien pour prendre à contrepied votre lecteur.
L’origine de cette expression est liée à l’idée qu’en quelque sorte vous télégraphiez vos intentions à vos lecteurs. Mais attention : lorsque vous décidez de télégraphier une information sur la suite possible de l’histoire, vous le faites intentionnellement. Si votre histoire devient trop prévisible, vous ne télégraphiez pas. Lorsque vous révélez certains événements futurs qui devraient obliquer votre histoire dans une direction, vous n’êtes nullement obligé de confirmer cette prédiction. C’est en cela que le telegraphing est un outil dramatique puissant. Vous gardez toujours le contrôle sur les informations que vous divulguez.

Dans cette séquence A, Toy Story utilise le telegraphing avec à la fois la banderole Joyeux Anniversaire, Andy et les lignes de dialogue concernant un déménagement imminent. Ainsi, l’attention du public se reporte vers une anticipation du futur. Cela a aussi l’avantage de créer une sorte d’urgence, un événement butoir (deadline chez les anglo-saxons) dans l’histoire. Le telegraphing est une astuce très pratique pour mettre en place un compte à rebours qui ajoute toujours de la tension dramatique.

La séquence A nous présente le monde ordinaire, le quotidien des jouets puis la magie commence lorsque Woody s’agitant sur le lit commence son speech tout chargé d’émotions. On nous apprend alors que les anniveraires et les noëls sont une expérience traumatisante pour tous les jouets qui sont à chaque fois sous la menace d’être remplacés et mis au rebut.
Le script en profite pour rajouter du telegraphing lorsque Woody rappelle aux autres qu’ils n’ont qu’une semaine avant le déménagement. La raison de ce discours très démagogue est d’instaurer un objectif (certes bancale) que personne ne sera remplacé.

En considérant le principe des séquences, celle-ci se structure elle-même en trois actes.

A lire :
LE PRINCIPE DES 8 SEQUENCES

La fin du premier acte de la séquence A peut être considéré au moment où Woody s’aperçoit que son discours n’a nullement rassuré les autres jouets. Ils sont toujours terrifiés. En conséquence, Woody accepte d’appeler les troupes si cela peut permettre de calmer tout le monde.
Il est clairement défini aussi que le protagoniste de cette séquence est Woody car non seulement il est le personnage avec lequel nous passons le plus de temps et il est aussi celui qui décide de prendre en charge son propre problème, de réunir les jouets et de convoquer les troupes. En un mot, c’est lui qui prend les décisions, qui fait l’action.
Son objectif pour cette séquence (différent de l’objectif global de l’histoire qui consiste en ce qu’aucun jouet ne soit mis au rebut) est de rassurer ses amis.
Nous avons donc une tension dramatique qui s’est installée et qui va courir jusqu’à la fin de la séquence A dès que la question dramatique est posée et que le lecteur en prend conscience, c’est-à-dire :
Est-ce que Woody réussira à ramener le calme parmi les jouets ?

Marquons une pause sur la notion d’exposition, un élément dramatique indispensable de toutes les histoires. L’exposition consiste à délivrer des informations sur les personnages et le contexte afin de permettre à un lecteur de s’immerger non seulement plus facilement dans le monde mais surtout pour lui permettre de s’impliquer émotionnellement dans l’histoire. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’expression qu’un lecteur doit participer à une histoire. Il n’y participe pas physiquement bien entendu mais avec ses émotions, son ressenti ou l’empathie qu’il octroie au personnage principal.
Un auteur doit réussir à faire parvenir cette information un peu à l’insu du lecteur sinon celui-ci risque de s’en rendre compte au risque de ruiner toutes les chances de l’histoire. Deux techniques narratives sont alors employées pour révéler des informations sans que le public comprenne que ce n’est que de l’exposition.
Une scène de conflit ou bien si un conflit n’est pas possible, une énigme afin de soulever des questions qui sont ensuite résolues par un personnage qui profite pour y glisser toutes les informations nécessaires à la compréhension des personnages ou de l’histoire, voire à préparer l’intrigue si celle-ci s’avère très complexe.
Toy Story fait appel aux deux méthodes : le conflit et l’énigme (à considérer comme une question en suspens, en fait). Lorsque Woody dit à Zigzag qu’il y a des problèmes mais sans donner de raisons, il pose une énigme, un questionnement se fait jour dans l’esprit du lecteur. Quand il explique les raisons, il les exprime à travers un discours destiné à rassurer les jouets qu’aucun ne sera remplacé et dans le même mouvement, il délivre l’information que cela se produit à chaque anniversaire et à chaque noël.
En fait, tant que le dialogue en charge d’exposer a un message sous-jacent, une action sous-jacente tel qu’une réponse à une agression, se défendre, de persuader ou de séduire, de rassurer par exemple, le public ne remarquera pas que vous lui donnez des informations qui si elles avaient été délivrées d’une manière plus brutale auraient pointé de l’ennui chez lui. Le public n’assiste pas à un journal télévisé mais écoute une histoire et il veut être diverti pas assomé avec une tonne d’informations pour qu’il comprenne ce qu’il se passe.

Chaque séquence possède une question dramatique qui lui est singulière et ne génère pas la tension principale de l’histoire. Elle n’induit pas les enjeux ou des actions ou de l’émotion aussi fortes que celles que véhicule l’histoire lorsqu’on la considère dans son ensemble (une histoire est un tout différent de ses parties).
Par contre, cette question dramatique spécifique à une séquence lui permet de créer la tension qui lie ensemble tous les événements et autres éléments dramatiques particuliers à la séquence.
Dans Toy Story, la question dramatique de savoir si Woody parviendra à rassurer les autres jouets est à la source du conflit qui prend place au moment de la réunion. Cette question dramatique rend légitime l’appel aux troupes et elle génère même encore plus de conflits lorsque Woody tombe du lit.
De plus, les arguments qu’utilise Woody pour son discours (sa tentative maladroite pour rassurer les jouets) en leur affirmant qu’ils ne seront pas remplacés et que ce qui compte est ce que Andy veut et pas ce que les jouets veulent s’ajoutent à la tension générale de l’histoire et à l’impasse dans laquelle Woody se retrouve et qui perdurera dans les autres séquences.
Cette situation qui se referme sur Woody prépare aussi le terrain pour une exploration du thème, à savoir l’amour et à quel point on le désire.

Lorsque les troupes se mettent en marche, la tension monte un peu se concentrant sur l’objectif de la troupe : espionner la fête qui se déroule au rez-de-chaussée. Qui dit objectif prévoit obstacle. Les troupes ne doivent pas être découvertes.
C’est ainsi que l’on nous révèle une information cruciale sur l’univers de Toy Story : les jouets ont une vie secrète inconnue des adultes et prétendent seulement être des objets inanimés. Cette règle s’applique à toute l’histoire ce qui crée une ironie dramatique parce que le lecteur est le dépositaire d’une information que les personnages humains ne savent pas.

Après une tribulation jouant encore sur l’ironie dramatique (Rex interrompant la communication alors que les troupes l’ignorent), Andy entre dans la chambre et dépose le mystérieux cadeau sur le lit avant de rejoindre ses amis, ce qui amène la fin de la séquence A.

La tension dans la séquence initiée par la question dramatique est résolue lorsque Woody parvient à calmer les jouets d’une manière positive quand le dernier jouet s’avère être un jeu vidéo sans danger pour les autres jouets. Les jouets sont heureux et Woody est leur leader.

Mais maman a encore une surprise et celle-ci va renverser l’humeur joyeuse des jouets et mettre un terme brutal à la séquence A.
La question dramatique s’avère en fin de compte plutôt discutable quant à sa résolution mi-figue mi-raisin et surtout un mystérieux jouet a pris la place de Woody sur le lit.

La nature et les règles du monde de Toy Story sont clairement exposées et avec originalité. Les principaux personnages et les relations qui les unit sont clairement exposées. Les inquiétudes, les aspirations et les retournements de situation sont captivants.
Tout ceci aide à faire de Toy Story une histoire à part et explique en partie son succès.

Faisons une autre aparté sur les scènes de préparation. Nous avons déjà évoqué ce sujet.

A lire :
LE GRAND HUIT DE LA TENSION
RIEN NE SE PERD : LES REPERCUSSIONS

Une scène de préparation est un outil dramatique qui participe à l’expérience du lecteur. C’est une scène spécifiquement construite pour créer une attente chez le lecteur. Il s’agit généralement d’une espérance ou bien d’une peur, d’un effroi annoncé.

Par la suite, soit ce qui est attendu se produit effectivement, c’est un soulagement, une forme de catharsis pour le lecteur ; soit rien ne se produit ou alors un renversement de situation a lieu alors qu’on attendait l’inverse de ce qui se passe.

Aristote disait que si l’on retire une scène et que l’histoire tient toujours debout, c’est que cette scène était inutile. C’est le cas effectivement pour les scènes de préparation. Vous pouvez les omettre sans que votre intrigue en souffre. Cependant, elles offrent une réelle amélioration de l’impact émotionnel de l’histoire.
Par exemple, dans une ligne de dialogue, vous avez mentionné une pause. Cette pause est aussi un élément dramatique qui est une des formes que peut prendre une préparation. Un événement est attendu (l’arrivée d’un personnage, par exemple) ou une révélation va avoir lieu et vous placez le lecteur dans l’attente de cet événement ou de cette révélation, simplement en ayant indiqué une pause dans le dialogue d’un personnage. Cet effet que l’on désigne par retard construit de l’anticipation dans l’esprit du lecteur.

Nous avons un exemple d’un tel retard dans Toy Story. Alors que les jouets sont persuadés que le dernier cadeau a été ouvert et qu’aucun des nouveaux jouets remplacera les anciens, les jouets sont joyeux et célèbrent l’événement. Alors que nous accompagnons les jouets par empathie (nous sommes contents pour eux), Maman apporte le cadeau surprise et l’espoir est remplacé par la peur.

Entre l’annonce du cadeau surprise et l’introduction de Buzz, il ne se passe qu’une page ou deux. Cela signifie que le décalage, le retard tel que nous venons de le décrire continue sur sa lancée. La consternation des jouets, leur trépidation, le cadeau surprise… Tous ces effets ont pour but de magnifier l’arrivée de Buzz.
Et notez que toutes ces scènes de préparation relatives à l’introduction de Buzz dans l’histoire pourraient être facilement retirées sans que l’intrigue en soit pour autant changée : elle serait exactement la même.

A propos de révélations d’informations sur le monde, les personnages, tout ce que vous voulez… Il n’est pas nécessaire que vos personnages et vos lecteurs apprennent des choses dès qu’elles sont disponibles dans l’histoire. Vous devez être suffisamment intime avec votre histoire pour comprendre quand vous pouvez retenir une information et quand vous pouvez la révéler pour obtenir le plus fort impact.

La séquenc B de Toy Story sera traitée dans un prochain article.