Histoire & personnage

Par William Potillion @scenarmag

Nous rejoignons Syd Field quand il dit qu’une idée d’histoire tient déjà en germe chez un personnage. En créant votre personnage, progressivement vous commencerez à former une histoire.
La création d’un personnage à partir non pas du néant mais du chaos est une expérience. C’est un processus que vous ne cesserez d’expérimenter tant que vous n’aurez pas sorti du brouillard ou de ce magma informe de millions de personnages de roman, d’archétypes millénaires, culturelles et mythiques et de toutes ces personnes bien réelles que vous connaissez directement ou qu’elles soient des personnalités contemporaines ou historiques, ce personnage, celui dont la forme singulière viendra peupler votre histoire.

Il existe au moins deux méthodes selon Syd Field pour créer un personnage. La première est d’avoir une idée d’histoire puis de créer les personnages qui lui correspondent.
Quelques exemples cités par Field :
– Le champion mondial invaincu des poids lourds donne sa chance à un talent local (Rocky),
– Un mercenaire aigri de la Guerre Civile transformé par le mode de vie de ses ennemis (Le Dernier Samouraï).

 La seconde méthode (qui a notre préférence ici à Scenar Mag) est de créer un personnage puis de laisser un besoin, une action et puis en fin de compte toute une histoire émergés de ce personnage.
Field donne pour exemples :
Virginia Woolf dans The Hours de David Hare, d’après le roman de Michael Cunningham,
Władysław Szpilman dans Le pianiste de Ronald Harwood, d’après l’œuvre de Władysław Szpilman,
Sally Hyde dans Le Retour de Robert C. Jones, Waldo Salt d’après un sujet de Nancy Dowd.
Donc créer un personnage et vous créerez une histoire.

Le principe est de répondre  à certaines interrogations et d’amalgamer toutes les réponses pour former un personnage. A partir de celui-ci, une prémisse apparaît. Il est rare en effet d’avoir une histoire clef en main avec un personnage mais celui-ci cependant porte en lui les germes de son histoire.
Evidemment, ce n’est pas universelle comme approche mais cela a l’avantage d’être une méthode possible pour inventer une histoire : travailler à partir de l’histoire d’un personnage (sans que cela aboutisse obligatoirement à une sorte de biographie).

Ces interrogations recouvrent des points qui vont du contexte au contenu.

  • Homme ou Femme ?
  • Où vit ce personnage ?
  • Quel est son âge ?
    Il est probable que votre subjectivité influe sur ce critère. On ne crée pas à partir du néant mais du chaos. Votre intuition a déjà meublé votre muse avec du matériel. Vous connaissez intuitivement l’âge approximatif de ce personnage à naître.
  • Quel est son nom ?
    En donnant un nom à ce personnage, vous allez pouvoir le considérer  comme un sujet et non plus comme un objet.
  • Qui sont ses parents ?
    Maintenant, vous travaillerez sur les biographies respectives du père et de la mère de votre personnage. Vous pourrez ainsi induire de cette filiation des informations sur le statut social de votre personnage, de son éducation, de ses convictions politiques, de ses croyances. C’est aussi à partir du père et de la mère que vous fixerez un contexte historique pour votre personnage, que vous déterminerez à quelle époque il vit en décidant du jour de sa naissance. En étudiant le passé des parents, vous pourriez aussi décider si cet enfant qui sera votre personnage était désiré ou non. Beaucoup de réponses sont possibles concernant la personnalité de votre personnage en façonnant certains traits de caractère à partir du père et de la mère, de la relation qu’il y avait entre eux et surtout avec leur enfant. Le rapport au père et à la mère peut déterminer un type de comportement que votre personnage aura au moment de votre histoire avec les autres personnages de celle-ci, hommes ou femmes.
  • Votre personnage a-t-il des frères, des sœurs ?
  • Comment s’est passé l’enfance de votre personnage ?

Vous pouvez noter toutes les réponses qui vous viennent à l’esprit, cependant, il vous faudra n’en choisir qu’une. Plus précisément, vous devrez choisir parmi toutes vos réponses possibles, celle qui illustre des conflits potentiels, des conflits ouverts mais aussi des conflits internes. De l’enfance de votre personnage, il pourrait rester des traces d’une blessure qui explique son comportement actuel.
Ce que vous faites en répondant à ces questions préliminaires est de forger une personnalité, de trouver les origines de comportements et d’attitudes. Vous pourriez établir dès maintenant la source de phobies ou d’un sentiment de culpabilité qui étreint votre personnage (ce sentiment est d’ailleurs souvent utilisé dans la fabrication d’un personnage).

Comme dans la vie réelle, vous pouvez tenir compte que les hommes et les femmes sont préoccupés par les figures du père et de la mère tout au long de leur vie. Cela peut être intéressant à utiliser comme fondation d’un personnage. N’oubliez pas que nous n’avons pas encore à ce stade la moindre prémisse d’une histoire. On peut donc passer un peu de temps sur ces aspects psychologiques et voir si en fin de compte, il serait possible de les utiliser à notre avantage.

Nous sommes donc en pleine exploration ce qui va nous permettre en fait d’apporter des nuances à une matière qui est encore un peu trop brute. Il est fort probable que vous allez errer dans toutes les directions. C’est à vous de voir ce qui fonctionne et de rejeter certains choix avec lesquels vous vous sentez mal à l’aise. Votre subjectivité et surtout vos expériences de vie interviennent dans les décisions de conserver des traits et d’en éliminer d’autres.

  • Quel a été le parcours de vie de votre personnage au moment où nous faisons sa connaissance ?
    Vous abordez aussi avec cette question le suivi scolaire et des éléments nouveaux dans la vie de votre personnage au cours des années de scolarité. Vous déterminez alors ce qu’est son activité professionnelle et appuyez aussi sur ses opinions et croyances.

Je le précise à nouveau mais vous devez rechercher tout ce qui vous permettra de créer de la tension dramatique. Le conflit qui la génère est dans l’essence même d’une histoire. Raconter une histoire, c’est raconter du conflit. Alors autant trouver maintenant dans le passé de votre personnage tout le matériel que vous pourrez utiliser pour créer du conflit à la fois extérieur mais aussi sur le plan intime dans le cours actuel de votre histoire.
Et où se trouvent les sources de conflit potentielles ? dans les relations du personnage avec les autres. Dans le cadre familial, il peut être bien de définir une relation conflictuelle avec le père ou la mère. Que vous l’utilisiez ou non pour alimenter votre intrigue est une question de choix et de responsabilité. L’auteur est responsable de son histoire et il doit assumer ses choix.

Les forces à l’œuvre sur la vie d’un personnage

Si vous souhaitez vous faire une idée un peu moins abstraite de la création d’un personnage, considérez les forces qui agissent sur lui et qui le façonne d’une manière ou d’une autre.

Il y a les forces intérieures qui appartiennent en propre au personnage : à travers sa biographie, il est déterminé un besoin, quelque chose de vital pour le personnage qu’il doit absolument réalisé ; son point de vue sur les choses, sur le monde a aussi été forgé par les expériences qu’il a vécues avant que ne débute l’histoire ; ses attitudes ne sont pas le fruit d’un hasard mais de relations de cause à effet, il est devenu ce qu’il est devenu pour des raisons précises ; le changement dans sa personnalité qui devra s’opérer dans le cours de l’histoire s’explique aussi par quelque chose qui s’est produit dans son passé et qui a créé une faille qui doit être comblée d’ici la fin de l’histoire.

Quant aux forces extérieures, elles sont plus terre à terre. Son quotidien est influencé par sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Par exemple, il peut se comporter différemment lorsqu’il est avec ses collègues de travail et lorsqu’il est en famille. Il pourrait ne plus être la même personne et prendre des décisions en fonction des situations dans lesquelles il se trouve. Ces décisions seraient motivés non pas par choix personnel mais parce que les circonstances l’obligent à prendre de telles décisions. C’est comme s’il n’avait pas le choix en fait.
Sur le plan privé (qui met en jeu des choses différentes des forces qui travaillent en interne chez le personnage), il pourrait pratiquer des hobbies ou aimer la lecture ou la solitude. C’est-à-dire des choses qu’il ne partage pas avec les autres. Le besoin de solitude n’est pas considérer comme une force qui le pousse intérieurement à adopter une attitude particulière, il aime simplement se retrouver seul de temps en temps.

Parmi les forces extérieures, il y en a une aussi qui influe grandement sur le comportement du personnage et ses décisions : c’est le contexte historique. Si vous situez votre personnage à une époque troublée (guerre, changement politique majeur, troubles sociaux divers, une culture ou  une société spécifiques), ces événements extérieurs et sur lesquels le personnage n’a pas prise peuvent orienter l’histoire c’est-à-dire emmener votre personnage vers une destinée particulière terraformée en quelque sorte par ces événements extérieurs et historiques (même si ces événements n’existent que pour les besoins de votre histoire).

Il serait très étonnant que le contexte historique choisi pour votre personnage ne nécessite pas certaines recherches de votre part. Vous ne savez pas encore si vous utiliserez ce matériel dans votre histoire, mais il vous faudra travailler ce contexte pour aider à élaborer éventuellement une prémisse.

Si le parcours de vie de votre personnage au moment où débute l’histoire permet d’établir une activité professionnelle ou un engagement politique ou social, vous devriez rechercher parmi les activités les plus susceptibles de provoquer une tension avec les proches de votre personnage (amis, famille, tensions au travail…).
Vous devriez être aidé dans cette tâche par le fait que vous avez normalement dû répondre à pas mal d’interrogations pour votre personnage à présent. Vous commencez à avoir une idée du type de personne qu’est votre personnage. Vous pouvez aussi changer quelques informations sur sa biographie pour augmenter les risques de conflit que son activité (professionnelle ou autre) ne manquera pas de provoquer.
Gardez à l’esprit que ce que vous devez obtenir, c’est le conflit. Si vous parvenez à trouver quelque chose que les parents de votre personnage vont désapprouver, retenez cette option.

L’action

Maintenant que vous avez dessiné les contours de votre personnage, il est temps de se pencher sur le thème, du moins sur la prémisse dramatique c’est-à-dire qu’il faut trouver quelque chose qui va emmener votre personnage dans une direction particulière et c’est ce qui génèrera ce qu’on appelle communément de l’action. Cette prémisse est le sujet de votre histoire, ce dont elle parle.
Et ce dont elle parle, vous l’exprimerez avec un personnage et de l’action.

Cette fois, il vous faut vraiment lacher la bribe à votre muse. Faites des essais, lancez votre personnage dans une direction et puis recommencez dans une toute autre direction. Votre personnage doit faire quelque chose dans cette histoire, quelque chose qui soit en harmonie avec son profil psychologique. Il doit agir, c’est ce que vous devez comprendre par ce mot action. Et la combinaison du personnage et de l’action donnera votre histoire.

Une approche intéressante pour trouver cette action serait d’imaginer un événement qui va stimuler votre personnage, provoquer chez lui  une réponse dramatique. Cet événement est ce qu’on nomme l’incident déclencheur.
Ce moment particulier de l’histoire est le début de l’action. Tout autour de cet incident déclencheur, on peut considérer que ce que l’on nous donne à voir est de l’exposition c’est-à-dire l’introduction des personnages et du contexte essentiellement.

Ne vous désolez pas si vous ressentez beaucoup de confusion et de contracdictions pendant cette phase de découverte de l’action. Il s’agit d’un processus créatif et c’est tout à fait normal. De plus, n’hésitez pas à forcer le trait ou le destin sur votre personnage. Après  tout, il s’agit du héros d’une fiction (du moins pour votre personnage principal). La mission qui lui est confiée dans cette histoire ne doit pas être quelque chose qu’il lui est facile de réussir. Il doit trouver en lui les réponses possibles et le courage et la force d’aller jusqu’au bout.