Cher Alan Rickman,
Tu ne te souviens certainement pas, mais je t'avais vu, il y a deux ans, lors d'un festival de cinéma en Italie auquel tu avais été invité pour une session de Q&A. C'était dans une très grande salle, remplie à ras bord de jeunes désireux de te parler. De nombreuses mains étaient levées, priant pour qu'on leur tende un micro. Coup de chance, j'avais pu poser la dernière question, que j'avais mûrement préparée en anglais. Elle concernait les différences de méthode des cinéastes avec lesquels tu avais pu tourné. En revoyant ta filmographie sur Wikipédia quelques jours auparavant, je m'étais suis rendu compte de sa variété et de sa richesse. Bien évidemment, la grande majorité des questions ont tourné autour d'Harry Potter (ce qui m'avait un peu agacé d'ailleurs) alors qu'à mes yeux, tu étais surtout celui qui avait débuté sa carrière en incarnant l'un des plus grands méchants de l'histoire du cinéma, dans l'un des plus grands films d'action de tous les temps. Au moment de me lever, je me doutais que ma question était un peu longue, car je voulais évoquer ce grand écart dont tu es capable en opposant la mise en scène de John McTiernan et celle de Patrice Leconte, avec lequel tu venais de faire Une Promesse. Ma voix aiguë, incertaine, tremblante et rapide, n'a alors que mieux contrasté avec la tienne, grave, posée, solennelle et impériale, qui a contribué à ton succès.
Je me souviens que ta réponse avait été très complète, très précise et très lucide. Tu avais affirmé que tu n'aurais sans doute pas pu commencer ta carrière avec Patrice Leconte, parce que sa manière de laisser ses acteurs improviser pouvait être parfois déstabilisante. Tu m'avais aussi fasciné en décrivant le tournage de Die Hard, et le fait que McTiernan informait très peu sur le placement de la caméra. Tu te sentais comme sur une scène de théâtre. Tu avais conclu en me disant qu'un acteur ne devait jamais en savoir trop sur la technique une fois sur le plateau, sans pour autant qu'il soit dépourvu d'informations. Il doit y avoir une forme d'équilibre. Un mot qui dépeint assez bien ta carrière et tes personnages. Quand on pense Alan Rickman, on pense à une certaine élégance, une noblesse un peu froide qui semble te fasciner jusque dans tes réalisations (Les Jardins du Roi, en particulier) et dont Rogue est sans doute le paroxysme. Mais cette retenue cache souvent un passé torturé ou une simple envie de se lâcher. Si Hans Gruber est devenu aussi mythique, c'est parce que tu lui as apporté une évolution magnifique, celle d'un être calme et calculateur perdant petit à petit son sang-froid, jusqu'à méchamment péter les plombs, à l'instar de son ennemi John McClane.
En fait, tu es surtout un acteur qui évoque les contraintes de la vie, un duel entre les devoirs de la société et un bonheur beaucoup personnel. Tu nous as appris à lâcher prise, sur le plan figuré mais aussi propre (merci le Nakatomi Plaza !). Tu nous as appris à reconnaître les moments graves de l'existence mais aussi à apprécier les plus légers, en alternant avec maestria drames et comédies. Car avouons-le, même pour les mecs, Love Actually fait partie de ces feel-good movies qu'on se remate une fois par an aux alentours de Noël, et dont on se lasse jamais. Pareil pour Galaxy Quest. Pareil pour Harry Potter. Et pareil pour Piège de cristal. Tu appartiens à cette catégorie de comédiens qui reste constamment près de son public, et lui rappelle de bons souvenirs de cinéma quand il te croise à la télévision ou sur un DVD. Ta disparition m'attriste énormément, mais je sais que tu n'es pas très loin. J'aurais juste aimé pouvoir te poser d'autres questions...
Adieu
Le Cinéphile Cinévore